Perception de la société militaire par la société civile
Au cours de la semaine écoulée, beaucoup de choses se sont dites ou faites suscitant quelques réflexions sur ce thème de la perception de la société militaire par la société civile.
J’ai été abasourdi, comme le reste des militaires, d’entendre «un animateur», critiquer négativement et à outrance l’institution militaire. Ce comportement qui apparaissait plus «viscérale» qu’éphémère me laisse croire que certains médias tunisiens sont entre les mains d’une camarilla insatiable et incorrigible. Choquant? Certes! Mais est-ce étonnant? Est-ce la première fois que la haine à l’égard de notre armée a été manifestée aussi perfidement par un journaliste maison? Certainement pas.
Je pense que si SF avait le sens de sa fonction, il virerait cette «honte» immédiatement.
Mais s’il est clair que le sieur N.Ouertani ne porte pas le monde militaire dans son cœur, il n’a pas le droit de prendre les militaires pour des abrutis qui ne sont tout juste bons que de se la boucler, se gaver de soupe de l’ordinaire et de servir d’applaudimètre, comme tous les citoyens, à ces débilités émises par nos chaines Tv/Radio.
Ce dérapage médiatique envers l’Armée fait surgir la question du lien Armée –société civile.
La méconnaissance du monde militaire par notre société
Je ferai d’abord quelques remarques sur la méconnaissance persistante de la communauté médiatique des us et coutumes du monde militaire.
Cette absence s’exprime clairement dans le langage courant notamment journalistique. J’ai été surpris en effet de constater que bien souvent des militaires interviewés n’étaient pas appelés par leur grade mais par «monsieur». La politesse pourtant préconise d’appeler un Général, «mon général » si on a fait son service (bien sûr très rare) ou «général» dans le cas contraire.
Une société vit à travers le respect porté par les mots employés pour interpeller quelqu’un, comme on dit «docteur» quand on s’adresse à un médecin ou «maitre» à un avocat. Mais ceci se perd dans cette recherche «moderne» de l’égalité verbale de chacun compte non tenu de ses titres et fonction.
Pourquoi d’ailleurs ne pas appeler le Président de la République par son prénom ou par son diminutif éventuel?
Cette attitude est due à la fois à la méconnaissance des règles de civilité, de «bonne éducation» et à l’habitude de niveler chacun dans notre société «moderne».
Mais ceci ,on le voit aussi dans la vie quotidienne où assez souvent le personnel militaire d’active oublie le grade de la personne avec qui il prend contact comme si le fait d’être dans le privé nous retire notre grade alors qu’il nous «appartient» et est aussi un témoignage de ce que nous avons été ou sommes parfois.
Lutte antiterroriste de l’Armée et inertie de la société civile
Tout récemment une embuscade montée par des terroristes contre une patrouille militaire a fait un tué parmi nos soldats. Qui n’a pas gardé en mémoire le visage juvénile de ce jeune caporal (Mohamed ben Belgacem) tombé en champ d’honneur? Si la presse écrite et parlée dans son ensemble a consacré quelques paragraphes pour commenter cette mort; l’on a, parcontre, peu entendu ou pas du tout les voix «civiles». Se peut-il que la mort d’un soldat ne soit qu’un évènement de routine somme toute banal? Que l’on ne me réponde pas qu’elle fut l’objet de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux. Quel impact? Aucun, notamment sur les consciences.
Peut-être que l’indifférence des civils a pour cause l’usure due à la morosité du climat politique.
C’est en effet, souvent qu’ici ou là, l’on entend cet argument pour expliquer l’inertie des civils. Pour réelle qu’elle soit, l’érosion ne saurait tout justifier. Sauf si l’on décide d’adhérer à l’amnésie collective boostée par l’impunité érigée en institution. Et sauf si l’on perd de vue que les terroristes, même défaits militairement, ne perdent absolument pas l’espoir de se redéployer. Vont -ils continuer à le faire dans l’indifférence totale des civils? En tout cas , l’Armée ne peut en aucun cas lutter contre l’indifférence et l’inertie de ceux qu’on appelle «société civile».
Quelle place pour le héros militaire dans notre société?
Par ailleurs, les soldats tués au combat se sont vu souvent affubler du statut de victimes et non de héros aussi bien par les politiques que par les médias. Ce décalage fait surgir la question de la place du héros dans l’imagination populaire.
D’après la définition antique, le héros est un demi-dieu, né d’un parent mortel et d’un dieu ou d’une déesse. Il est traditionnellement associé à la figure du guerrier. Il est respecté et admiré par les hommes pour sa bravoure, sa capacité de combattre et à vaincre sa peur. L’exemple du dernier accrochage avec l’ennemi, laisse penser que le héros traditionnel au sens militaire du terme est inconnu dans notre société où l’on préfère évoquer la notion de victimisation. La victime est une personne à qui il arrive un malheur de manière injuste, ce qui provoque émotion et indignation.
La question est alors de savoir s’il s’agit d’une tradition normale ou s’il est possible de donner une place d’honneur au héros militaire qui tombe sur le champ de bataille.
En fait le héros militaire existe mais il ne pourra trouver sa place qu’à travers un renforcement de la cohésion nationale autours de valeurs communes soutenues par le Pouvoir public.
L’Armée est avant tout le bras armé de la Nation. Le soldat est chargé de mettre en œuvre cette force conformément à la loi c’est-à-dire de manière loyale, en faisant son devoir. Ce devoir implique une confrontation dans laquelle il expose sa propre vie. Or, il faut du courage pour affronter la mort et surmonter sa peur. Il s’agit de la définition de l’héroïsme.
Héroïsme et état militaire sont donc fondamentalement liés. Ce qui ne signifie pas que le militaire ait l’apanage de l’héroïsme.
Mohamed Kasdallah, col (r)
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