News - 13.03.2025

La Mloukhia: Une plante et un héritage culinaire à préserver et moderniser

La Mloukhia: Une plante et un héritage culinaire à préserver et moderniser

Par Ridha Bergaoui - La corète potagère ou mloukhia est une plante extrêmement riche en nutriments et en microéléments, utilisée depuis l’antiquité en médecine traditionnelle. Ses feuilles sont comestibles et peuvent être intégrées dans diverses préparations culinaires, notamment pour réaliser une sauce verte originale et surprenante, couramment appelée mloukhia.

La corète potagère ou mloukhia

La corète potagère (Corchorus olitorius) porte différentes appellations selon les régions. Elle est principalement connue sous le nom de mloukhia. Son origine reste incertaine. Certains estiment qu'elle provient d'Égypte, où elle était très appréciée par les pharaons. Le nom "mloukhia" dériverait du terme "mlouk", signifiant "roi", car ce légume était considéré comme un mets royal en raison de sa richesse nutritionnelle et de ses nombreux bienfaits. D'autres suggèrent une origine indienne, où elle est cultivée depuis longtemps pour ses fibres et la confection de sacs de jute et est appelée "mauve de jute". Son nom pourrait venir du grec "malakhi", qui signifie "mauve".

La corète est présente en Afrique du Nord (Tunisie, Libye, Soudan, Égypte), au Moyen-Orient (Syrie, Palestine), dans le Sahel africain (Tchad, Mali, Niger) et au Japon, où elle a été introduite dans les années 1980. Elle pousse également à l'état sauvage dans plusieurs pays d'Afrique tropicale.

C'est une plante annuelle pouvant dépasser 2 m de hauteur. Sa tige est utilisée en Asie et dans certaines régions d'Europe du Sud pour fabriquer de la toile de jute. Ses feuilles, comestibles, sont consommées en sauce, en ragoût ou en salade. En Tunisie, elles sont séchées et réduites en poudre fine pour préparer la mloukhia. Très riche en nutriments et microéléments, la corète possède des propriétés médicinales et est utilisée, dans de nombreux pays, en médecine traditionnelle. Elle fait encore l'objet de nombreuses recherches visant à identifier et isoler ses nombreux composés actifs.

Composition et bienfaits de la corète

La composition chimique des feuilles de corète varie selon ses spécificités génétiques et les conditions de culture (fertilité du sol, irrigation, fertilisation). Les feuilles sont riches en eau, protéines, glucides, lipides, mucilages, fibres, sels minéraux (calcium, magnésium, potassium, sodium, fer) et vitamines (A, B, C, E). Elles contiennent des mucilages, qui confèrent à la sauce sa texture gélatineuse, des tanins et  plusieurs antioxydants, des composés phénoliques, des flavonoïdes…
Grâce à sa composition unique, la corète présente de nombreux bienfaits:

Renforce le système immunitaire,
Stimule l'appétit,
Protège la muqueuse digestive,
Combat l'anémie et facilite le transit intestinal (effet laxatif),
Présente des propriétés antalgiques et protectrices pour le cœur et le cerveau,
Améliore la vision et combat la dépression,
Régule la glycémie et aide à contrôler le diabète,
Est utilisée dans le traitement de divers troubles (fièvre, tumeurs, douleurs pectorales, dysenterie, cystite, etc.).

Les feuilles peuvent être infusées comme du thé, tandis que les graines ont des propriétés antiseptiques en usage externe. Les racines sont parfois employées pour traiter les maux de dents.

Cependant, certaines personnes tolèrent mal la mloukhia et peuvent souffrir de troubles digestifs (ballonnements, flatulences). Elle peut aussi poser des risques pour les allergiques et les personnes atteintes de maladies rénales. Par ailleurs, il est essentiel de s'assurer de sa qualité sanitaire (absence de pesticides ou de toxines).

La culture de la corète en Tunisie

En Tunisie, la corète est une culture secondaire en raison d'une demande limitée. Bien que les données soient rares, on estime que la production annuelle est d'environ 1000 tonnes sur 500 hectares.

