Les logos nutritionnels sont-ils efficaces contre l’obésité ?
Avec un taux d’obésité de 30 % de sa population, la Tunisie se classe au 4è rang mondial selon l’Organisation Mondiale de la Santé, OMS. Selon une enquête du Tunisian Health Examination Survey de 2016, 64,5 % de la population tunisienne est en surpoids, 74,4 % sont des femmes.
La même étude révèle que 19 % de tunisiens de plus de 15 ans sont diabétiques, 36,4 % font de l’hypertension artérielle et 5,1 % souffrent de dépression. Mauvaise hygiène de vie, régime alimentaire déséquilibré, absence d’exercice physique sont à l’origine du surpoids et de l’obésité, sans oublier les maladies chroniques qui vont de pair, notamment cardiovasculaires, l’hypertension et le diabète.
En 10 ans, le ministère de la Santé constate une explosion du nombre de fast-foods.Une mauvaise alimentation aux apports excessifs en sucres, dans les boissons sucrées, les confiseries, les céréales, tous les produits industriels en général, mais aussi en acides gras saturés, comme les produits d’origine animale, les plats cuisinés, les viennoiseries et l’huile de palme, ou en sel ajouté et c’est la porte ouverte à l’obésité ! Une étude de la STIM (Société Tunisienne d’Informatique Médicale) identifie un changement alimentaire en Tunisie conduisant à un déséquilibre qui peut s’expliquer par l’urbanisation et son mode de consommation industrialisé. Les tunisiens consomment des préparations rapides à des rythmes différents. La STIM souligne que l’alimentation tunisienne a perdu son identité en modifiant ses recettes traditionnelles au profit d’aliments venus d’ailleurs.
Comment l'étiquetage modifie le comportement du consommateur!
Le régime alimentaire tunisien se dote de nouvelles habitudes qui le rendent hypercalorique, riche en graisses saturées et en sucres à absorption rapide. Le beurre remplace les huiles végétales, la crème fait son apparition, les jus et les eaux gazeuses aromatisées sont les nouvelles tendances. Cette malnutrition liée à l’abondance favorise l’expansion de maladies liées à la surconsommation de produits industrialisés. On attend de l’Etat une intervention rapide pour sensibiliser les citoyens, les avertir et rendre la consommation saine et responsable.
Taxation et sensibilisation sont deux mécanismes adoptés pour limiter la surconsommation d’aliments riches en sucres, en sel et en acides gras saturés. La taxation, comme son nom l’indique est une taxe sur les produits alimentaires sucrés, gras et salés. Sa mise en place vise l’augmentation du prix, donc la baisse de la consommation. La sensibilisation vise à informer le consommateur sur les effets néfastes sur sa santé des produits sucrés, gras et salés, par une signalétique appropriée.
Les mécanismes d’influence du consommateur dans le cadre de sa sensibilisation à la malnutrition font l’objet d’une recherche menée par une équipe d’enseignants chercheurs en marketing et en économie en France(1) . Grâce à une étude expérimentale qui mesure l’efficacité de différents logos nutritionnels sur la réduction de la consommation de produits sucrés, gras et salés, les chercheurs démontrent la supériorité de certains logos.
L’impact positif des informations disponibles sur la face avant des packagings (FOP : Front of Package) a été soutenu par de nombreuses recherches. Pourtant certaines recherches remettent en cause leur efficacité car très peu de consommateurs lisent réellement les informations disponibles sur les packagings. Seuls 27% d’entre eux lisent les étiquetages en supermarchés. Trop d’informations peuvent aussi rebuter le consommateur.
Ce débat est lié à la capacité qu’ont les FOP d’attirer l’attention des consommateurs en magasin. La forme de l’information est alors primordiale et de nombreuses propositions ont vu le jour, notamment dans le domaine de l’étiquetage alimentaire : les symboles nutritionnels, le système d’apport nutritionnel journalier (GDA Guideline Daily Amount), le système de feu tricolore unique ou encore le système à feux tricolores multiples(un feu tricolore par critère). Pour simplifier l’information et la rendre plus persuasive, le consommateur devrait trouver un résumé des éléments essentiels sur la face avant du packaging du produit.
L’étiquetage nutritionnel à code couleurs
L’étiquetage nutritionnel est un code à plusieurs couleurs qui renseigne sur la qualité nutritionnelle des aliments (souvent 5 couleurs). Il prend en compte, pour cent grammes de produit, sa teneur en nutriments et en aliments réputés bons pour la santé (fibres, protéines, fruits, légumes) d’une part, et à l’inverse sa teneur en nutriments à limiter (énergie, sucre, sel, acides gras saturés). Il concerne tous les aliments transformés et toutes les boissons non alcoolisées. L’outil est censé guider le consommateur pour limiter la malbouffe et l’obésité.
Certains pays comme les Etats-Unis ou le Royaume Uni sont pionniers dans l’adoption de ce logo nutritionnel. Ils ont mis en place un plan d’action visant à améliorer la lecture et la compréhension de l’information nutritionnelle par les consommateurs. D’autres pays comme la France ont mis plus de temps à prendre en compte l’impératif de la simplification de l’information nutritionnelle comme un des axes d’intervention du plan national nutritionnel santé. Ces pays se basent sur les résultats de recherches anglo-saxonnes qui parient sur l’efficacité de la présence d’éléments graphiques ou autres formats simplifiés, pour améliorer la compréhension de l’information nutritionnelle du consommateur et l’orienter ainsi vers des produits plus sains. Les résultats prouvent effectivement que ces systèmes d’information nutritionnelle captent davantage l’attention du consommateur, qu’il les privilégie, qu’il en comprend toute la signification avec pour conséquence, une intention augmentée d’acheter des produits aux meilleures qualités nutritionnelles.
Dans le cadre de nos travaux de recherche, nous nous sommes intéressés à l’étude de l’efficacité de ces logos nutritionnels. Grâce à une expérimentation en laboratoire d’économie expérimentale qui a porté sur 380 individus représentatifs de la société française, les résultats ont montré quel logo était le plus efficace dans l’amélioration de qualités nutritionnelles des produits choisis par les consommateurs. Le protocole expérimental consistait à demander aux participants d’effectuer des achats sur la base d’un budget. L’expérimentation s’est alors déroulée en deux temps. Dans un premier temps, on a demandé aux participants d’effectuer leurs achats sur la base d’un catalogue où les produits ne disposaient d’aucun logos nutritionnel. Dans un second temps, les participants effectuaient leurs achats avec le même budget, sur la base du même catalogue auquel on a rajoutédifférentes formes de logos nutritionnels. L’examen d’effets simples montre que pour le traitement « nutritionnel », il y a une différence significative entre les qualités nutritionnelles du caddie constitué sans étiquette nutritionnelle (temps 1) et le caddie avec étiquette nutritionnelle utilisant un code couleur (temps 2).
A l’instar de plusieurs pays, l’étiquetage nutritionnel en Tunisie pourrait contribuerà réduire la surconsommation des produits sucrés, gras et salés. L’efficacité de ce mécanisme a été approuvée à travers plusieurs études scientifiques.
Dr. Karine Raies
Enseignante-chercheur en marketing, INSEEC Business School – Lyon.
Dr. Mehdi Moalla
Enseignant chercheur en économie, chercheur associé à GAEL
(1) The Grenoble Applied Economy Laboratory (GAEL)et INSEEC Business School
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