Comment réussir un emprunt obligataire en devises avec la Diaspora tunisienne
Les diasporas ont de tout temps joué un rôle crucial dans le développement socio-économique de leurs pays d’origine. Au-delà des transferts de richesses à leurs familles, les diasporas participent d’une manière ou d’une autre à développer les échanges commerciaux entre le pays d’origine et le pays hôte, à développer du patrimoine,et même à stimuler l’entreprenariat. Une diaspora engagée n’est pas uniquement une source de devises seulement, mais un vecteur de progrès social, de promotion de l’image du pays d’origine à l’international,ainsi que l’accélération des transferts de connaissances,atténuant d’autant les effets des départs massifs à l’étranger de talents et de chercheurs qualifiés.
Le dividende du« capital diaspora »prend plusieurs formes. Des transferts privés d’argent aux proches contribuent à réduirela pauvreté des ménages bénéficiaires et autres personnes liées, et à améliorer l’accès à l’éducation et à la santé.
Les investissements de la Diaspora jouent aussi un rôle décisif auprès des entrepreneurs, start-ups et petites entreprises du pays d’origine. Côté transferts de connaissances, les élites de la diaspora agissent comme interface entre les centres de production et d’enseignement,et facilitent le rattrapage technologique et l’accès aux marchés mondiaux.
Enfin, le rôle de la diaspora peut revêtir une dimension philanthropique, une sorte de chaine de solidarité en faveur du pays d’origine.La diaspora continue en général à transférer des fonds, mêmelorsque le risque pays devient élevé, grâce aux liens familiaux et l’envie de contribuer au progrès social du pays d’origine.
Comme bon nombre de pays africains dont la monnaie n’est pas convertible, et dont le marché des capitaux n’est ni très profond ni diversifié, la Tunisie présente peu d’offres intéressantes de placements financiers pour les membres de sa Diaspora. Les instruments qui ont connu un succès relatif jusque-là, ce sont les transferts « alimentaires » ou l’épargne logement. Presque rien côté investissement productif ou dans l’innovation. Ainsi, les transferts des migrants tunisiens à leur pays sont estimés entre 2 Milliards de USD par an par une étude du Fonds international de développement agricole (FIDA, juin 2017) contre une estimation de 2,5 Milliards de USD par le FMI. L’étude des fonds envoyés par les migrants dans le monde à leurs pays d’origine a montré une croissance à deux chiffres de ces transferts de 2007 à 2016 (+36% à l’échelle africaine). Hélas, les statistiques officielles sont imprécises sur la ventilation de l’emploi de ces subsides. L’enquête sur la mobilité des compétences tunisiennes à l’étranger menée par Quantilyx et l’Association des Tunisiens des Grandes Ecoles (ATUGE) offre toutefois des indications intéressantes. Les répondants à l’enquête qui investissent déjà en Tunisie (environ 15%) confirment leur appétence pour l’investissement immobilier (en cours pour 71% des personnes), mais également pour le soutien financier aux startups (en cours pour 32% des personnes), loin devant les secteurs agricole et industriel. Plus intéressant encore, une compétence sur deux serait intéressée de revenir au pays pour s’y installer dont 38% pour la création d’entreprise, à condition de trouver un environnement des affaires sain. L’étude conclue sur un potentiel d’investissement annuel de 6 à 16 Millions USD du segment « compétences tunisiennes expatriées » en Tunisie, représentant environ un sixième du nombre total de tunisiens résidents à l’étranger. Le potentiel est considérable.
Ainsi, il semble opportun de considérer une nouvelle approche pour consolider les flux d’argent de la diaspora vers la Tunisie en particulier. On doit imaginer des véhicules et des cadres juridiques et fiscaux adaptés afin de favoriser une nouvelle industrie de financement en mode PrivateEquity. À l’instar de la liberté de circulation des capitaux en devises, ou encore une fiscalité attractive et surtout facile à déchiffrer par des investisseurshabitués à des pratiques de classe mondiale, tout en se préservant des circuits de blanchiment de l’argent, d’évasionsfiscales et autres flux financiers opaques.