La corète requiert beaucoup de soleil, de chaleur, d'eau et un sol fertile. Elle résiste bien aux sols salins et à la chaleur, ce qui explique sa culture dans les oasis du sud tunisien. La mloukhia de Gabès est particulièrement réputée.Les semis se font au printemps (avril-mai), avec une première coupe des feuilles après deux mois. La repousse étant rapide, plusieurs récoltes sont possibles jusqu'à l'été, où la plante fleurit et produit des graines pour la culture suivante. Les feuilles sont séchées au soleil puis broyées en poudre fine.

Malgré sa rusticité, la lutte contre les mauvaises herbes et les ravageurs est essentielle. L'usage de pesticides doit être limité pour préserver la qualité des feuilles. Une mauvaise conservation peut entraîner une fermentation et des contaminations fongiques dangereuses.

Perspectives et opportunités

Bien que marginale, la culture de la corète présente un intérêt économique, nutritionnel et culturel. Son développement et sa modernisation seraient bénéfiques.
Les principaux défis sont l'absence de variétés sélectionnées et des pratiques agricoles traditionnelles. Depuis 2017, l'Institut des Régions Arides de Médenine améliore génétiquement la corète. Les recherches montrent une forte variabilité en nutriments et en rendement.

Par ailleurs, la corète s’adapte bien à l’hydroponie et peut être facilement cultivée dans un système flottant avec une solution nutritive. Cette méthode présente un intérêt pour la production aussi bien de la corète en poudre que de la corète fraîche, destinée à la consommation locale ou à l’exportation. L’hydroponie offre de nombreux avantages, notamment une économie d’eau, un meilleur contrôle des conditions de culture et la possibilité de produire sans recourir à des désherbants ou pesticides toxiques. Un atout essentiel pour un légume-feuille.

Cultivée dans de nombreux pays, la corète connaît un engouement croissant. De plus en plus de consommateurs recherchent des produits nouveaux, naturels et riches en nutriments. Grâce à sa couleur et son goût uniques ainsi qu’à sa texture visqueuse, la corète séduit un large public. Elle se peut être commercialisée aussi bien fraîche que surgelée, en feuilles entières ou hachées, et peut être préparée à l’orientale sous forme de salade, de sauce ou de ragoût. Son succès ne cesse de grandir à l’échelle mondiale.

La mloukhia, un plat très spécial

Dans de nombreux pays du Moyen-Orient et d'Asie, la mloukhia est préparée à partir de feuilles entières ou hachées, qu'elles soient fraîches, séchées ou surgelées, suivant la tradition égyptienne. La recette varie légèrement selon les régions et les habitudes culinaires. En Tunisie et dans les pays voisins, les feuilles sont séchées puis finement broyées pour obtenir une poudre utilisée dans la préparation du plat. Il est important de noter qu'au Maroc, ce qu'on appelle "mloukhia" est en réalité un ragoût à base de gombo (قناوية).

La mloukhia à l'égyptienne

En Égypte, la corète est surnommée "épinard égyptien" et la mloukhia est considérée comme le plat national par excellence. Elle constitue un aliment de base pour de nombreux foyers et se déguste généralement avec du pain ou du riz.

La préparation commence par le hachage des feuilles de corète. Un bouillon est élaboré à partir de viande (bœuf, poulet, canard, lapin) ou même de crevettes. À mi-cuisson, la viande est retirée pour être rôtie ou frite séparément. On ajoute ensuite la corète et les épices au bouillon jusqu'à obtenir une soupe à la texture légèrement visqueuse.Le plat final se compose généralement de riz blanc sur lequel est versée la soupe de corète, accompagné de viande ou de volaille rôtie. La mloukhia au lapin est particulièrement réputée en Égypte.

La mloukhia est également appréciée au Japon, où la texture visqueuse de la soupe s'accorde bien avec la cuisine locale. Sa popularité s'étend ainsi bien au-delà du Moyen-Orient et de l'Afrique.

La mloukhia, un plat emblématique de la Tunisie

L'un des piliers de la cuisine tunisienne est sans conteste la mloukhia, un plat traditionnel incontournable. En Tunisie, il est d'usage d'en consommer au moins une fois par an, notamment lors du Nouvel An Hégire. Symbole de prospérité et d'optimisme, la mloukhia est également servie à d'autres occasions importantes telles que l'Aïd El-Fitr, les mariages et les rassemblements familiaux.

