News - 06.03.2014

De Fontaine Vive à Leaders: La Tunisie est à la 2è phase de sa transition :«le front économique»

Le Vice-président de la Banque Européenne de l’Investissement, Philippe Fontaine-Vive est un tunisien de cœur et il ne le cache pas. Quand il en parle il a l’œil qui brille. Son regard devient pétillant. Pour lui qui a l’habitude de venir dans notre pays se rappelle qu’il y était en février 2011, quelques semaines après la victoire de la Révolution. «C’est extraordinaire, ce qui se passe ici. Maintenant on ne s’en rend pas compte mais un jour nous dirons: j’y étais», dit-il avec gourmandise. En raison d’un long séjour à Paris, pour ses études à l’ENA et à Sciences Po et ses fonctions au Trésor, où se retrouve «la crème des crèmes» de l’élite française puis au Luxembourg en tant que «Senior Vice President» de la BEI, ce Marseillais a perdu un peu de l’accent chantant des méridionaux, n’oublie pas sa Méditerranée natale dont il veut faire un «lac de prospérité partagée» entre les pays du Sud de l’Europe et du Nord de l’Afrique avec une prédilection pour la Tunisie.

«Il y a eu déperdition d'énergie sur le politique»

Pour lui, nul doute qu’il y a une «exception tunisienne». De tous les pays de la région, la Tunisie est la seule à disposer d’une large classe moyenne, gage de stabilité et d’une élite de qualité garante de l’excellence, analyse-t-il avec philosophie. Il est admiratif du haut niveau des membres du «gouvernement de compétences» formé autour de M.Mehdi Jomaa dont il apprécie les grandes qualités. Arrivé le soir même où était diffusée la première prestation télévisée du Chef de gouvernement, il ne tarit pas d’éloges sur l’homme, sa franchise et le devoir de vérité dont il s’est acquitté admirablement.

Pour lui, que la situation des finances publiques soit  «plus difficile que prévu», selon les propres mots de M.Jomaa, ce  n’est pas à proprement parler une surprise. Depuis plus deux ans, entendez l’élection de l’ANC et la mise en place du gouvernement de la Troïka, vous étiez dans une «phase fondamentalement politique», dit-il. «L’énergie s’est concentrée sur les sujets politiques» pour ne pas dire sur les tiraillements partisans. Il ne fait pas de doute pour notre interlocuteur, qu’il y a eu «déperdition d’énergie» sur le politique, alors  que l’intérêt pour l’économique et le financier «s’est étiolé». La BEI qui dispose d’une représentation à Tunis l’a d’ailleurs remarqué, puisque la «prise décision» se fait attendre parfois plusieurs mois pour une simple autorisation administrative, ce qui se traduit pas un retard dans le décaissement de l’argent par la Banque.

Avec la promulgation de la Constitution et la formation du gouvernement de Mehdi Jomaa, la Tunisie est désormais à la deuxième phase de sa transition «le front économique», comme pour nous dire que c’est celui-là qui est au cœur même de la transition; car le Tunisien attend surtout l’amélioration de ses conditions de vie, de son mieux-être, de «ressentir que maintenant il vit mieux qu’avant», dit notre interlocuteur.

Les années 2014 et 2015 seront difficiles en Tunisie

Il donne raison à M.Jomaa d’avoir appelé à un «changement de mentalités» dans une quête de modernité et d’efficacité, estimant que c’est une réaction de «manager» qu’il montre plus que d’un homme politique classique. Si cela se confirme dans les faits, il est persuadé que, pour la BEI, les capacités de création de projets et de décaissement de l’argent à cette fin passeront du simple au double, c'est-à-dire de 200 millions d’euros (430 millions de dinars) à 400 millions d’euros (860millions de dinars) par an. Dans ce cadre, il nous cite l’exemple de la deuxième tranche d’un prêt destiné aux PME qui était en attente de ratification par l’ANC depuis plusieurs mois. Il y a quelques jours, cette ratification a été agréée de sorte que nous allons engager cette tranche d’ici l’été au plus tard. Ce qui est pour lui une bonne nouvelle et une indication que les choses changent enfin.

Interrogé sur les raisons de la tenue du workshop  qu’il est venu inaugurer à Tunis au cours de cette visite sur les «opportunités de la méso finance en Tunisie», le Vice-président de la BEI a expliqué que si pour l’accès du microcrédit, c'est-à-dire par exemple donner des moyens à une ménagère pour acheter un métier à tisser est maintenant facilité, par le recours aux associations de développement, il reste un segment qu’il nous faut occuper qui est celui des Petits entrepreneurs sinon des micro-entrepreneurs qui sont  à la recherche de quelques milliers de dinars pour lancer leurs projets. C’est un gisement pour créer des sources de revenus pour les jeunes notamment les diplômés de l’université. C’est l’objet de cet atelier. La BEI a organisé cette rencontre entre des professionnels, des décideurs et des représentants du secteur privé afin de proposer des outils et des solutions novatrices pour le développement des PME et améliorer leurs capacités à créer des emplois. Il observe  que les banques classiques, trop conservatrices à son gré ignorent ce segment et  de ce fait, elles passent à côté de réelles opportunités. Ce n’est pas spécifique à la Tunisie. En Europe aussi on le rencontre. C’est pour cette raison, que la BEI cherche des voies pour aller au-delà du guichet bancaire pour accompagner les entrepreneurs dans  la création de leurs projets. A cet égard, il préconise une coopération entre la BEI et la Banque du financement des PME (BF-PME) pour accroître les capacités de création des Petites et Moyennes Entreprise afin de doper la croissance. Il met l’accent sur la nécessité de rendre le dispositif de financement des PME plus simple. De son point de vue les années 2014 et 2015 seront difficiles en Tunisie et il y a besoin du «reingeering» des dispositifs de financement des PME afin de pouvoir utiliser les fonds européens de façon professionnelle et rapide.