La récente annonce par la Banque Centrale de Tunisie, d’un projet de levée de fonds obligataire en devises auprès de la Diaspora Tunisienne, est une initiative louable mais présente, à notre humble avis, un risque majeur de « flop » si elle n’est pas appréhendée d’une manière « intelligente ». En particulier, elle gagnerait à prendre en considération le contexte actuel difficile du pays, marqué par une érosion de confiance dans la gestion des finances publiques et une incertitude grandissante sur la stabilité sociale. Des facteurs qui ne peuvent être résorbés justement que par une reprise massive des investissements, avec une nouvelle stratégie de dynamisationdes marchés des capitaux.Pour réussir une levée de fonds auprès de la Diaspora, la Tunisie aura à recourir à une batterie de mesures favorables concrètes, offrant des opportunités pour les diasporas afin de s’engager activement dans le développement économique (identification des cibles, clarification des objectifs, établissement des priorités, et choix des mesures incitatives, etc.).
Ceci appelle même à définir des politiques publiques spécifiques pour accompagner les investissements des diasporas à travers des fonds de fonds ou des instruments irriguant des compartiments économiques et régionaux dans le cadre de la décentralisation, entre autres, grâce à une gouvernance Public-Privé-Diasporas !
La Tunisie a tout à gagner à encourager à garder un lien fort avec les émigrants et leurs descendants, et à les inciter à investir dans leurs pays d'origine. Les initiatives peuvent être privées, étatiques ou conduites dans le cadre d’un partenariat public-privé. Elles peuvent assurer un accès à un réseau professionnel, un mentorat, des formations, une assistance à l’investissement ou des participations avec prise de risque en capital investissement. Cette dernière est la forme où l’engagement de la diaspora est le plus significatif en terme d’impact. Les membres de la diaspora peuvent être des gestionnaires ou des propriétaires d’entreprises situées dans les pays hôtes mais qui travaillent pour aider le pays d’origine à financer des start-ups à différents stades de développement. Les expériences réussies de la Chine, de l’Inde et de l’Irlande dans le développement des industries à forte valeur ajoutée sont très connues. Les diasporas de ces pays ont fourni du capital risque et ont permis l’accès à des technologies et le transfert de connaissances. Quelques expériences africaines sont en train de voir le jour grâce notamment à des structures dédiées telles que la Migration for Development in Africa (MIDA) ou la The AfricanFoundation for Development (AFFORD) qui, entre autres, mettent en relation les professionnels de la diaspora avec leurs pays d’origine.
L’idée par exemple de lancer des fonds d’impact pour relancer le développement régional et l’inclusion économique des classes les moins favorisées, ou encore des fonds PPP pour sauver les entreprises publiquesopérant dans le champ concurrentiel, tout en donnant la priorité aux nationaux, même résidents à l’étranger de contribuer au sauvetage économique du pavillon tunisien, pourrait renforcer le lien et le sentiment de citoyenneté.
Des études et des propositions ont déjà été formulées dans ce sens durant les sept dernières années, et elles méritent d’être considérées de nouveau.
Une autre piste encore plus téméraire, nous semble encore plus indiquée si l’Etat souhaite réellement accélérer l’avènement de la Startup Nation, en instaurant une société du savoir, par essence même, ouverte et globale, et dans laquelle les entrepreneursles plus talentueux, en particulier ceux de la diaspora, seront en première ligne. L’appui institutionnel à toute initiative de la Diaspora visant à financer et/ou accompagner des startups dans leur internationalisation et la conquête des marchés internationaux.
Les auteurs:
Mondher Khanfir est ingénieur Arts & Métiers ParisTech, Impact Entrepreneur, auteur et Conseiller en Politiques Publiques
Achraf Ayadi est docteur ès Sciences de Gestion et expert bancaire et financier à Paris
Sabri Boubaker est professeur de Finance à la South Champagne Business School
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