La mise en valeur du patrimoine tunisien : enjeux et perspectives
En Tunisie postrévolutionnaire, la relation entre patrimoine culturel et développement économique est complexe car le fait de préserver l’image du passé ne peut constituer le seul remède face aux problèmes socio-économiques du pays. Cela peut cependant devenir un des pivots d’une stratégie de développement régional basée sur le potentiel historico-patrimonial des régions. En effet, ces « lieux de mémoires » constituent de plus en plus, aux yeux des opérateurs et investisseurs privés, un facteur essentiel d’implantation dans la Tunisie profonde. Néanmoins, le fait de construire à cotés des sites archéologiques, en vue d’assurer un avenir meilleur, n’est pas une tâche facile car il existe des forces politiques et des intérêts économiques puissants qui conduisent inéluctablement à la transformation des structures physiques et sociales de ces lieux historiques.
Le développement du commerce et la spéculation immobilière bouleversent la préservation et la mise en valeur du patrimoine matériel et immatériel dans les régions. Plusieurs sites prestigieux ont tout simplement été rayés de la carte sous la pression d’un développement économique anarchique. Au même titre que les investissements, la bonne gouvernance ou l’innovation technique, la fierté et l’identité culturelle peuvent être des facteurs de changements qui suscitent l’intérêt des pouvoirs publics et des investisseurs privés. Elles permettent aussi de générer des initiatives économiques importantes. En matière de patrimoine culturel, le développement économique et la mise en valeur d’un site sont révélés par le tourisme. Il est indéniable qu’autour d’un site patrimonial, « l’industrie touristique » enclenche un cycle vertueux qui génère des capitaux, des services, des emplois et donc des revenus. On constate d’ailleurs que les sites inscrits au patrimoine mondial, comme le site de Carthage, de Dougga (l’antique Thugga) ou encore d’El-Jem (l’antique Thysdrus), connaissent une croissance touristique fulgurante.
Toutefois, la mise en œuvre de plans de gestion pour la conservation du patrimoine par les collectivités locales ne suffit pas à protéger les sites culturels contre les dégradations causées par un tourisme de masse, comme le prouve l’état actuel du site de Kairouan. Cet impact négatif, dû à une surestimation des capacités d’accueil de ces sites, est difficilement mesurable. Le développement touristique doit être maîtrisé si l’on veut conserver durablement son patrimoine culturel. La conservation est souvent perçue comme un choix public coûteux. Restaurer et réhabiliter des bâtiments et des immeubles requiert des investissements lourds. La préservation d’une architecture traditionnelle est considérée comme une charge supplémentaire pour les populations, comme pour les administrations locales, tant il est vrai que les stratégies de conservation du patrimoine impliquent des ressources importantes (compétences scientifiques, assistance technique, contrôles budgétaires…etc.). Ainsi, la communication autour du patrimoine, tout comme sa mise en valeur, représentent un défi pour les acteurs publics et privés. Notre expérience tunisienne en la matière démontre qu’à moyen terme, ces coûts peuvent être compensés par un développement économique, notamment touristique. Les acteurs publics et privés ont un rôle différent, mais complémentaire, à jouer. Les pouvoirs publics ont le devoir de fixer des objectifs clairs, de prendre des mesures incitatives et de construire des outils de réglementation solides. Le secteur privé doit prendre conscience des opportunités offertes de bâtir un environnement socioéconomique de meilleure qualité en se basant sur les spécificités régionales et sur la richesse patrimoniale et folklorique du pays.
En d’autres termes, la durabilité implique un bon système de pensée, basé sur des objectifs précis, des outils et pratiques appropriés mais avant tout partagés par tous. Conserver le passé pour impulser un développement économique requiert, non seulement un engagement ferme de la part du public et du privé, mais également une planification rigoureuse dans la gestion du patrimoine national, c’est pourquoi une stratégie de conservation appropriée doit intégrer des mesures de préservation des structures sociales et associer les populations locales. De telles mesures sont prises et mises en œuvre en opposition aux tendances de modernisation des structures urbaines. Elles nécessitent donc une vision et une volonté politique forte, des compétences scientifiques et un soutien de la part de tous les acteurs institutionnels. Enfin, la conservation du patrimoine culturel n’a de sens que si elle s’inscrit dans une perspective à long terme. Or, le long terme est difficilement envisageable en matière de gestion urbaine. Un effort particulier doit être fait, et refait, en faveur de l’éducation de tous les acteurs concernés, et en premier lieu les populations impliquées dans ce processus pour donner un sens à la mise en valeur du patrimoine national en cultivant la culture de la diversité et de l’acceptation de l’autre.
Mohamed Arbi Nsiri
Historien
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