News - 08.07.2018

Habib Touhami: De quelles réformes structurelles s’agit-il ?

Habib Touhami: De quelles réformes structurelles s’agit-il ?

En Tunisie, le débat sur les réformes structurelles déraille complètement. Il y a à cela quelques raisons. La première est la confusion entretenue entre réformes structurelles et ajustement structurel. Sur ce point, les institutions financières internationales se montrent plus rigoureuses que la plupart des intervenants. La deuxième est que beaucoup jouent des peurs et de l’insularité pour présenter les réformes structurelles exclusivement comme un diktat de l’étranger bien qu’il existe de nombreux motifs «endogènes» incitant à les réaliser. La troisième est d’ordre historique et sociétal. En 1980-81, le gouvernement tunisien avait publié, de son propre chef et sans aucune intervention étrangère, une brochure décrivant en détail les réformes structurelles à appliquer pour redynamiser un processus de développement qu’il jugeait freiné ou bloqué (Note d’orientation de la IIIe décennie de développement).Peu d’entre elles ont été réalisées. L’inconsistance du pouvoir politique ne peut expliquer à elle seule une impuissance nationale à réformer devenue endémique et inquiétante. Ajustement structurel (de l’anglais structural adjustment) et réforme structurelle n’ont évidemment pas le même sens. Dans le contexte économique, ajuster signifie «adapter», «mettre en rapport». C’est le cas de l’ajustement monétaire entre une monnaie et une autre, de l’ajustement entre les prix et les salaires ou plus généralement de l’ajustement entre l’offre et la demande. Ces ajustements ne touchent nécessairement pas à la « structure » et ne s’inscrivent systématiquement pas dans le moyen et le long terme, tout le contraire de ce que les économistes tiennent pour des réformes structurelles. En effet, réformer vient du latin reformare (reconstituer, former à nouveau) et structurel de ce qui appartient aux structures, qui en relève (de struere, assembler, construire).Une réforme économique structurelle est une politique économique de moyen et long terme visant à refondre les structures de l’économie afin d’en accroître le rendement et la compétitivité.

De ce point de vue, une stratégie industrielle qui vise à améliorer le taux d’intégration industrielle et à réduire le contenu en importations de la demande finale constitue une réforme authentiquement structurelle. Mais surenchérir les importations par la dévaluation de la monnaie nationale ou les restreindre par des mesures administratives pour limiter le déficit de la balance commerciale reste  une action d’ajustement conjoncturelle, urgente certes, mais qui n’a rien à voir avec une réforme structurelle. Un autre exemple. Dans le contexte national tunisien, agir abruptement et mécaniquement pour baisser le déficit budgétaire procèderait in fine de l’ajustement conjoncturel et non pas de la réforme structurelle à moins de mettre l’action en question dans le cadre d’un plan global visant à mieux gérer l’argent public, à mieux collecter l’impôt et à instaurer, graduellement, un équilibre au sein des recettes fiscales entre l’impôt redistributif (impôts directs) et l’impôt non redistributif (impôts indirects), au sein de l’impôt direct sur le revenu entre salariés et non salariés.

De même, la réduction purement «arithmétique» des dépenses de compensation n’est pas une réforme structurelle puisqu’il ne s’agit en fait que d’un ajustement conjoncturel. En la matière, la seule réforme structurelle qui vaille devrait avoir pour finalité la «compensation» en amont, au niveau des salaires et des revenus, au lieu de l’exercer en aval, au niveau des prix. Tant que l’on compensera en aval, la compensation restera inique, coûteuse et source de toutes les malversations.Concernant l’assurance-maladie, l’augmentation des cotisations ou la réduction des prestations pour rétablir les équilibres financiers de la Cnam ne constituent nullement une réforme structurelle, mais un simple ajustement conjoncturel, un ajustement qui sera vite dépassé par les évènements aussitôt qu’il sera mis en place. Car cette action ne règlera en fin de compte aucun problème de fond: accroissement disproportionné des dépenses nationales de santé,  surenchérissement extravagant des coûts, accès inéquitable aux soins, clochardisation épouvantable des hôpitaux publics.

A l’évidence, la Tunisie a besoin de procéder en urgence à la mise en route de certaines réformes structurelles. Mais ce ne sont pas exactement celles dont parlent le FMI, la BM et le gouvernement ou qui sont évoquées par le microcosme médiatique et politique tunisien. Le problème est qu’il est devenu difficile d’en débattre avec calme et rigueur. Primo parce que la société tunisienne est devenue rétive à toute mutation socioéconomique majeure, toute réforme structurelle constituant, par nature, une remise en cause du statu quo ante. Or chaque groupe socioprofessionnel, chaque individu ou presque, campe sur ses acquis et refuse toute redistribution des cartes qu’implique toute réforme structurelle. Secundo, parce que certains faiseurs d’opinion continuent de croire et de dire que les choses s’arrangeront d’elles-mêmes sans qu’on ait besoin de procéder aux réformes structurelles. Tertio parce que le débat public est devenu une coquille vide ne s’alimentant que de l’évènementiel et des querelles d’ego. Quarto, parce que la nature des institutions politiques et le mode de scrutin aux législatives poussent à l’attentisme ou pire, à la navigation à vue. La vraie question qui se pose aujourd’hui en Tunisie ne doit donc pas être celle de savoir s’il faut ou non procéder à certaines réformes structurelles, mais de savoir lesquelles et quels sont les termes du consensus socioéconomique à rechercher afin d’en amortir les dégâts socioéconomiques collatéraux et de présenter aux divers partenaires étrangers un front solidaire regroupant gouvernement, élus, partis politiques, syndicats, société civile, etc. Sans cette condition(voir La grande désillusion du prix Nobel d’économie Joseph E. Stieglitz), la Tunisie pourrait bien se condamner à négocier en position de faiblesse tout en continuant à faire le désespoir des bonnes volontés qui croient encore en elle.

Habib Touhami

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1 Commentaire
Les Commentaires
HACHED - 23-07-2018 11:04

Comme la plus part des articles du genre on reste sur sa faim quant à la réponse à la question : de quelles réformes structurelles a besoin la tunisie ?? Aucune suggestion ni piste de solution

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