La préparation tunisienne diffère de la version égyptienne : la corète en poudre est d'abord rissolée dans de l'huile d'olive, puis mélangée à une grande quantité d'eau, des épices, du concentré de tomate, un peu d’harissa et des feuilles de laurier. On y ajoute ensuite de la viande de bœuf, des tripes ou du poulet, bien assaisonnés. Le tout mijote à feu doux pendant au moins six heures, voire toute une nuit sur un kanoun au charbon, pour un goût encore plus intense.

La mloukhia est prête lorsque l'huile surnage et que la préparation perd son aspect visqueux. D'abord vert clair, elle prend une teinte vert foncé, presque noire. Ce plat riche et calorique se déguste de préférence avec du pain tabouna bien chaud.

Cuisiner une bonne mloukhia demande patience, savoir-faire et expérience. Chaque Tunisien vous dira que la meilleure mloukhia est celle préparée par sa mère ! La qualité de la poudre de corète est également essentielle : il est primordial de s'approvisionner auprès de commerçants de confiance.

L'avenir de la mloukhia

Bien que la mloukhia soit très appréciée, sa préparation longue et exigeante constitue un frein dans le contexte du rythme de vie accéléré moderne. Avec des emplois du temps chargés, les jeunes générations pourraient être tentées de délaisser ce plat traditionnel. 

Préserver cette recette ancestrale est essentiel. Il serait intéressant de proposer l'inscription de la "mloukhia tunisienne" au patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO, non seulement pour ses qualités culinaires et nutritionnelles, mais aussi pour sa symbolique de convivialité et de partage. Une façon d’immortaliser ce patrimoine qui se transmet depuis très longtemps de génération en génération.

Modernisation et diversification

La culture de la corète est particulièrement développée dans les oasis de Gabès, où elle constitue une source d'emploi et de revenus. Toutefois, les méthodes de culture restent traditionnelles et les rendements faibles. Il serait judicieux d'améliorer les variétés cultivées et les techniques agricoles.

Par ailleurs, pour relancer cette culture il serait possible de diversifier les produits dérivés de la corète. Plutôt que de se limiter à la poudre, la commercialisation de feuilles fraîches (issues des oasis ou des serres en hydroponie) permettrait de réduire le temps de cuisson et d'adopter la méthode de préparation égyptienne, plus rapide et probablement plus nutritive. Le séchage de la corète pour la fabrication de la poudre et la cuisson trop longue risque de faire perdre à la corète de nombreux de ses éléments nutritifs et de ses bienfaits sur la santé. D’où l’avantage de cuisiner la mloukhia à partir des feuilles de corète. De plus, la corète peut être intégrée dans de nombreuses recettes modernes : en salade, en sauce, comme garniture de pizza, en boulettes, en omelette, en tajine, ragouts et même dans le couscous. Il appartient aux chefs tunisiens d'innover et d'adapter la corète aux goûts actuels pour en faire un ingrédient du quotidien.

Conclusion

La corète est une plante aux multiples vertus et le développement de sa culture serait intéressant. La sélection variétale, la modernisation des techniques culturales et l'hydroponie, permettraient de répondre à une demande croissante tout en facilitant la préparation de la mloukhia.

Que ce soit en version égyptienne ou tunisienne, la mloukhia est un plat intemporel qui a traversé les âges et qui continue de séduire de nombreux amateurs. Sa richesse nutritionnelle, son goût unique et ses bienfaits pour la santé en font un mets d'exception. En 2017, une rumeur largement relayée sur les réseaux sociaux prétendait que l'Union Européenne avait déclaré la mloukhia "impropre à la consommation" et interdisait sa vente au public. Cette information était bien sûr un fake news. La mloukhia est un plat sain et nutritif, indémodable qui se porte de nos jours très bien. 

Avec une modernisation de sa culture et une adaptation de ses modes de préparation, la mloukhia pourrait conquérir encore plus de tables, aussi bien en Tunisie qu’à l’international. 

Manger de la mloukhia, c’est non seulement bon pour la santé, mais aussi un véritable plaisir gustatif et un héritage culinaire à préserver.

Ridha Bergaoui


 

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