News - 07.08.2013

L'Egypte, n'est pas la Tunisie ? Voire

La scène se passe le samedi 26 juillet 1952 (il y a soixante et un ans presque jour pour jour)  sur les quais du port d’Alexandrie. Il  est 18 heures, heure limite fixée par «les officiers libres» qui venaient de le déposer, pour quitter le pays. Faute de quoi, «Votre Majesté sera responsable des conséquences d’un refus éventuel de se  conformer  à la volonté du peuple».  Arrière-arrière-petit-fils de Mohamed Ali, fondateur de la dynastie, Farouk s’apprête à embarquer pour la dernière fois à bord du yacht royal, «El Mahroussa», après avoir abdiqué au profit de son fils, Fouad II, à peine âgé de six mois. Sur le quai, le nouveau chef d’état-major de l’armée, le général Mohamed Naguib, est  venu le saluer. Le yacht appareillera  quelques instants plus tard, alors qu’une salve de 21 coups de canon est tirée. Un conseil de régence est aussitôt mis en place. Il devait siéger jusqu’à la majorité du nouveau roi. Mais face aux défis extérieurs et  la situation économique du pays, la république sera proclamée moins d’un an plus tard.

Cette transition douce n’est pas sans analogie avec la déposition, cinq ans plus tard, de Lamine 1er, dernier monarque de la dynastie husseinite qui avait gouverné la Tunisie depuis 1705,  même si le roi égyptien a été traité avec plus d’égards que son homologue tunisien. Dans les deux cas, l’opération s’est déroulée sans effusion de sang, parce que le pouvoir n’était  pas à prendre, mais à ramasser, parce que ses auteurs dans les deux pays s’étaient fait un point d’honneur de respecter la légitimité, parce que l’opération a été vécue par la majorité de la population comme une délivrance. En Tunisie, ce sont les élus de la constituante  qui ont voté à  l’unanimité la déposition de Lamine 1er. En Egypte, lorsque le roi reçut l’ultimatum des « officiers libres », lui enjoignant d’abdiquer,  il demanda au vice-président du Conseil d’Etat si «le document avait une quelconque légitimité». La réponse a été  oui «si nous nous référons  au  préambule de la constitution» (1).

A elle seule,  la scène du départ de Farouk est révélatrice de l’état d’esprit des militaires égyptiens.  Depuis sa création,  en 1922, l’armée,  si décriée aujourd’hui par les partisans de Mohamed Morsi, a eu l’occasion à plusieurs reprises de prouver son légalisme. En 1952, bien sûr, malgré les graves reproches qui  pouvaient être  faits au roi Farouk, véritable concentré de défauts en comparaison duquel un Ben Ali ou un Kadhafi apparaîtraient comme des parangons de vertu, mais aussi lors de la révolution du 25 janvier 2011, où elle avait pris fait et cause pour les jeunes de la place Ettahrir, et tout récemment, en déposant Morsi pour éviter une guerre civile. L’accuser d’avoir réalisé un coup d’Etat ne résiste pas à l’examen ou alors, on devrait classer dans cette catégorie le retour de de Gaulle aux affaires en 1958, qui a fait éviter à son pays une guerre civile, la révolution des œillets au Portugal en 1974 qui a renversé l’un des pires dictateurs du XXe siècle, Salazar, qui avait fait de son pays le plus arriéré d’Europe et même la révolution iranienne de février qui a abattu une monarchie en total déphasage avec son peuple.

Entre la Tunisie  et l’Egypte, il existe certes des différences,  notamment le poids démographique (11 millions contre 90) et la place de l’armée dans la société. Avec ses 400 000 hommes et son poids économique, l’armée égyptienne  constitue un  Etat dans l’Etat. Chez nous, c’est le parti, hier unique, aujourd’hui dominant qui bénéficie de cette position. En contrepartie, les similitudes sont nombreuses. Les deux pays possèdent une forte tradition étatique. Depuis la conquête arabe, des liens très étroits se sont noués. C’est de Mahdia que les Fatimides partirent en 975 à la conquête de l’Egypte. C’est au Caire, fondé par le Tunisien El Moez, qu’un autre Tunisien illustre, l’historien Ibn Khaldoun, fuyant les intrigues de son rival l’imam Ibn Arafa, a  choisi de terminer sa vie. Dans l’un de ses ouvrages, Vincent Monteil souligne «le fort courant d’échanges entre la Tunisie et l’Egypte» ainsi que la place de choix exceptionnelle qu’occupent les deux pays dans le domaine de la culture. On pourrait y ajouter la contribution des penseurs et des ulémas des deux pays au mouvement des idées dans le monde arabe à partir du XIXe siècle.

Dès lors, il ne faut pas s’étonner que le moindre évènement qui se produit dans l’un de ces deux pays  trouve immédiatement un écho dans l’autre. Les dirigeants  d’Ennahdha ne s’y sont pas trompés qui ne cessent de répéter sur le mode incantatoire, depuis l’éviction de Morsi, que la Tunisie n’est pas l’Egypte, qu’Ennahdha a choisi, contrairement aux «frères» égyptiens, de s’allier à d’autres partis et de rechercher le consensus. De même qu’on peut comprendre l’agressivité de certains dignitaires du mouvement qui n’hésitent pas à menacer d’un bain de sang leurs compatriotes qui seraient tentés de descendre dans la rue, alors que d’autres s’accrochent à cette fameuse loi d’immunisation de la révolution comme à une ultime planche de salut.  L’onde de choc de cet évènement finira tôt ou tard par atteindre notre pays. Les islamistes arabes sont en train de payer le prix de leur impatience  d’accéder au pouvoir alors que, de toute évidence,  ils n’y étaient pas préparés.

