News - 21.07.2013

La présentation des lettres de créance: Un cérémonial immuable… pas tant que ça

La présentation des lettres de créance: Un cérémonial immuable… pas tant que ça

Pour les ambassadeurs nouvellement nommés, la cérémonie de présentation des lettres de créance est un moment qu’on attend avec impatience, crainte mais aussi avec beaucoup d’appréhension. C’est que de ce moment fugace, qu’on vit généralement comme sur un nuage, dépendent non seulement la qualité des relations entre son pays et le pays d’accréditation, mais aussi et surtout l’impression durable qu’on laisse chez le chef de l’Etat à qui on vient remettre le document qui lui a été remis par son propre  chef d’Etat.

Parce que c’est le premier contact et peut-être le seul qu’on va avoir avec l’autorité suprême du pays dans lequel on est appelé à travailler quelques années, quatre ou cinq généralement mais parfois beaucoup plus longtemps, car on a vu des ambassadeurs rester en poste dix, voire vingt ans jusqu’à devenir une composante du décor.
Certains pays dont l’ambassadeur accrédité devient doyen, c’est-à-dire le plus ancien de ses collègues, le laissent en place aussi longtemps que de raison pour bénéficier de cet honneur qui implique certaines obligations, comme  d’offrir des dîners d’accueil ou d’adieu à ses homologues mais aussi beaucoup de privilèges comme celui d’être le premier à saluer le chef de l’Etat lors des cérémonies officielles, ou d’être le premier visité par ses collègues nouvellement nommés qui viennent s’informer auprès de lui de la situation dans le pays, mais aussi demander ce qu’il est convenu d’appeler « les clefs » qui servent à ouvrir les portes fermées qui sont soit un ou une secrétaire, un homme ou une femme de l’ombre, mais enfin des choses plus terre à terre comme le nom du meilleur restaurant de la ville ou le lieu où on achète la meilleure viande ou le costume le mieux coupé. Dans d’autres pays, surtout de religion catholique, le doyen est le nonce apostolique, c’est-à-dire  l’ambassadeur du Vatican,  en fait le représentant officiel du Pape.

En sa qualité d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de son chef d’Etat, l’ambassadeur est  traité comme un chef d’Etat  lors de la présentation des lettres de créance. C’est le directeur du protocole diplomatique qui vient le chercher à sa résidence. Une voiture officielle, une limousine de grande marque ou un carrosse doré tiré  par des chevaux de race avec cocher et tout le tintamarre est mis à sa disposition pour le transporter en compagnie du chef du protocole au palais où se tient la cérémonie. Là, un accueil officiel lui est réservé avec hymne national joué par une clique militaire, salut du drapeau et passage en revue d’un détachement de l’armée  ou de la garde républicaine ou royale. Il est introduit ensuite au cabinet du président ou du roi avec aboyeur à la porte ou non selon les cas. L’ambassadeur fait quelques pas puis s’incline légèrement. Il avance, s’approche du chef de l’Etat avec à ses côtés la plupart du temps son ministre des Affaires étrangères et son conseiller diplomatique. Le diplomate qui est accompagné généralement  par son collaborateur le plus proche et l’attaché militaire près l’ambassade en tenue d’apparat, s’incline encore une fois et présente le document en mains propres en prononçant quelques mots, comme de dire l’honneur qu’il ressent de représenter son chef d’Etat auprès de son homologue et lui transmettre ses salutations cordiales. Le chef d’Etat répond par quelques mots de bienvenue. Auparavant, les chefs d’Etat recevaient un par un les ambassadeurs et la cérémonie donnait lieu à des échanges de discours. Ce n’est plus le cas actuellement. En règle générale, les cérémonies de présentation de lettres sont organisées deux ou trois fois par an.

