News - 17.08.2016

L’ambassadeur Mohamed Ibrahim Hsairi: Le Koweït tel que je l'ai vu entre 2004 et 2006

L’ambassadeur Mohamed Ibrahim Hsairi: Le KoweÏt tel que je l'ai vu entre 2004 et 2006

A mon arrivée au Koweït, au début du mois de février 2004, c’est-à-dire moins d’une année après l’occupation de l’Irak par les forces américaines et britanniques, ma première impression fut que les Koweïtiens étaient en proie à un étrange mélange de sentiments contradictoires: d’un côté, un sentiment de soulagement et de délivrance, parce que le danger irakien était désormais totalement écarté, et Saddam Hussein, leur ennemi juré, définitivement anéanti; et de l’autre, un sentiment d’affliction et d’aigreur parce que ces événements venaient remuer et raviver les souvenirs amers de l’invasion de leur pays un certain 2 août 1990…

Certes, le Koweït avait pu, depuis plusieurs années,  effacer les séquelles «physiques» de l’occupation irakienne et de la guerre de sa libération. Tout ce qui avait été détruit ou détérioré a été reconstruit ou réparé.

Toutefois, les séquelles «morales» causées par le traumatisme de l’invasion étaient encore vivaces au fond des Koweïtiens, et surtout de ceux, parmi eux, qui avaient vécu les affres de l’occupation irakienne, puis de la «Tempête du désert».

En réalité, les Koweïtiens, treize ans après l’invasion, non seulement ne pouvaient pas, mais ne voulaient pas tourner la page de cet épisode extrêmement douloureux de leur histoire. En témoignent les nombreuses publications qu’ils continuaient à sortir et qui, de jour en jour, venaient s’ajouter à la multitude d’écrits et de livres qui avaient été publiés durant les années précédentes sur «l’invasion irakienne et ses atrocités».

Par ailleurs, les Koweïtiens affirmaient qu’il n’était pas question de tourner la page de cette invasion tant que certains dossiers n’étaient pas définitivement réglés. Il s’agissait, tout d’abord, du dossier épineux de leurs 605 compatriotes disparus. Venait ensuite le dossier des indemnisations que l’Irak devait verser à leur pays à titre de réparations de guerre.

Il s’agissait également du dossier des avions que l’Irak a, juste avant le commencement de la «Tempête du désert», envoyés dans certains pays, dont la Tunisie. Outre qu’ils n’arrivaient pas toujours à comprendre et à «digérer» la position adoptée par notre pays au moment de l’invasion irakienne, les Koweïtiens tenaient à vérifier que les avions abrités par notre pays n’étaient pas koweïtiens ou qu’ils ne contenaient pas de composants (notamment des réacteurs) d’avions appartenant à la compagnie Kuwait Airways qui, faut-il le rappeler, réclamait à l’Irak 1,2 milliard de dollars de dommages et intérêts pour les dégâts subis à l’aéroport de Koweït City lors de l’invasion.

Afin de surmonter cette difficulté qui entravait une réelle reprise de la coopération entre les deux pays, j’ai dû déployer des efforts immenses, patients et résolus qui, fort heureusement, ont été couronnés de succès et ont permis à la commission mixte tuniso-koweïtienne de reprendre ses réunions à partir de 2006. Pour revenir aux séquelles morales de l’invasion irakienne, j’ajouterai que les Koweïtiens, qui étaient fiers de la position d’avant-garde que leur pays occupait au sein de la péninsule arabique, ne dissimulaient pas leur dépit en voyant d’autres villes comme Dubaï, Abu Dhabi et Doha prendre le dessus et surpasser leur capitale, Koweït City, qui, jadis, fut le modèle à suivre pour les autres cités du Golfe.

L’invasion irakienne avait, en effet, fait perdre au Koweït énormément de temps et d’argent, et donné  lieu à une longue période de peur et d’incertitude qui a freiné l’élan de croissance et de progrès qu’il connaissait depuis la création de son Etat indépendant en 1961. Désormais et pendant plusieurs années, la prudence était de mise tant de la part des investisseurs étrangers que de la part des Koweïtiens eux-mêmes qui préféraient placer leur argent à l’extérieur de leur pays.

Mais la chute de Bagdad et la disparition du régime de Saddam Hussein, et de Saddam Hussein lui-même, ont progressivement redonné aux autorités koweïtiennes et aux Koweïtiens confiance en l’avenir. Et c’est ainsi que le Koweït a commencé, depuis le milieu de la décennie 2000, à concevoir et mettre en œuvre de grands projets de développement qui devraient lui permettre de se rattraper et de s’imposer, de nouveau, au- devant de la scène régionale, voire au-delà.

L’exemple le plus édifiant de ces grands projets est celui de «la Cité de la soie» (Silk City ou Madinat al Harir) dont le coût est estimé à 88 milliards de dollars et qui, s’il est conduit à son terme comme prévu en 2023, transformera radicalement la ville de Koweït City et redonnera au Koweït sa place d’avant-garde d’antan.

En tous les cas, en quittant le Koweït en septembre 2006, j’étais convaincu que les Koweïtiens ne tarderaient pas à entamer leur marche vers la reprise de la place qu’ils ambitionnaient de tenir et le rôle qu’ils désiraient jouer dans leur région…

Et je crois que le cours des événements durant les dix dernières années est venu corroborer cette conviction…

Mohamed Ibrahim Hsairi
Ancien ambassadeur au Koweït

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