News - 15.10.2025

Ridha Behi: Claudia Cardinale, mémoire d’une étoile qui m’habite

Ridha Behi: Claudia Cardinale, mémoire d’une étoile qui m’habite

Comment trouver les mots justes pour parler d’un être cher, d’une icône qui a traversé ma vie et mon imaginaire dès mon plus jeune âge? Claudia Cardinale, immense actrice italienne née à Tunis le 15 avril 1938, vient de s’éteindre, et avec elle s’éclipse une part intime de mon histoire.

Claudia Cardinale, c’est non seulement une partie de mon univers, mais aussi celle du cinéma mondial, de l’engagement, et d’une émancipation universelle. Son parcours unique, de Tunis à Rome, puis d’Hollywood à Paris, l’a consacrée comme une figure internationale aimée et saluée aux quatre coins du monde.

Ma rencontre avec Claudia remonte à 1958. J’avais 11 ans. Elle était venue tourner à Kairouan, ma ville natale, un film de Jacques Baratier intitulé Goha aux côtés du grand Omar Sharif. Avant cela, en 1956, elle avait tourné à Mahdia Chaînes d’or de René Vautier, où elle a porté le sefsari tunisien. Cette image d’elle, à la fois lumineuse et mystérieuse, marqua mon adolescence à jamais. Depuis ce jour, Claudia devint un repère, une constellation dans le ciel de mes rêves liés au cinéma.

La muse des plus grands cinéastes

Claudia Cardinale a incarné l’élégance et la force du cinéma italien et mondial. Elle fut la muse des plus grands réalisateurs:

Federico Fellini dans Huit et demi (1963), chef-d’œuvre autobiographique qui inspira profondément mon propre film introspectif, La Boîte magique (2001).
Luchino Visconti qui lui offrit un rôle inoubliable dans «Le Guépard» (1963), aux côtés d’Alain Delon et de Burt Lancaster, un des sommets du cinéma européen.
Sergio Leone qui la consacra dans le western légendaire Il était une fois dans l’Ouest (1968), face à Henry Fonda, où elle incarna Jill McBain, un rôle devenu mythique.

Elle tourna également La Valise (1973) avec Jacques Perrin, acteur que j’ai choisi bien plus tard pour mon propre film Les Hirondelles ne meurent pas à Jérusalem (1994). Les correspondances, les échos, les clins d’œil de nos destins se croisaient sans cesse, comme si tout était lié par un fil invisible.

L’engagement d’une femme libre

Au-delà de l’écran, Claudia fut une battante. Ambassadrice de bonne volonté de l’Unesco (nommée en 2000), elle consacre des années à la défense des droits des femmes—en particulier dans le monde arabe—et au combat contre la violence, la peine de mort, le sida, et la stigmatisation sociale. Elle créa la Fondation Claudia-Cardinale pour soutenir les jeunes artistes du monde entier, une démarche qui faisait écho à son propre destin d'enfant de Tunis devenue étoile du septième art.
Féministe affirmée, elle a redéfini sur la scène mondiale l’image de la femme émancipée, volontaire, résistante aux diktats de l’industrie du cinéma. Sa parole, franche mais jamais amère, m’a encore impressionné lorsque j’eus la chance de saisir ses confidences lors de notre dernier tournage ensemble.

Des liens intimes avec mon cinéma

Ces grandes rencontres avec Claudia Cardinale ne sont pas restées qu’admirées de loin. Elles ont nourri mon chemin d’artiste, mes inspirations, mes obsessions. Ainsi, le scénariste de Fellini, Tonino Guerra, avait collaboré à l’écriture de mon film Champagne amer. Et toujours, derrière les Italiens, l’ombre et la grâce de Claudia apparaissaient.
En 2006, j’avais rêvé d’elle pour incarner un rôle dans «Mada», un projet avorté faute de soutien du ministère de la Culture. Puis de nouveau, elle s’imposa naturellement dans mes pensées lors de l’écriture de «L’Île du pardon» (2019). Claudia, Sicilienne née en Tunisie, était la seule à pouvoir incarner la grande mère italienne, que je voulais filmer. Travailler avec elle, la diriger, la contempler à travers ma caméra, ce fut une expérience presque irréelle… surréaliste.

Une présence inoubliable

Je me rappelle encore une scène poignante du tournage. Au dixième jour, alors que je marchais dans les couloirs de l’hôtel, Claudia s’approcha de moi et me demanda: C’est qui toi ?. Ce fut comme un éclat de douleur, car je compris alors que sa mémoire commençait à s’effacer. Avec beaucoup de tristesse, j’ai dû réduire certains de ses dialogues. Mais malgré cela, elle a marqué L’Île du pardon de son empreinte éternelle: sans elle, ce film n’aurait pas eu la beauté, la profondeur et l’âme qu’il a acquises.

L’adieu à une étoile, l’hommage à une amie

Aujourd’hui, Claudia n’est plus. Et avec son départ, ce ne sont pas seulement les écrans qui perdent une lumière. C’est un pan entier de ma vie, un éclat de mon adolescence, de mes rêves et de mes éblouissements cinéphiles qui s’érodent. Elle a incarné, tout au long de sa carrière, ce que le cinéma peut avoir de plus pur: l’aura, l’élégance, la passion et la vérité.Claudia Cardinale nous quitte, mais elle laisse derrière elle un héritage incommensurable. Des films qui continueront de nous émouvoir, des personnages gravés dans la mémoire collective, une silhouette inoubliable entre ciel méditerranéen et écrans immortels.Son départ n’est pas seulement la disparition d’un visage célèbre. Il marque la fin d’une époque où l’art, l’engagement et le rêve bâtissaient des ponts entre les humains. Claudia sera à jamais l’incarnation de cette puissance, de ce partage, de cette mémoire vive par laquelle nous existons toujours les uns aux côtés des autres.Pour moi, Claudia restera à jamais l’étoile qui guida mes désirs de cinéma. Un être cher qui m’accompagna dans mes inspirations les plus profondes. La voir partir, c’est voir s’effondrer une partie de mon univers. Mais dans ce silence qui s’installe, demeure une certitude: Claudia Cardinale ne meurt pas, elle vit dans nos regards, à travers chaque plan, chaque souffle de pellicule, chaque battement d’image.

Au revoir, Claudia. Merci d’avoir tant donné au monde… et à mon monde.

Ridha Behi

Lire aussi

Ciao ! Claudia

 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
0 Commentaires
X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.