Monji Ben Raies: La banalisation de la violence est omniprésente et passe pourtant plutôt inaperçue...
Lorsqu’on est jeune, on ne se retourne pas sur le passé. On court sans s’arrêter vers l’avenir, persuadé que quelque chose nous attend. Nous étions comme eux, à leur âge, insouciants, nous comptions tous sur notre jeunesse et nous avancions avec témérité sans conscience d’un quelconque risque. Mais l’univers est immense, comme l’est le champ des possibilités. A l’échelle de l’histoire du cosmos, la civilisation humaine, son existence même, n’est qu’un éphémère éclat lumineux qui ne dure qu’un instant et qui tend à vouloir disparaître. Il est vraiment rare qu’une étincelle en rencontre une autre ! Mais lorsque c’est le cas, tout devient clair. Le Système solaire, la Voie lactée, quelle que soit la distance parcourue, on ne trouve rien, lorsque l’on ne sait pas quoi ni où chercher. Nous étions jeunes et imprudents, nous avons trouvé le moyen de dépasser les frontières de la technologie, en jouant les apprentis sorciers. C’est à ce moment là que nous aurions dû comprendre que l’humanité est désespérément seule responsable d’elle-même, dans cet environnement cosmique immédiat mais elle est libre de son devenir. La liberté est l’emblème de notre humanité et il ne faut jamais l’oublier. C’est certain, il existe d’autres vie dans l’univers, d’autres terres peuplées, mais pas encore à notre portée et donc chaque être humain est un trésor pour l’espèce et il ne faut pas le gâcher ni le gaspiller comme nous le faisons pour des futilités comme peuvent être les idéologies de dominations. Le fait que nous existions ou le fait même que nous ayons existé, tout cela n’aura plus d’importance, quand nous aurons disparu, parce que nous nous serons détruits. Lorsque que les humains auront compris cela, ils essayeront, mais comme ils l’ont fait jusqu’à présent, sans succès, de trouver un autre chemin vers l’avenir. Ils ont échoué jusque-là, car ils n’acceptaient pas ce qui arrivait et voulaient encore et encore tout changer. Ils cherchaient à plier la Terre et l’ordre naturel, tout comme l’histoire, à leur volonté. Il nous faut nous libérer des liens qui nous entravent et qui empêche notre épanouissement. La Terre est notre maison, mais aussi un lieu sacré de l’Univers et personne ne doit profaner cette planète. On ne met pas fin à une guerre avec de belles paroles politiciennes. La Terre est un sanctuaire et nous devons nous battre sans relâche pour défendre cette conviction. Mais nos gouvernements l’ont trahie. Ils se sont raccrochés à une illusion et en son nom ils ont fait des erreurs ; la politique, le pouvoir, ne sont peut-être qu’illusion, mais rien n’est terminé et il y a encore de l’espoir. Même si nous disparaissons, le monde et tout le reste continuera. Regardons la vérité en face. Les gouvernements de ce monde nous ont menti, la vérité se tient juste devant nos yeux. Nous savons à quoi ressemble la Terre, mais nous ne savons pas encore ce que la guerre pourrait faire de notre maison. Mais nous ne devons pas céder au désespoir, car la Terre est forte et de nouvelles vies y poussent, à chaque instant. C’est certes une vie éphémère, mais d’une grande valeur. Des instants fugaces deviennent l’éternité lorsqu’on le veut. Arrêtons de nous faire des illusions. Regardons la vérité en face et nous pourrons enfin avoir un avenir. Nous ne sommes pas seuls, ni sur Terre ni dans l’univers et même si notre espèce devait disparaître, d’autres vies lui succèderont. Jusqu’au dernier souffle, toutes les vies du cosmos portent en elles l’éternité. C’est ce que la Terre symbolise. Nous naissons et nous mourrons, mais la vie est un éternel recommencement. Si les humains commettent les mêmes erreurs, saurons-nous quoi faire ? Les malédictions et la terreur se répètent sans cesse. Tant qu’il y aura des hommes, il faut tout faire pour que le monde ne cesse d’exister, pour servir l’éternité. Devant l’éternité, la course pour le pouvoir est sans signification et sans intérêt si elle ne la sert pas. Agiter une idéologie pour détruire et semer la mort est stupide et inconséquent.