Les ambassadeurs sont reçus les uns après les autres. Ils sont ensuite placés dans une salle du palais où le chef de l’Etat vient faire à leur intention un court discours de bienvenue dans lequel il passe en revue succinctement les priorités de la politique étrangère de son pays et donne ses instructions pour que les ambassadeurs soient convenablement assistés pour l’accomplissement au mieux de leurs fonctions. Avant le jour J, l’ambassadeur, qui est officiellement  accueilli à l’aéroport à son arrivée par le directeur du protocole diplomatique ou son représentant, demande prestement un rendez-vous au ministre des Affaires étrangères pour lui présenter une copie figurée de ses lettres de créance.

Ce n’est qu’à ce moment qu’il a le droit de commencer son travail, le plus souvent par une audience auprès du doyen du corps diplomatique. Il rend aussi visite au directeur du protocole ou un de ses adjoints pour être briefé sur le cérémonial de la présentation elle-même. Pour  les républiques, ce cérémonial est allégé. Pour les empires ou les monarchies, le cérémonial est beaucoup plus compliqué parfois tatillon avec le souci de chaque détail, comme le nombre de pas et le degré d’inclination de la tête ou l’autorisation de dire ou non quelques mots en présence de Sa Majesté. La tenue est aussi très importante. C’est l’habit traditionnel si tel est le vœu de l’ambassadeur ou plus  prosaïquement la redingote ou tout simplement une tenue de ville obligatoirement sombre. Aux Etats-Unis, par contre, point de cérémonial lourd et fastidieux. Il s’agit plutôt d’une rencontre familiale. L’ambassadeur est convié à la Maison-Blanche avec femme et enfants. Il est reçu par le couple présidentiel qui lui fait visiter le bureau Ovale et quelques salles de la résidence présidentielle. A près quoi des photos souvenir sont prises  pour  immortaliser ce moment unique qui ne se répète guère.

Même si la cérémonie est attendue, minutée et appréhendée dans ses  moindres détails, les incidents ne manquent pas. Ils alimentent les conversations entre ambassadeurs qui seuls sont sensibles à ces faits qui sortent de l’ordinaire. Ainsi, on raconte qu’un ambassadeur de l’Union soviétique devait présenter ses lettres de créance à l’Empereur éthiopien Hailé Sélassié. Il a été introduit auprès du Négus mais le chef du protocole a oublié de lui dire que le Roi des Rois était assis sur son trône avec debout à ses côtés de part et d’autre deux  vrais lions à la crinière immense. L’Empereur compensait sa courte taille et son frêle corps par ces deux augustes bêtes qui ne sont en fait que deux gros chats apprivoisés. Dès qu’il a vu ce tableau impressionnant, l’ambassadeur  prit peur et s’échappa à longues enjambées d’où il était venu  avec la peur de sa vie. Un autre ambassadeur gardait religieusement ses lettres de créance et ne voulait à aucun prix s’en séparer. D’ailleurs tous les ambassadeurs ont ce souci. Accrédité auprès de l’Espagne, l’ancien pays colonisateur, il voyait sa nomination comme un immense privilège. De sorte que lorsqu’il se présenta devant le Roi d’Espagne, il avait oublié de ramener avec lui son document  et a dû remettre un porte-documents...vide. Le souverain a découvert la chose mais comme l’ambassadeur est un personnage connu, il ne lui en a pas tenu rigueur et fit comme si de rien n’était.

Nos ambassadeurs ont aussi des détails croustillants à raconter. Ainsi en Arabie Saoudite, comme le nouvel ambassadeur américain venait d’arriver et qu’on ne pouvait pas le faire attendre, une cérémonie de présentation des vœux a été organisée. Etant le dernier arrivé, le diplomate a été, selon les convenances, le dernier à être reçu par le Roi. A la fin de la cérémonie, les ambassadeurs ont pris siège autour du souverain selon l’ordre de préséance. L’Américain était de ce fait assis très loin du Roi qui s’est retrouvé flanqué de part et d’autre de son fauteuil par deux ambassadeurs de couleur plutôt sombre. Il s’est tourné vers le directeur du protocole  pour  lui demander où se trouve l’ambassadeur américain car on lui a expliqué que c’est à cause de lui que la cérémonie a eu lieu. On a dû alors, dans la précipitation, lui mettre un siège à côté du Roi.

