Taoufik Habaieb: Dégager ces saltimbanques hideux
Sans vergogne, ils s’invectivent à tue-tête, attisant les passions. Fuites, allégations ravageuses, atteinte à l’honneur, carnages en direct: l’horreur est amplifiée par les médias et leurs relais. Tous inconscients de voir le pays s’embraser. Pour ces politiques, patentés ou illégitimes, le débat escompté, censé être programmatique, se réduit au buzz toxique.
Chacun veut déballer les dossiers, vrais ou faux, qu’il tient sur l’autre, sans se soucier des dégâts pour l’ensemble. Pillage des biens publics, usurpation de droits, trafic, malversation et autres abus en tous genres n’ont jamais été, il est vrai, aussi dévastateurs depuis la révolution. Les cagnottes sont bourrées. Les cadavres ne manquent pas dans les placards. La guerre des clans mafieux aux lance-bulles puants veut se draper de la dénonciation réciproque.
Jamais la «politique» n’a été aussi sale, aussi répugnante. L’euphorie des premiers jours de janvier 2011 a rapidement cédé la place au désenchantement.
Censées redresser le pays, les forces de l’opposition au régime déchu ont montré leur incompétence à le gouverner. Sans la moindre connaissance du fonctionnement de l’appareil et dépourvus, pour la plupart, du sens de l’Etat, chacun s’est laissé appâter, une fois aux commandes, par les attraits du pouvoir et la tentation des passe-droits.
L’arrière-garde traîne le pas et rechigne à quitter la scène, réconfortée en cela par la voracité de ceux qui veulent la faire dégager, doublée de leur incompétence.
La nouvelle génération incarnant l’antisystème désuet, porteuse d’un futur différent et meilleur, n’est pas encore née.
La fabrique de cette nouvelle élite politique, intellectuelle et créative, à même de présider aux destinées de la nation, reste à inventer. Les premiers réformistes tunisiens étaient nourris du siècle des Lumières. Les Jeunes Tunisiens, le Destour, puis le Néo-Destour, les mouvements scouts, la Jeunesse scolaire, l’Ugtt, le parti communiste, l’Uget, Perspectives, les ciné-clubs et autres groupes ont forgé, tout au long du siècle dernier, des générations successives de militants, intellectuels et leaders d’opinion. Autour de Bourguiba, ils ont été les bâtisseurs de l’Etat moderne.
Leurs valeurs fondatrices étaient le patriotisme, l’intégrité et l’abnégation. Toute leur énergie, malgré la différence d’idéologie, ils la mettaient au service de la nation, au profit du peuple. Destouriens, gauchistes, nationalistes arabes et autres luttaient pour des programmes, jamais pour des intérêts personnels. Ils nourrissaient des ambitions, mais pour la Tunisie, voulaient gouverner, non par amour du pouvoir, mais pour réaliser leurs visions. Personne ne songeait à se remplir les poches, à piller les biens publics, à s’arroger des passoires de trafic, à violer la loi et bafouer l’Etat. Ceux qui avaient essayé de s’y hasarder ont été rapidement châtiés par un Bourguiba aux aguets.
Son successeur n’y a pas résisté. Ceux qui sont entrés dans la République par effraction ont cassé le système et brisé les moules. Incapable de régénérer les élites, de cultiver les valeurs et d’endiguer la malversation, le régime a fini par imploser. La vertu s’est étiolée, étouffée par le népotisme, la corruption et la déprédation généralisée. A sonné alors la fin du politique noble, soucieux de l’avenir du pays, mobilisateur pour l’édification d’un Etat fort. Le tohu-bohu exacerbé ces dernières années n’a fait émerger, au mieux, que de guignolesques saltimbanques, hideux, n’amusant plus personne. Ni la Constituante de 2011, ni l’ARP de 2014, et encore moins les partis politiques, n’ont accouché de la nouvelle classe politique tant espérée.
La Tunisie millénaire, génitrice d’illustres figures, est-elle soudainement devenue stérile ?
De nouveaux moules sont à concevoir. La société civile, plus que tous les autres acteurs, doit s’y mettre. Les médias auront à y contribuer utilement. En barrant la voie aux professionnels de l’invective et du buzz. Et en donnant la parole aux autres Tunisiens, jusque-là tenus à l’écart, et aux jeunes pousses qui méritent audience. Le populisme a trop prévalu. Les vrais débats sur les questions fondamentales sont occultés.
Entre-temps, les finances publiques sont à la dérive. L’industrie, notamment le textile et cuir et chaussure, se meurt dans l’indifférence. Des syndicats réclament la tête du ministre de l’Education, agitant la menace d’une année blanche. La réconciliation politique et économique tarde à s’accomplir. Le plan de développement 2016 -2020 n’est pas encore voté. La date des élections municipales n’est pas définitivement fixée. Pourtant, même s'ils sont gavés de frustrations, les Tunisiens ne lâcheront pas prise.
Taoufik Habaieb
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Bien dit même si c'est encore en deçà des horreurs que nous vivons avec ces gouvernants impotents.
A lire cet expose si elogieux "de la belle epoque", on se demande pourquoi une revolution a eu lieu ???????
Bravo Si Taoufik pour ce cri sincère et du fond du cœur appelant à sauver notre pays . Vous ayant rencontré et admiré vos talents de jeune journaliste Il y a plusieurs années et ayant travaillé ensemble lorsque vous représentiez l'ATCT au Koweït, j'ai toujours apprécié votre engagement pour le service public et l'intérêt général avec abnégation et détermination. C'est sous ce témoignage que je partage votre analyse de la situation de notre pays et La nécessite urgente de sauver la Tunisie