Sigmund Freud soutenait, en 1933, que le psychisme humain est entièrement dominé par la violence. Dans sa dimension symbolique, d’abord, il est en effet indéniable, autant du point de vue de la religion, de la mythologie ou de tous rituels primitifs, que le conflit et la violence font partie intégrante du sens du sacré, c’est-à-dire du sacrifice fondateur du lien social. La violence se fait d’abord entendre dans la réalité de l’esprit, pour se faire ensuite reconnaître dans la réalité sociale. Seule cette perspective permet d’éclairer les horreurs qui se trame dans notre vie quotidienne.
Une jeune femme se fait exploser en pleine rue principale de Tunis et le spectre du terrorisme se rappelle à nous ; et pourtant cela n’a pas ému plus que ça la population. Une agression gratuite contre soi et contre l’ordre social, mais qui obtient une absolution inconditionnelle de la part de l’opinion et que l’on étouffe sous une chappe de secrets. Les attentats ‘’à moindre coût’’ comme il se dit maintenant dans la sphère du terrorisme, c’est-à-dire avec peu de moyens et beaucoup d’impact, semblent se multiplier par contagion, un peu partout dans le monde. Quels messages envoie-t-on à nos concitoyens, notamment les jeunes dans cet exemple parmi tant d'autres ? Que la violence n'est pas belle, mais qu’elle n’est pas grave ? Ce n'est probablement pas le résultat escompté, mais c'est pourtant celui reçu ! Le peu d’impact provoqué par cet acte criminel à moyens insignifiants est sans nul doute, le signe de la fragilité de nos sociétés.
Nous en sommes conscients, cette tendance à banaliser la violence est renforcée par une réponse sociale défaillante. Et puis, leur vague notion de ce concept ne s'en trouve que plus floue et plus élastique. Pourtant, des tels événements pourraient être de bonnes opportunités pour notre société de démontrer notre désapprobation et notre indignation face à la violence, notamment politique. Il est compréhensible que l’on puisse s’adapter à des circonstances extrêmes, mais il y a aussi le devoir social de s'assurer que l’on ne banalise pas la violence et ni qu’on ne l’accepte comme une fatalité. En d’autres temps, la nausée s'installerait et ne s'atténuerait pas en quelques heures, faire comme s’il ne s’était rien passé. Le peuple ressentirait ce malaise, qui s'accompagne d'un sentiment d'effroi, mais aussi de cette noirceur profonde qui nous interroge sur le pourquoi le monde est ainsi, et que ce présent atroce et ponctuel pourrait être, si nous continuons à détourner les yeux, notre quotidien dans un certain avenir. On peut rejeter ces actes, ou les mettre à distance, par l'analyse brillante de la « stratégie de communication » des media. Mais on ne peut faire abstraction du fait qu’il est des gens, dans notre pays, des gens que nous croisons dans la rue, des jeunes gens notamment, qui ont mémorisé cet évènement, qui s'en sont repus avec une fascination morbide. Nous sommes comptablement redevables collectivement d'avoir engendré un monde où le spectacle de celui qui s’improvise le martyre le plus abominable, est regardé par des jeunes de 15 ou 17 ans comme un héros ou un vengeur.
Malheureusement peu de réactions ont fait suite à cette tragédie. L’information a été traitée comme un simple fait divers, sans entrainer, ni tristesse, ni colère, sentiments qui ne s'emparent plus des Tunisiens qui se sont habitués, avec le temps, à la mort et à ses porteurs. Ainsi la banalisation a remplacé les manifestations de soutien et les réactions enflammées clamées chaque fois que la Tunisie avait été frappée. Prenons garde, car la banalisation ne peut qu'aboutir à l'indifférence, puis au défaitisme. Tout incident doit être l’opportunité pour la Tunisie de resserrer davantage ses rangs contre l'ennemi commun et pour chaque citoyen l'occasion d'y puiser de nouvelles raisons d'espérer dans et par la lutte contre ce fléau des temps modernes qu'est le terrorisme. Nous ne devons pas sombrer, mais au contraire, résister ensemble de toutes nos forces et être solidaires pour son éradication.
Le terrorisme avec peu de moyens, est le plus dangereux et le moins décelable à l’avance et sera indubitablement de plus en plus fréquent. Cette technique d’attaque, très adaptée à la guerre civile, est faite pour épouvanter les populations, et créer une insécurité permanente. Elle ne nécessite pas d’équipes spécialisées coûteuses et difficiles à recruter. Elle s’adapte bien aux populations vulnérables, qui possèdent un niveau d’expertise, de compétence et d’organisation assez faible dans pratiquement tous les domaines, mais qui, en revanche, s’avèrent faciles à fanatiser.
