Tunisie: Dialogue National sur l’Emploi…Un pétard mouillé!
Nulle besoin de lire dans le marc de café, pour affirmer d’emblée que cette nouvelle conférence initiée à grand renfort médiatique accouchera d’une souris. Il n’y a là aucun mauvais esprit ni aucune malveillance, juste une prémonition ou mieux une prédiction. Ailleurs, disait Clémenceau, « quand on veut enterrer un problème, il suffit de créer une commission », chez nous, il suffit d’appeler à un dialogue national. Le premier dialogue, dont le succès retentissant est dû à des conditions tout à fait exceptionnelles, ne peut être reconvoqué de manière aussi formelle dans les circonstances présentes, plus ordinaires. L’enjeu est tout autre et ne met pas en péril l’unité nationale, quoique ! La question de l’emploi relève plus d’une logique de la consultation que de celle de l’association à la décision. Car ce gouvernement issu d’une coalition sortie des urnes entend bien gouverner et diriger…c’est le moins que l’on puisse attendre en fixant d’emblée les contours et les limites de cette concertation.
Une formule donc déjà utilisée à plusieurs reprises si l’on y a ajoute, celles très voisines des assises nationales ou des symposiums. Un même protocole, un même cérémonial, une même organisation, un même recours à des experts censés fonctionner en ateliers sur des thématiques disjointes et déboucher sur des recommandations « unanimes ». Comme sur d’autres questions essentielles l’injonction au « consensus » est de mise.Ici l’emploi,-comme objet central du dialogue-, n’échappe pas à la règle récurrente et implicite qui en fait un objet totalement dépolitisé, rendu à de simples questions techniques. Il est vrai que le gouvernement, président comme premier ministre, a tout de même prévenu qu’il n’avait pas de baguette magique et que l’heure était à la stabilisation des finances publiques. Ce qui est donc demander à des experts n’est pas tant de participer à l’élaboration d’une nouvelle politique de l’emploi, que d’explorer et de suggérer des pistes de nouvelles opportunités de création d’emplois : Niches inexploitées ne requérant pas l’intervention de l’Etat, ou encorereconversion des demandeurs d’emplois vers une meilleure « employabilité ».
Il n’est donc pas question d’interroger la logique et les ressorts de la création d’activités et d’emplois mis en œuvre depuis des décennies, question pourtant centrale, que de dénicher à la marge quelques solutions supplétives. La doxa reste inchangée. L’emploi est affaire d’initiative privée et de son investissement.On peut d’ores et déjà conjecturer sur les « solutions » dont pourrait bien accoucher ce dialogue organisé autour d’un aéropage d’experts et de personnalités indépendantes : une simplification des procédures administratives, une améliorer le climat général des affaires, favoriser l’essor de l’auto-entreprenariat, mais aussi l’économie sociale et solidaire. Toutes choses, -on l’aura compris-, accompagnées comme il se doit par une nouvelle incantation à la lutte contre la corruption qui détruit toute velléité d’entreprendre ! Certains se risquent même déjà à dire qu’il faudrait entamer une révolution des mentalités. Excusez du peu ! On devrait donc en toute logique avoir droit à un couplet lu ici-même, dans ces colonnes…sur la nécessaire « conversion de la mentalité d’assisté, de la paresse et du partisan du moindre effort chez le jeune tunisien pour le préparer à la mentalité d’initiative et pour goûter aux plaisirs de l’effort personnel et de la réussite individuelle ».
Difficile de faire mieux en matière de culpabilisation des chômeurs qui, - Oh sacrilège-, attendent des réponses de leur Etat. Les participants peuvent donc solliciter toutes leurs facultés d’imagination et d’innovation et proposer des réponses….quelles crédibilité, consistance, et practicalité peut on leur accorder quand les sources de financement sont quasi-inexistantes. Le crédit bancaire suite à sa crise profonde se fait parcimonieux, les fonds d’investissements pingres et lésineux, les ressources budgétaires au bord de l’asphyxie se font toutes aussi rares.
Loin de nous d’accréditer l’idée que cette rencontre serait totalement vaine et inutile, la rangeant d’emblée dans la catégoriedes stratagèmes et des diversions du gouvernement pour éviter d’affronter seul et de face cette question lancinante du sous-emploi et son cortège de souffrances immédiates comme différées.Nous avons, dans ces mêmes colonnes, énoncé et soumis à réflexion des pistes autour du « traitement social du chômage », pour peu que l’on veuille bien toucher à des leviers clés. Voir notre papier: « Ce qui devait arriver…arriva ! Et pourtant des solutions existent!
Il y était question d’une taxe exceptionnelle de 0,5% assise sur la masse salariale du secteur privé (entreprises de plus de 5 salariés) comme du secteur public et parapublic (administration et entreprises nationales) et des professions d’intermédiation (libérales). Une sorte de CSG (contribution sociale généralisée). Ressource additionnelle bien que provisoire qui rapporterait un montant avoisinant 700 MDT (l’équivalent de 0.04% des ressources propres du budget soit moins de 0,01% du PIB). Un surcroit de moyens qu’il conviendrait de mettre en regard du coût moyen de formation d’un stagiaire à raison de 6 heures par jour, sur une durée moyenne de six mois de l’ordre de 14.000 DT, soit près de 50.000 jeunes réoccupés. 50.000 jeunes qui suivraient des formations en alternance (en entreprise) après des remises à niveau plus ou moins importantes selon les acquis.
Quoiqu’il en soit toutes les solutions pensables nécessitent la mobilisation de moyens nouveaux, au-delà du périmètre des possibilités du moment. Des solutions qui risquent fort de se heurter à une fin de non-recevoir, tant le gouvernement, son ministre des finances et le banquier central campent sur le respect des règles en usage, toutes empreintes d’orthodoxie financière, et de sanctuarisation des normes fiscales ou parafiscales des entreprises ou prudentielles du secteur bancaire public. Pour reprendre une expression toute récente et vouée à un avenir certain, le pouvoir actuel est bien plus préoccupé du « Corporate Welfare » que du « Welfare State »…la campagne des élections primaires aux Etats-Unis est à cet égard particulièrement instructive quant à la remise en cause des traits dominants de la « state policy » conduite depuis des décennies.Observez…vous serez édifiés !
Bien plus que de la médisance, c’est de perplexité et de scepticisme dansnotre propos qu’il s’agit ici et dont ce papier veut se faire l’écho. Ce gouvernement manque de courage et d’audace et espère déléguer ou faire partager à ce dialogue national cette gestion de la pénurie.
Alors il est vrai des miracles sont toujours possibles….il suffit juste d’y croire !
Hédi Sraieb
Docteur d’Etat en économie du développement
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Excellent !!