Comme on lui demande si la BEI est disposée à accompagner la réflexion sur la réforme du modèle économique tunisien préconisée par le Chef du gouvernement pour le moyen et long terme, la réponse fuse rapidement: «Si le gouvernement nous le demande, nous  viendrons très volontiers, nous nous prêterons à l’exercice, mais évidemment tout cela devrait être piloté par les Tunisiens». Il se dit prêt aussi à partager avec notre pays l’expertise de la BEI dans le domaine du tourisme. «Nous travaillons avec l’Egypte sur le tourisme durable en Méditerranée et nous sommes évidemment disposés à nous associer à la nécessaire montée en puissance de l’offre touristique tunisienne», précise-t-il avec les préalables que sont la libéralisation de l’offre aérienne, la remise en ordre du dispositif de traitement des encours des crédits bancaires et bien sûr le retour de la sécurité. La BEI se dit par la bouche de son vice président également disposée à assister la Tunisie dans la restructuration du secteur bancaire public.  

Comme nous lui suggérons la constitution d’une sorte de cellule de concertation informelle entre les représentants de la BEI et des acteurs de la société tunisienne (économistes, financiers, banquiers, sociologues, communicateurs…) afin d’envisager une adéquation entre les besoins de la Tunisie et les opportunités qu’offre la BEI, M. Fontaine Vive observe un temps d’arrêt. C’est que sa banque est soucieuse de ne rien faire qui ne soit pas demandée par les autorités tunisiennes. C’est une ligne rouge qu’il ne veut transgresser à aucun prix. Il trouve, néanmoins, l’idée séduisante. Cela tombe bien puisque; ajoute-t-il, «la représentation de la BEI en Tunisie va doubler ses effectifs avec l’arrivée d’un expert et de deux analystes».
Faisant avec lui le tour d’horizon de l’action de la BEI dans les pays du voisinage, il déplore que faute d’un accord cadre entre l’Union Européenne et la Libye, «il n’y pas de possibilité pour sa banque d’accompagner le volet économique du  changement politique majeur dans ce pays». Avec l’Egypte, il ne cache pas que les choses sont très différentes d’avec la Tunisie. «En Egypte, il manque deux éléments cruciaux que vous avez en Tunisie, une élite et une classe dirigeante importante et homogène, alors que les  inégalités sociales sont criardes». Concernant  l’Algérie, il dit que son «grand regret» est que ce pays ne veut pas faire appel par principe aux financements extérieurs, alors qu’il y a «un potentiel magnifique» qui lui profitera en lui donnant deux points supplémentaires de croissance.

En quittant M. Philippe Fontaine Vive on ne peut imaginer trouver meilleur avocat que lui  pour plaider la cause de la Tunisie auprès des instances européennes. Sa vocation méditerranéenne, sa préoccupation à faire  de notre mer commune un trait d’union et non une ligne de séparation, mais aussi l’amitié qu’il nourrit envers la Tunisie et les Tunisiens sont telles qu’il ne peut rien nous refuser. Le gouvernement de compétences de Mehdi Jomaa par la qualité de ses hommes et femmes, leur engagement d’être au  service de leur pays  dans cette phase cruciale de sa transition démocratique est un atout et un gage de réussite. Il trouve le terme de «service national» choisi par M. Jomaa pour le recrutement de ses ministres tout à fait adéquat et approprié. Il ne veut ni ne peut imaginer qu’une telle équipe puisse échouer. «Le modèle tunisien» fera tâche d’huile, il en est plus que convaincu. L’Europe ne peut que prêter main forte à la Tunisie maintenant qu’elle est au «cœur battant» de sa transition, l’économique et le social,  pour que les Tunisiens récoltent les dividendes de la Révolution dans la vie de tous les jours et réalisent la dignité à laquelle ils aspirent, c'est-à-dire l’emploi pour ceux qui en sont dépourvus et des meilleures conditions de vie, un mieux-être pour tous.

R.B.R.

Tags : Banque europ   ENA   Leaders   Mehdi Jomaa   Tunisie  
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1 Commentaire
Les Commentaires
T.B. - 07-03-2014 02:29

Bonne chance à Mr le vice-president de la BEL en Tunisie, nous espérons de plein succes à la BEL et la Tunisie.

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