Aujourd’hui, les media, par leur aura et leur impact sur l’opinion publique, se doivent d’être exemplaires. Le terrorisme dans le monde est mû par une dynamique pluridimensionnelle, fondée sur une idéologie porteuse, des modes de pensée dont il est à l’origine, et sur des représentations sociales dont il fait l’objet. Interrogeons-nous aussi sur ce qui fonde l’indéniable pouvoir des terroristes, contrant toutes les forces déployées pour les combattre, hommes et technologies élaborées, par des nations qui peinent à contrarier sa montée en puissance. La fréquence des actes de terrorisme ne cesse de s’amplifier, en faisant une présence qui s’infiltre dans notre réalité quotidienne ; mais de leur diffusion par la puissance médiatique, en raison du traitement particulier que lui réserve les media, le terrorisme s’immisce dans les foyers, où désormais il est appréhendé comme un phénomène appartenant au quotidien, alors même que l’information nous parvient avec toute la brutalité et la violence qui caractérisent les actes terroristes, sans distinction, ni prise de distance, ni même analyse des échelles d’importance. Ce faisant, l’un des objectifs des terroristes, d’occuper le devant de la scène, une scène sanglante regardée par le monde entier, cela au prix d’un droit légitime à l’information est exhaussé. Nos media agissent à l’instant évènementiel pour faire sensation dans l’audimat, mais sans éduquer la population des auditeurs et spectateur sur le rejet nécessaire et salutaire de tels actes. Nos media sont eux-mêmes effrayés par ces faits et n’osent qu’à peine les évoquer comme le fait divers le plus banal, sans même le désigner dans sa catégorie. Comme ‘’lord Voldemort’’ dans Harry Potter, dont le nom ne doit pas être prononcé, celui du terrorisme comme étiquette d’actes irraisonnés ne doit pas être évoqué comme un problème de société qu’il faut mettre franchement à plat et dont il faut discuter avec tout le sérieux requis.
Une poignée d’hommes dont la principale ressource est une imagination débordante, liée à une cause idéologique, qui assoit sa dimension et reconnaissance humaine autour d’actes pensés, étudiés, ciblés, pour frapper la réalité de la vie collective et individuelle de nos mondes démocratiques en crise. Le but est de provoquer et entretenir une psychose latente, et terrifier les populations au quotidien, afin qu’elles finissent par s’habituer aux agressions terroristes, avec peu de moyens et quelques morts, banalisées par les media et dont on ne parle plus dès le lendemain jusqu’à que cela se reproduise. Ce silence, cette omerta sur des faits dont on n’ose pas parler, comme pour conjurer un mauvais sort, sont dangereux pour l’équilibre de la psychologie sociale car ils sont répétitifs. Le phénomène de la violence terroriste s’est globalisé et s’insinue dans toutes les strates de la vie, non comme un mal extérieur, mais comme exsudé par nos sociétés en interne. Les fondements des sociétés contemporaines sont ébranlés et les diverses sources de la violence sont réactivées, jusqu’à pénétrer de manière sournoise dans l’intime et le quotidien, les vies privées et citoyennes, sans considération de sexe, de milieu ou d’âge. La production d’une violence globale est, sans aucun doute, le signe le plus visible d’une crise psycho-sociologique profonde de notre civilisation. La responsabilité citoyenne s’est affaiblie au sein d’une crise de la solidarité et des liens affectifs et moraux de cohésion, consacrant la brisure de la concorde symbolisée par l’appât du gain et de l’argent, le narcissisme culturel, l’exploitation d’autrui et l’injustice sociale. Le résultat est la défiguration des rapports entre les individus et ceux entre l’individu et la communauté. Tout converge vers la perte des repères et des valeurs fondatrices de la cité moderne, notamment dans les sociétés qui vivent péniblement le processus de globalisation économique et la transformation accélérée des modes de vie et des mentalités. Sur ce point, les nouvelles technologies n’ont pas contribué à modifier l’ampleur du phénomène de dégénérescence des sociétés dans le monde. L’innovation technologique dans ces pays, ne fait que transformer le contexte culturel et déchire le tissu social, provoquant en son sein des troubles socio-psychologiques et modifiant les équilibres humains et politiques. C’est une guerre, et elle est bien réelle, bien présente et nous implique qu’on le veuille ou non, malgré nous, dans la tourmente de ce que nous avons créé. Rien n’empêchera jamais l’Homme de s’autodétruire, c’est ainsi que s’écrit l’histoire de l’Humanité. Mais ce qu’il y a de grave, c’est de subir, c’est de ne pas agir, de rester dans notre