Opinions - 12.08.2016
La libération des femmes : une plus- value nationale
La situation de nos femmes, en dernière analyse oscille entre une dénonciation de la domination masculine qu'elles subissent, et un constat plein d'espoir quant aux réformes accomplies dans la conquête de leur égalité avec les hommes. Une très longue marche...parsemée d’embuches et émaillée de tracas certes mais à la fois mobilisatrice et exaltante vers la libération des femmes. A se demander justement au moment où nous célébrons sans grandes pompes, mais sans grandes convictions non plus , soixante années d’ indépendance ,de libération et d’émancipation mais aussi soixante années de domination masculine, de soumission féminine et d’exploitation économique.
Piquée au vif mais battante
Déceptions et errances, souffrances et frustrations, tourments et vicissitudes le parcours de la femme tunisienne se prolonge, piquée au vif mais battante, tenant encore le coup et revendiquant le droit de vivre sa vie. Dans la vie, en effet, il y a celle qui sait ce qu'elle veut et fait tout pour l'obtenir, ce serait bien le cas de la femme tunisienne, et celle qui se laisse porter par les événements , et un brin de fatalisme ,ce sacré « mektoub »,auquel elle croit ,des fois ,en est pour quelque chose. En proie à des hauts et des bas, mais finalement beaucoup de philosophie et de sagesse, nos femmes se décident en effet à vivre simplement et harmonieusement , continuant à garder le cap devant l’amour de la vie, de la famille ,de la patrie, et des belles choses ,à se donner, à se livrer, à se sacrifier, à se tuer à la tâche? En quelque soixante ans d’émancipation ,les femmes tunisiennes ont acquis tous les droits de base :,divorce par consentement mutuel, partage de l’autorité parentale :,I.V.G. vote, parité en politique … En somme, pouvoirs ,protections et garanties. On ne peut hélas pas dire la même chose de nombreux pays frères et amis dont certains européens tout proches où les femmes en sont encore à lutter pour une égalité souvent élémentaire. Les Tunisiennes ne sont plus dans la revendication mais à l’heure des bilans et des réajustements nécessaires. Grâce à la contraception, à l’accès massif aux soins , à l’éducation et au travail ,leur autonomie est aujourd’hui indiscutable et non négociable. Un pourcentage appréciable travaille. Dés l’école et à tous les niveaux de leurs études, les filles sont aujourd’hui meilleures :2/3 des candidats au bac et la réussite dans la même proportion pour représenter également les 2/3 des effectifs de l’enseignement supérieur. Devrions-nous nous en enorgueillir outre- mesure : la libération des femmes tunisiennes est en passe ,si ce n’est déjà fait, de devenir une plus- value nationale ?
Une forme d’excellence
Cette ascension, ce militantisme ainsi qu’une forme d’excellence des femmes dans de nombreux domaines ,dans l’enseignement supérieur ,dans la magistrature ou dans celui de la santé, posent d’ailleurs un problème qui touche à l’équilibre entre les deux sexes. Quoi qu’il en soit ,cette évolution concerne la plupart des pays disons tout autour de la Méditerranée, même si l’on observe des différences notables dans certains d’entre eux :les Italiennes et les Espagnoles continuent de payer le prix de leur émancipation tardive ,avec la remise en question de la maternité. On constate une évolution notable en Europe de l’Est où les femmes sont un moteur social fondamental, sans parler de la France ,de l’Allemagne ou de l’Angleterre où le rayonnement social ,culturel ainsi qu’économique n’est plus à prouver ,même s’il a été acquis au prix d’un féminisme « dur » avec ses dégâts collatéraux notamment dans le domaine de la vie sentimentale. Citons à titre d’exemple le million de femmes célibataires rien qu’à Paris et les quatre millions dans toute la France. A l’instar ou mieux encore que les Egyptiennes ,les Libanaises ou bien les Marocaines, les femmes tunisiennes s’accrochent bec et ongles à leurs acquis ,y tiennent encore ,comme à la prunelle de leurs beaux yeux ,nullement disposées pour tout l’or du monde à s’en priver ou à s’en séparer ,disons à leur corps défendant …
