Opinions - 23.06.2016

Le service national soixante ans après: une refonte inéluctable?

Le service national soixante ans après: une refonte inéluctable?

La Constitution tunisienne de 2014, comme celle de 1959, en instaurant le service national obligatoire, prévoit que l’armée tunisienne soit constituée dans sa grande majorité de conscrits, «de jeunes citoyens tunisiens accomplissant ce devoir national». L’actuelle loi N°1 du 14 janvier 2004 en définit les modalités. Seulement, malgré les menaces et risques qui guettent le pays, de nos jours, le système de conscription souffre d’un dysfonctionnement total. Le nombre de jeunes effectivement incorporés dans l’armée avoisine les trois mille cinq cents par an, un nombre absolument dérisoire au vu des besoins réels de l’armée confrontée, déjà depuis plusieurs années, à de multiples menaces, alors que ces besoins en effectif s’élèveraient à de nombreuses dizaines de milliers par an.
C’est peut-être pour cela que Monsieur le Président de la République, Commandant suprême des forces armées, a annoncé, depuis le 24 juin dernier, une consultation nationale visant la «refonte du cadre juridique de la conscription»; mais malgré son caractère urgent, cette consultation tarde à être initiée.

Il est évident que pour réussir cette réforme, il faut d’abord identifier les raisons du dysfonctionnement constaté. Celles-là peuvent être résumées comme suit:

  • Le manque de détermination des autorités politiques à appliquer les textes déjà en vigueur, ce qui a encouragé le désintérêt total de la société à l’égard de ce devoir et de cette institution même ;
  • L’absence d’universalité et d’équité entre les jeunes Tunisiens face à ce devoir : les fils des familles nanties, les plus éduqués, ceux des régions favorisées se dérobent facilement, au vu et au su de tous, à ce devoir national(!) Les affectations individuelles, notamment dans le secteur privé, n’ont fait qu’aggraver les injustices et vider ce service sacré de tout sens et contenu.

Les propositions ci-dessous présentées, à titre de contribution personnelle à un éventuel projet de réforme du système de conscription, tiennent compte du concept même de ce devoir en tant que besoin sécuritaire national incontournable, des valeurs qu’il incarne, des menaces et risques, des besoins de l’armée en ressources humaines, des potentialités et grands choix nationaux et aussi des nombreuses opportunités qu’il offre au jeune enrôlé même et à la nation entière.

1. Les modes de service national proposés

Ces modes, ensemble, tendent à assurer dans les faits l’universalité et l’équité. Ainsi, ce service devrait impliquer, en premier lieu, les lauréats de l’Université, les fils des familles aisées et des régions favorisées, et ce dans les mêmes conditions et au même titre que leurs pairs moins fortunés. Trois différents modes de service sont envisagés:

  • Le service militaire : au sein des unités de combat et celles de développement national. Etant l’essence même du service national, les besoins des unités militaires sont à satisfaire en toute première priorité.
  • Le service paramilitaire : au sein des forces paramilitaires pour accomplir les tâches qui ne nécessitent pas une grande expérience et une longue formation, mais plutôt de bonnes aptitudes physiques ou de spécialisations techniques particulières dont peuvent bien bénéficier les jeunes de la vingtaine. Cette mesure permettra de satisfaire, aux moindres coûts pour l’Etat, les besoins en ressources humaines des différents corps paramilitaires : forces de sécurité intérieure (garde nationale, police, brigades de l’ordre public…), protection civile et autres services.
  • Le service civil : au sein des différents établissements et institutions civils publics, dans les domaines et régions où le besoin s’en fait sentir, tels que la santé, l’éducation, la préservation de l’environnement, la conservation du patrimoine…

Bien évidemment, quel que soit le mode adopté, tous les jeunes doivent suivre une formation militaire de deux ou trois mois, la Formation commune de base (FCB). Par ailleurs, la durée du service national variera selon le mode du service, si le service militaire est de 12 mois, le service civil durera 20 ou 22 mois par exemple.