confort et de regarder quotidiennement l’autre mourir. C’est ce que nous faisons, hélas. Nous assistons, impuissants, à des hommes qui donnent la mort et c’est une banalisation de la violence qui s’installe tranquillement. Mais il faut comprendre que cette guerre nous concerne, que nous le voulions ou non. Et la violence aussi, nous concerne tous, quelle qu’en soit la forme et nous devons y mettre le holà. Il faut être naïf pour croire que nous n’avons que des amis ; nous avons aussi des ennemis. Nous nous sommes enfoncés dans l’idée que la paix était acquise, que nous étions une démocratie intouchable et que nous n’aurons jamais à renoncer à tout ce qui a été construit jusqu’à présent. Arrêtons de faire les autruches et sortons notre tête du trou ! réagissons comme un peuple uni, le Peuple tunisien fier de sa liberté et prêt à la défendre et à en éclairer le monde, et non comme une basse court apeurée. Notre jeunesse est de plus en plus seule avec elle-même et à la merci des marchands de mort de tout poil. Une perte de repères, un ras-le-bol flagrant, des paroles séduisantes, sont des ingrédients suffisants pour la convaincre de faire tout ce qu’un tentateur mal intentionné souhaiterait, même l’impensable.
Personne n’oserait dire que la démocratie est sans violence ; c’est le contraire qui est vrai, même si d’autres moyens plus pacifiques sont employés de manière parallèle, car le rapport de forces reste un moyen efficace de s’imposer dans un conflit politique, économique ou syndical. Les diverses formes de violence (occupations illégales de la voie publique, barrages routiers, actions spectaculaires comme la séquestration ou l’occupation des lieux publics) restent dans nos démocraties une manière, évidemment violente, mais tolérée de tous, pour faire de la politique. C’est une violence instrumentale avec une moindre passion et sans agressivité brutale en vue d’atteindre des objectifs bien définis. Car elle s’inscrit tant bien que mal dans une logique de calcul et une stratégie d’efficacité. Certes, c’est une violence qui est très loin de s’apparenter avec celle qui s’exprime dans les systèmes autoritaires et pseudo-démocratiques et encore moins avec celle idéologiste du terrorisme.
La démocratie n’est jamais à l’abri d’un processus d’érosion de ses sources d’autorité et d’une crise majeure, même lorsque la violence est sous contrôle des institutions. C’est le cas actuellement avec une situation de crise qui s’est installée au coeur de presque tous les pays démocratiques et qui se manifeste par l’effritement du principe d’autorité et, avec lui, de toute la chaîne des institutions d’éducation et de socialisation (famille, école, travail, religions, partis politiques), qui transmettent les fondements de la vie en commun et les outils politiques autant que symboliques d’intégration. De ce fait, l’absence d’une communauté de destin et d’un projet d’avenir renforce l’abaissement des forces de socialisation, qui se répercute directement sur les pratiques politiques et la démocratie et rend le terrain fertile à l’irruption de formes dégradées de convivialité, à la perte de responsabilités citoyennes et à l’essor par régression de la violence de rejet. Dans ce contexte, la violence diffuse, peut se transformer en terrorisme aveugle contre des symboles internes aux groupes et contre de nouveaux boucs émissaires désignés par les idéologies extrémistes. Quand la violence se manifeste de manière spectaculaire et inattendue, les opinions se divisent et la paix civile vacille. C’est bien la raison pour laquelle les réflexions sur la guerre civile hantent toutes les pensées sur la violence à caractère politique. Même dans les actes les plus abjects d’inhumanité, la raison ne doit pas s’arrêter face à l’horreur des faits eux-mêmes, mais chercher à trouver la cause afin d’éradiquer la menace de leur répétition néfaste. Notre regard doit s’orienter vers ce qui est dans l’ombre des interprétations partielles, à savoir, l’irrationnel comme système logique à l’autre bout de la logique rationnelle. Donc, ne s’intéresser qu’à la psychologie sociale, sans réfléchir sur les sources de la violence et des logiques qui mènent à la terreur politique sous ses diverses manifestations extrêmes (guerres, émeutes, révolutions, terrorisme, coups d’État, lynchages et autres tentatives d’imposer une volonté de domination) serait vain, car la violence reste toujours un acte instrumental, un moyen d’acquérir quelque chose et la condition nécessaire, mais non suffisante, pour la prise et le maintien du pouvoir, l’exercice du commandement et l’obtention de l’obéissance par tout moyen. Certes, ces mots, en ayant parfois la même fonction, n’ont