Les ambassadeurs ou hauts représentants en Libye  de Kadhafi disent pour leur part que les lettres de créance ne sont  jamais présentées à l’ancien leader libyen qui dit, contre toutes les apparences et la réalité du pouvoir, qu’il n’est pas le chef de l’Etat mais seulement un leader de la révolution. Ces lettres sont remises au secrétaire aux Relations extérieures et à la Coopération, en fait à  celui qui fait office de ministre des Affaires étrangères. Kadhafi recevait les ambassadeurs quand ils sont chargés de lui transmettre un message écrit ou oral de leur chef d’Etat. S’agissant d’un personnage caractériel qui n’oublie rien et ne pardonne jamais et que tout ou rien peut froisser, Kadhafi n’est pas un interlocuteur facile et la rencontre avec lui peut devenir un calvaire pour peu que les choses ne marchent pas selon son bon vouloir.

Notre premier ambassadeur à Oslo se rappelle que lors de la cérémonie de présentation des lettres de créance, il était accompagné par le chef du protocole jusqu’au cabinet du Roi mais au lieu de continuer son chemin avec lui, il l’a introduit dans un bureau puis a fermé la porte derrière lui. Ainsi, il s’est retrouvé en tête-à-tête avec le souverain sans personne avec eux. Intimidé, ne trouvant  pas ses mots, il a été vite mis en confiance par le Roi et a eu avec lui une conversation des plus intéressantes avec des questions pertinentes du Roi sur la Tunisie, son histoire et ses aspirations. Il a dû se documenter sérieusement  avant la cérémonie. En Grande-Bretagne et dans les monarchies nordiques, l’ambassadeur est reçu en grande pompe. Il est généralement accompagné de son épouse. Un carrosse royal tiré par des chevaux de race avec cocher et tous les artifices est dépêché à la résidence de l’ambassadeur le jour de la cérémonie pour le transporter jusqu’au palais où la souveraine ou le souverain  réside. Il est introduit après le cérémonial d’accueil avec des gardes royaux en tenue d’apparat pour lui rendre les honneurs. L’ambassadeur jouit en outre du privilège d’avoir un court tête-à- tête avec la Reine ou le Roi. A la fin de la cérémonie, il est raccompagné chez lui avec le même cérémonial.

Un élément est à souligner : plus vite l’ambassadeur est reçu par le chef de l’Etat du pays d’accréditation, le mieux se portent les relations bilatérales. Cela reste vrai même si maintenant, de plus en plus, les ambassadeurs sont reçus en groupes et ne bénéficient que très rarement d’un tête-à-tête avec le chef de l’Etat à cette occasion.C’est peut-être à cause de cette cérémonie de présentation des lettres de créance que le poste d’ambassadeur reste malgré tout envié.

Raouf Ben Rejeb

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2 Commentaires
Les Commentaires
Ali Bouziri - 21-07-2013 20:35

Pour rajouter a l'article anecdotique de Si Raouf Ben Rejeb, je mentionnerai que le personnage qui descend du carosse est l'ambassadeur de Tunisie, Nejib Bouziri. Cette photographie date de 1975, lors de la presentation des lettres de creance au chef de l'etat espagnol, Francisco Franco qui devait deceder un an plus tard apres 37 annees au pouvoir. La ceremonie fastueuse avec costumes d'apparat s'est deroule au Palacio de Oriente a Madrid selon un protocole bien codifie et choreographie, digne de la reception d'un chef de l'etat comme le souligne avec justesse Si Rejeb. Ce fut l'occasion a l'ambassadeur Bouziri, mon pere, de converser avec le Caudillo qui, malgre son grand age, etait suffisamment lucide pour s'enquerir de la recolte d'olive en Tunisie.

Moncef BOURAOUI - 21-07-2013 22:36

Traditions, Diplomatie, Protocole...Trop d'hypocrisie et de...singeries. Cela n'enlève rien à l'intérêt de l'article et à l'élégance d'écriture de l'auteur, pour autant.

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