2. Des incitations et aussi des mesures coercitives

Pour atteindre les buts recherchés, le projet de loi envisagé devra comporter des mesures incitatives et en même temps, d’autres coercitives. En voici quelques suggestions:

  • Conditionner le recrutement dans le secteur public et aussi privé à la présentation d’un justificatif de la régularisation de la situation du candidat vis-à-vis du service national;
  • Inclure la période passée en service national dans l’ancienneté pour : la promotion dans le grade, le départ à la retraite et tout autre avantage;
  • Garantir au jeune ayant accompli son service national le retour d’office à l’emploi qu’il occupait avant de rejoindre l’armée et ce même en surplus des besoins de son employeur. Aussi, il bénéficiera de tous les avantages d’ancienneté, de promotion et autres comme s’il n’avait jamais quitté son emploi;
  • Exiger la régularisation de la situation vis-à-vis du service national pour toute:

- Candidature à un poste électif de représentant du peuple et ce quel que soit le niveau concerné, local, régional ou national;
- Désignation dans les hautes fonctions de l’administration publique à partir de directeur général ou équivalent et plus;

  • Renforcer les peines prévues à l’article 66 du Code de justice militaire à l’encontre de ceux ne répondant pas à l’appel du service national;
  • Accorder aux filles, seulement à titre de volontariat, l’accomplissement du service national et ce dans les mêmes conditions que les garçons.

Il est vrai qu’il ne s’agit nullement de mesures populaires qui seraient applaudies et acceptées avec grande joie donc à annoncer lors d’une campagne électorale, mais elles sont certainement nécessaires et largement justifiées par l’intérêt national et le devenir du pays, ce qui est suffisant pour oeuvrer à les faire admettre aux jeunes et à l’ensemble des Tunisiens.

Cela exige certes un effort de sensibilisation, beaucoup de pédagogie et enfin de la fermeté. En plus des combattants, l’armée a aussi besoin de jeunes de haut niveau de formation dans tous les domaines : l’ingénierie, la maintenance et la mise en oeuvre d’équipements complexes, les TIC, la santé, le génie…ainsi que les sciences humaines. Et puis, ces jeunes diplômés ne sont-ils pas les futurs cadres et dirigeants de la nation ? Et à ce titre ne doivent-ils pas être les premiers à donner l’exemple et s’acquitter de leur devoir national constitutionnel sacré? Ne doivent-ils pas s’initier aux problématiques de défense et sécurité nationale en préparation à d’éventuelles hautes responsabilités?

D’ailleurs, c’est avec l’engagement de ces cadres que sera possible le renforcement de la contribution de l’armée à l’effort de développement national, où elle se trouve chargée de la réalisation d’importants projets d’infrastructure dans des zones où les entreprises civiles, pour des raisons sécuritaires ou de rentabilité, ne peuvent pas ou ne veulent pas s’y engager. Après R’jim Maatoug, les routes reliant Kebili à Tozeur, Douz à Matmata, Remada à Dhéhibat et tant d’autres oeuvres réalisées par l’armée, pourquoi ne songerait-on pas à d’autres grands projets au sud du pays pour le mettre en valeur, lutter contre la désertification et, du même coup, réduire le chômage et préserver nos jeunes de toute forme d’extrémisme et de délinquance?

Par ailleurs, le service national offre au jeune l’occasion de se former physiquement, mentalement, socialement en côtoyant des concitoyens d’autres milieux géographiques et sociaux, de se forger une personnalité et pourquoi ne profiterait-il pas d’une formation professionnelle nationalement reconnue, le qualifiant à mieux appréhender le marché de l’emploi.

En même temps, ce service reste pour la nation une école «pratique» de patriotisme, de valeurs de civisme, de vivre-ensemble malgré les différences culturelles, sociales, régionales ou autres. Bref, l’armée n’est-elle pas le milieu idéal d’intégration sociale ? Aussi ne sommes-nous pas à la recherche d’un idéal, de valeurs ou d’une institution qui rassemble, qui sert de repère? «S’autoréaliser et construire son pays à travers l’armée» seraient peut-être une devise motivante?
La Tunisie abonde de jeunes qui ne demandent que de bonnes causes pour s’y investir sans compter, à condition que les sacrifices demandés soient universels et égalitairement répartis, en fait de l’équité et de la justice.

Ainsi le service national de demain garantira:

  • La défense du territoire et la protection de la population;
  • Une large contribution au développement du pays;
  • et aussi la formation du jeune soldat en tant que «Citoyen responsable».

Bref, cette forme de service national ci dessus poposée, permettra de doter le pays d’une véritable «Armée citoyenne».
Enfin, il est toujours utile de rappeler qu’un peuple sans volonté, fermement et clairement affichée, de se défendre et d’y consentir les sacrifices nécessaires, n’a pas de place parmi les nations dignes de respect. Que Dieu garde la Tunisie!

Général de Brigade (R) Mohamed Meddeb

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