De nouveaux symboles de force
Au-delà des acquis formels, c’est également sur le plan symbolique que le féminisme triomphe :les qualités et les talents dits féminins – intuition ,sens pratique , capacité d’écoute ,endurance ,solidarité ,proximité ,abnégation ou empathie sont aujourd’hui de plus en plus valorisés par l’ensemble de la société. Ils sont même considérés comme de nouveaux symboles de force ,devrions-nous ,nous autres hommes, le constater, quoique à notre dépens ? Ce n’est plus l’élément masculin qui domine la société. Au contraire ,on aurait plutôt tendance à le remettre en question tant au niveau des valeurs archétypales qu’au niveau des comportements. En réalité ,les hommes connaissent une crise identitaire sans précédent ,et qui n’a pas encore produit le réajustement nécessaire face à la nouvelle donne féminine. A cet égard, nous mettons le doigt sur un paradoxe tunisien peu glorieux :malgré la présence massive des femmes tunisiennes dans le monde du travail, malgré leur excellent niveau professionnel ,elles ne montent que très rarement tout en haut de l’échelle. Comment est-il possible que les patronnes de grandes entreprises en Tunisie se comptent encore sur les doigts de la main? Comment se fait-il qu’elles ne parviennent pas à faire fortune ,disons par les voies légales ? Et à poste égal ,la différence entre le salaire d’un homme et celui d’une femme est toujours de l’ordre de 30 pour cent en sa défaveur ?
A l’honneur de la femme tunisienne
Les inégalités subsistent clairement, comme l’indiquent les chiffres officiels et officieux ,mais nous avons l’impression que le fond culturel sinon le poids des traditions, les ambitions et les opportunités y sont aussi pour quelque chose. Du coté positif ,on peut dire que l’attachement culturel à l’équilibre ,en tant que valeur fondamental ,a permis aux femmes tunisiennes de préserver les différents piliers de leur vie et de ne pas rompre avec les hommes. Du coté négatif ,tenue pour rivale ,le machisme bien arabe encore tapi ,se loge sans doute dans les profondeurs de l’inconscient collectif celui des hommes comme celui des femmes ,les empêchant d’être réellement égaux. On vient sans doute d’assister à une première ,avec l’arrivée à la tête de l’UTICA d’une femme ,à notre connaissance ,la mieux payée de tous ses confrères !Qui plus est ,vient de décrocher un prix Nobel, tout à son honneur et à l’honneur de la femme tunisienne. Mais, nous le répétions jamais assez , il reste encore un long chemin à parcourir. En attendant, provocantes, curieuses, indomptables, jalouses, vivaces ou timides ,elles continuent à faire tourner la tête aux hommes. Et ce ne serait, certainement pas la toute dernière loi, un chouia répressive, sur le harcèlement qui viendrait nous contredire sur ce point…
Indispensable , l'introduction du féminin
En dépit de tout ce qui leur arrive, de tout ce qui leur tombe sur la tête, en particulier ,des revers de fortune des cinq dernières années ,néanmoins , nous gardons confiance ,nous gardons espoir, nous croyons en nos braves femmes. Il nous arrive même, à nous autres hommes, de croire que ce sentiment fait partie de nous. L'introduction du féminin est indispensable, parait-t-il, pour combattre la complexité de la vie d'aujourd'hui. Nous sentons, des fois, que leur grand cœur pompe l'espoir et le diffuse dans toutes les parties de leur corps, où il leur réchauffe le sang et leur remonte le moral. Nous ne pouvons également que souhaiter que la société civile, à travers ses différentes composantes , débatte et s'investisse sur ces questions, comprendre les visées et les principes qui furent et le demeurent encore ceux des mouvements de libération et qui en justifièrent l'existence. Nous sommes convaincus également qu'une avalanche de calamités ne peut pas écraser une révolutionnaire déterminée, en l’occurrence la femme tunisienne, pas plus que la fumée obscure qui accompagne de telles tragédies ne peut la faire suffoquer.
Fethi Frini
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