pas toujours le même sens, quand leur usage correct sort des questions de grammaire, pour s’attacher à des perspectives historiques. La violence a joué, depuis toujours, un rôle de transformation dans l’histoire de l’humanité mais aujourd’hui, elle se montre sous des formes dont la démesure risque d’emporter tout sur son passage à la faveur d’une lame de fond de mécontentement populaire en réaction au processus de globalisation économique. Les forces de destruction s’opposent, dans un jeu de mort, par des intérêts et des credo idéologiques interposés, dont les antagonismes poussent au fanatisme avec à la clé, le meurtre des innocents et les génocides ethniques. D’une certaine façon, le terrorisme, avec ses forces hubriques et sournoises, n’est que la partie visible des conflits de domination et des processus politiques et religieux à l’échelle planétaire. Captif de lui-même et de la société politique qui l’instrumentalise, l’individu cherche un antidote. Le terrorisme s’impose de nos jours sur la scène internationale comme un phénomène de violence politique majeur auquel s’efforcent de s’opposer police et armée étatiques. Le terrorisme, lorsqu’il agit en privilégiant les attentats, précisément à cause de leur efficacité psychologique particulière, répond à une praxis volontariste. Il obéit à une intention délibérée d’optimisation de l’impact de l’action, simplement parce qu’il en a les moyens, et parce que ces moyens ne sont pas conventionnels. Dans une quête identitaire, ce dernier va se propulser vers des cibles qui marqueront les esprits d’effroi, de sang, de mort, dans une dimension prenant des allures spectaculaires. C’est la recherche d’un impact psychologique supérieur à son impact militaire. Les images sont véhiculées par les médias pour montrer tout le spectacle de l’horreur. Pour instaurer la peur et la terreur, cette atmosphère de menace, de pression, d’insécurité, le message terroriste est écrit avec des plaies, du sang, des larmes, des souffrances en en soulignant les effets théâtraux sans aucune limite. Dans l’extrême, le sang est une arme redoutable car la symbolique de la mort y est représentée, chargée d’une affectivité émotionnelle importante et qui s’appuie sur l’imaginaire. Il semble donc indéniable d’affirmer que le terrorisme n’existe que par la valeur que le social lui accorde dans la pluralité de ses formes. Les jugements portés sur le terrorisme expriment plutôt un rejet ou une condamnation, notamment, mais non exclusivement, au nom de valeurs morales fondamentales, de normes sociales de conduite, de préceptes religieux. De telles réactions ont pour corollaire, voire pour fonction, une mise à distance de l’autre qui deviendra d’autant plus étranger, incompréhensible. Notre paysage social s’en trouve, d’une certaine façon, restreint de quelque côté que l’on se trouve et quels que soient les référents évoqués, culturels ou religieux, archétypaux, raciaux, idéologiques, et autres. Il y a toujours, au bout du compte, le camp du bien, et celui du mal. Cette conception positive du soi, opposable à celle, fortement négative, de l’autre, légitime les jugements manichéens, donne valeur et pertinence aux positions défendues et, par conséquent, justifie aussi tout acte de défense ou de protection contre un ennemi identifié et circonscrit. C’est à diverses sources informatives, notamment médiatiques, que nous puisons la matière pour construire de tels portraits, qui constituent nos conceptions des phénomènes collectifs, événements sociétaux, actes personnels ou groupaux. Mais, paradoxalement, les représentations établies, vont constituer l’une des bases de la réputation que le terrorisme a peu à peu acquise, comme un droit de cité, au coeur même de nos sociétés. De telles représentations permettent à la population de faire face au phénomène, de vivre avec, plutôt que de se laisser submerger par une peur viscérale, primitive et constante. À ce titre, les représentations sociales participent de et à cette logique de la terreur, devenant alors aussi des outils au service de la cause terroriste. En effet, la récurrence des actes de terrorisme fait que cette réalité, se nourrit de l’incessant débat d’idées, des confrontations de points de vue, explications ou analyses de tous ordres, tout autant que des redites périodiques que les médias nous présentent en même temps que des images à forte intensité au point de faire désormais bel et bien partie de notre réalité collective.
Monji Ben Raies
Universitaire, Juriste, Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis El Manar, Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis.
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