(1) les citations sont tirées du livre de Gilbert Sinoué, Le colonel et l’enfant-roi, éd. J.C Lattès, 2006.

Héd Béhi

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6 Commentaires
Les Commentaires
Dr. Néjib BOURAOUI (Politologue) - 07-08-2013 15:19

Dissoudre l'ANC veut dire aussi démolir le dernier socle sur lequel repose la légitimité du pouvoir démocratique postrévolutionnaire en Tunisie ! En politique, il n’y a pas plus dangereux que le nihilisme et le vide! En plus, réclamer une politique consensuelle pour continuer à gérer les affaires de l’Etat par un comité anti-démocratiquement « rafistolé » et comparer la situation politique d'aujourd'hui avec celle de Janvier-Septembre 2011 relèverait d'un anachronisme ridicule et malsain! Aujourd'hui et en dépit de certains accidents de parcours graves et regrettables, l’infrastructure politique tunisienne est dotée d’organes constitutionnels (ANC et Gouvernement !) créés par le pouvoir des urnes et constitués par la volonté démocratique de notre peuple. L’ANC, malgré les tiraillements politiques et les retards cumulés dans l’exécution de ses tâches, s’apprête aujourd’hui à finaliser la première constitution démocratique de la Tunisie de tous les temps ! En outre, le nouveau comité d’organisation des élections est aussi presque complètement constitué et sa finalisation nécessite encore une ou deux réunions au sein de l’ANC! Dans cette perspective, la position claire et sage de l’UTICA et de l’UGTT contre la dissolution de l’ANC a déplu remarquablement à certains partis de l’opposition qui souhaiteraient gouverner la Tunisie par le pouvoir de la rue et de la politique du « lèves-toi que je m'y mette », optant ainsi pour la voie de l’affrontement, l’anarchie et la guerre civile qui ne feraient que mettre en péril nos biens et nos acquis et le présent et l’avenir de nos enfants! Cependant, cette analyse de la situation politique actuelle en Tunisie n’aspire en aucun cas à cacher l’échec cuisant du gouvernement de la Troika dans la gestion des affaires de l’Etat. Mises à part quelques rares exceptions, l’équipe gouvernementale actuelle s’est avérée inexpérimentée et mériterait, de ce fait, d’être remerciée et remplacée par des technocrates désignés sur des critères de compétence, mais pas sur des critères d’allégeance partisane ! Lesdits technocrates doivent jouir de la confiance de tous les partis politiques (y compris d’Ennahdha !) pour relever les défis de la clôture rapide de la période de transition, ainsi que les grands défis de la sécurité de notre territoire et de l’organisation des prochaines élections nationales dans la neutralité, la transparente et l’équité … !

Touhami Bennour - 07-08-2013 15:58

a Malheureusement cette pensé n´est pas au diapason. Il y a bien sûr des ressemblance entre l´Egypte et la Tunisie, mais il s´agit de voir si il ya des ressemblance entre la dictature et la démocratie; c´est la question d´aujourd´hui par excellence. Avant tout il ya la question d´élection libre et transparente.Il ne s´agit pas de donner raison a Zeid ou Amar mais de voir qui a été élu par le peuple. Enlever ca et il n´y aura pas une grande différence entre la dictature et la démocratie. cet argument s´applique à toutes les autres questions sur toute la ligne.A mon avis il vaut mieux patienter, en acceptant la période électorale, a condition que tout le monde accepte l alternance du pouvoir, autrement li n´y aurait pas de difference. On desire aussi la citoyenneté, je ne l´aurait pas automatiquement d´un politicien séculier. nous les connaissons que trop croyez-moi.Sans la démocratie , pas de salut.

Samy - 07-08-2013 17:44

Merci pour cette belle page et votre plume engagée pour la vraie Tunisie celle de la tolérance de la beauté et de l intelligence Aucune barbe aussi ardue soit elle ne la défigurera On ne revient pas sur des siècles d histoire et on ne détruit pas une culture bâtie par des siècles d histoire en dérobant la révolution faite par le peuple et non pas pas les illumines proclamés et l Égypte beaucoup plus traditionaliste que nous l a compris

youssef - 15-08-2013 10:23

anlyse bien faite. L'islam politique est en train de mntrer son incapacite a diriger un pays, surtout a cause de leur volonte a s accrocher aux chaises a n importe quel prix. c est decevant pour tous ceux (des democrates du centre et de gauche) qui les ont defendus.

Tounsi aux USA - 19-08-2013 19:21

The chock is that I Hear Ennahdha comment on the opposition that they are following an external agenda while they are the ones who are getting their strategy and direction from the Muslim brotherhoods. Let's stop these lies about the legitimacy to govern for ever when it was agreed upon from the start it was for 1 year. Also, let's write a strong constitution that will not allow anymore political parties that have religious background.

leila Manai Mouelhi - 21-08-2013 02:13

Lorsque la Tunisie a fait sa révolution entre le 17 Décembre 2010 et le 14 Février 2011, les médias égyptiens pro Moubarak, ne cessaient de scander :"l'Egypte n'est pas la Tunisie!".... Normal retour des choses, les Nahdhaouis aujourd'hui clament en n'y croyant pas, que la Tunisie n'est pas l'Egypte. Marasme politique quand tu les tiens.

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