Opinions - 20.04.2012

Ennahdha, un parti de masse ?

A la différence du CPR et Ettakatol, qui furent une création non programmée de la spontanéité sociale, Ennahdha, un parti de masse, a été le produit d’une volonté consciente : celle de mettre le parti, en tant qu’instrument de lutte politique, au service de fins différentes et selon des modalités nouvelles.
 
Les partis religieux, toutes tendances confondues, s’emploient à donner la parole aux plus défavorisés, et plus spécifiquement aux personnes faiblement instruites, voire illettrées. Ceux-ci, malgré leur nombre en Tunisie, ne possèdent aucun poids politique, car ils sont, tout simplement, complètement exclus des réseaux d’influence. Faire entendre leur voix constitue donc un objectif. Mais les partis religieux, de la même manière, d’ailleurs, que les partis socialistes, ne se conçoivent pas seulement comme moyen d’expression d’une opinion préexistante. Ils prétendent former celles-ci en faisant prendre conscience aux plus défavorisés et faiblement instruits de leurs véritables conditions socioéconomiques et politiques. Pour les socialistes, ce sont particulièrement les ouvriers qui sont visés par la démarche.

Les idéologues religieux ont, en effet, mis au point des doctrines théologiques qui, au-delà de leurs implications politiques au sens étroit, se veulent des explications globales de la vie sociale, économique, culturelle, matrimoniale,... bref de l’existence. Or même si, par bien des aspects, leur simplisme et leur dogmatisme les éloignent, pour ne pas dire carrément les écartent, d’un savoir authentique, philosophique et scientifique, ces doctrines n’en exigent pas moins, pour les personnes peu habituées à manier des abstractions, un apprentissage assez laborieux. Les mosquées sont devenues les lieux où les idéologues des partis religieux recrutent et inculquent quotidiennement, ou presque, leurs doctrines, qui sont indispensables pour que les militants du parti soient politiquement actifs. 

On voit donc les deux objectifs qui expliquent la création, en 1981, du Mouvement de la tendance islamique avant de changer de nom en 1989, pour devenir « Ennahdha » :

1/ créer un parti de masse avec un projet d’ordre sociétal pour mieux influencer la vie sociopolitique et compenser ainsi le faible rôle politique des défavorisés et faiblement instruits.
2/ Eduquer en son sein les militants aux doctrines du parti pour élever leur conscience politique.

Les militants des partis de masse demeurent des volontaires. Ils considèrent leurs multiples actions politiques comme un engagement au service d’une cause. Ils sont habités par des convictions profondes parce qu’ils pensent être porteurs d’un projet de société juste, voire équitable. Ce qui dissocie les mouvements religieux des autres partis de masse, tel que le parti socialiste ou avant le parti communiste, c’est la dimension de divinité qui leur procure (d’après les militants) une « légitimité supérieure». En somme, d’après leur doctrine sociale, il s’agit d’un projet du «divin». On peut donc exiger d’eux plus que des militants d’autres partis.

Désormais, Ennahdha est un parti politique incontournable dans le paysage politique tunisien ; son évolution dépendra certainement du succès de ses réponses à la détresse économique et sociale de nos concitoyens mais aussi de la capacité des forces de l’opposition à s’unir et à proposer un véritable projet de société, une alternative politique convaincante et louable. De facto, les stratégies d’alliances d’Ennahdha sont une composante fondamentale de son volet de lutte politique. Sans la composition avec d’autres partis, l’accès de ce mouvement au pouvoir se limitera, dans le cadre d’un régime parlementaire, à sa simple présence au sein de l’Assemblée Nationale, en tant qu’une forte force d’opposition. Encore faut-il que les autres partis puissent s’allier pour former un gouvernement pluriel ?  Les alliances actuelles, les guerres intestines entre et au sein de certains mouvements, l’effritement d’Etakattol, l’éclatement du PDP, le manque de projet politique et social des divers partis, l’absence d’une véritable alternative capable de relever le défi,  le noyautage du paysage médiatique, la prise des leviers du pouvoir (nomination des gouverneurs et Premier délégués: Une courroie de transmission entre l’échelon local et le pouvoir central),  font que, a priori, une véritable autoroute se trace devant nos compatriotes d’Ennahdha.

Le CPR, qui a su se hisser au pouvoir et conserver son ancrage au sein de la population grâce à la multiplication de ses cellules sur le territoire, le charisme de son fondateur, son investissement pour les plus démunis, son idéal égalitaire, est aujourd’hui un des partis les plus appréciés en Tunisie. Reste à savoir s’il est capable de devenir une véritable machine à gagner, un parti socio-démocrate de masse capable de rivaliser avec Ennahdha ?

Ezzeddine Ben Hamida
Professeur de sciences économiques et sociales

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2 Commentaires
Les Commentaires
afif - 20-04-2012 16:56

...''Les partis religieux, toutes tendances confondues, s’emploient à donner la parole aux plus défavorisés, et plus spécifiquement aux personnes faiblement instruites, voire illettrées''...quelle gachis ton debut d'article...

BELHARETH Mustapha - 22-04-2012 09:36

Cela signifie (entre les lignes) que les gens compétents sur le terrain et performants ne peuvent en aucune façon se soumettre, s'ils sont honnêtes, à l'idéologie fataliste d'Ennahdha. Nous sommes tous des musulmans, mais l'usage que nous faisons de la religion (dose de religiosité) reflète la situation matérielle objective de tout un chacun. Sur le plan analytique, la religiosité figure dans tous les portefeuilles des biens individuels selon des doses qui traduisent le niveau des effets externes positifs sur leurs bienèêtre et l'accessibilité aux choses agréables de la vie. La farce des islamistes c'est de vouloir imposer aux autres un comportement fataliste et nihiliste marqué par la logique de la finitude et de la soumission. Les élites tunisiennes ne sont pas dupes pour tomber dans un tel piège et l'on ne peut pas considérer Ennahdha comme un parti de masse au même titre que le parti des travailleurs.

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