Ridha Bergaoui: L’élevage à l’heure de l’intelligence artificielle
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Grace à des ordinateurs de plus en plus performants, au développement de l’Internet, des objets connectés et des sciences de l’informatique, l’homme dispose de nos jours de moyens de calcul très puissants. Il est également possible d’analyser un volume considérable de données très complexes, de les modéliser et d’anticiper. C’est surtout grâce à l’apprentissage profond (deep learning) et l’apprentissage automatique (machine learning) qu’on dispose actuellement de machines et systèmes sophistiqués ayant des capacités de raisonner, de réagir et de s’améliorer pour produire des résultats encore plus précis.
Ces systèmes innovants ont promettent de grands progrès dans tous les domaines allant de la santé, aux finances en passant par l’armement, le commerce, l’agriculture et l’élevage.
Utilisation de l’IA en élevage
Depuis quelques années, l’IA a investi le domaine de l’élevage et est devenue de plus en plus familière. C’est l’élevage intelligent ou «smart breeding». Dans les bâtiments d’élevage, des sondes, des capteurs, des pesons et compteurs automatiques et des caméras mesurent, enregistrent des données, des images et des sons. Celles-ci sont transformées en informations qui aident à prendre des décisions et de lancer des alertes si nécessaire en cas d’anomalies. Ces systèmes permettent la télésurveillance et peuvent être commandés à distance.
L’IA aide à optimiser les productions animales (viande, lait et œufs), surveiller les animaux, assurer leur bien-être, rationaliser le travail de l’éleveur et l’alléger. Eviter le gaspillage des ressources et des intrants (aliments, énergie, eau…) tout en optimisant les performances permet de réduire les coûts de production et d’améliorer la rentabilité de l’élevage, un secteur très concurrentiel où les marges sont très réduites.Par ailleurs, contrairement à l’être humain, et moyennant quelques petits entretiens, les machines ne prennent pas de congé, ne tombent jamais malades et fonctionnent durant les 24 heures tous les jours de l’année quelque soit la saison et le temps qu’il fait, permettant ainsi une surveillance continue de jour comme de nuit. Les machines enregistrent tout et n’oublient rien. Elles sont également objectives et les phénomènes sont quantifiés d’une façon très précise alors que l’homme, en se référant à ses sens a souvent des jugements très subjectifs.
Il faut remarquer qu’un éleveur travaille avec des animaux, des êtres vivants sensibles dont les exigences varient en fonction de l’âge, les saisons et les niveaux de production et qui interagissent entre eux et avec leur environnement. Les animaux sont particulièrement sensibles aux stress qui peut réduire leurs défenses immunitaires et conduire à la chute des performances, la détérioration de l’état de santé et l’augmentation de la mortalité. Le maintien d’un bon état de santé des animaux, une alimentation adéquate et un environnement sain sont les conditions essentielles de réussite des élevages modernes.
L’IA pour améliorer l’efficience des élevages
Dans le domaine de l’élevage, l’IA permet de nombreuses applications dont ci-dessous quelques exemples à titre indicatif et non exhaustif.
Maitrise des paramètres d’ambiance des bâtiments d’élevage
Dans les élevages modernes, les animaux passent la totalité de leur vie à l’intérieur des bâtiments. Ceux-ci doivent, en toute saison, leur assurer les conditions optimales d’ambiance et de confort pour garantir la bonne santé, de bonnes performances et la rentabilité de l’élevage.
Grace à des capteurs connectés, il est facile de contrôler les paramètres d’ambiance (température, humidité, qualité de l’air, lumière…), et d’agir (ventilation, refroidissement, chauffage, humidification…) pour assurer aux animaux les meilleures conditions de confort et de production.
Suivi de la santé des animaux
A défaut de paroles, l’attitude d’un animal, sa posture, son comportement, sa consommation d’aliment et d’eau sont autant d’indices qui peuvent nous apprendre beaucoup sur son état de santé et son degré de bien-être. Les indicateurs comme la température du corps, les battements cardiaques sont également des indices très importants. Le temps passé entre les différentes activités comme la rumination, le repos, l’alimentation… sont également très révélateurs de l’état de santé de l’animal. L’IA, en suivant et surveillant l’animal, parfois individuellement, sont capables de déceler certaines anomalies révélatrices de troubles et d’un état anormal comme des problèmes respiratoires ou de boiterie. Des bolus-capteurs peuvent être placés dans l’estomac des animaux et enregistrer un tas de données qui peuvent renseigner sur la digestion, l’alimentation et l’état de santé. Des systèmes peuvent même analyser les sons émis par les animaux et détecter tout changement dans leur comportement ce qui permet d’envoyer des alertes et d’intervenir en cas d’anomalies. L’IA peut détecter des événements qui peuvent échapper même à des professionnels chevronnés. Un animal en bonne santé, c’est moins de médicaments et d’antibiotiques et plus de bénéfices pour l’éleveur, le consommateur et l’environnement.
Maitrise de la reproduction
La maitrise de la reproduction en élevage est très importante puisqu’elle conditionne la multiplication des animaux, la production de lait et donc la rentabilité des élevages. Cela commence par une bonne détection des chaleurs chez les ruminants (vaches, brebis et chèvres). Ce moment est très important pour l’éleveur sachant qu’il ne dispose que de quelques heures pour inséminer la femelle, faute de quoi il doit attendre le prochain cycle sexuel qui n’intervient que 21 jours plus tard. Ce qui représente une perte importante. Des capteurs placés dans des colliers ou en boucle d’oreille permettent de déceler les femelles en chaleur.
Ils peuvent également alerter sur l’approche d’une mise bas et la nécessité, s’il y a lieu, d’intervenir et d’aider sans que l’éleveur ne soit obligé de rester tout le temps au chevet de l’animal.
Aide à la gestion de l’élevage
L’IA facilite le travail quotidien de l’éleveur. Elle permet de repérer rapidement, et en temps réel, des anomalies comme une chute de la consommation alimentaire ou d’eau, de la production du lait, de la ponte, du poids de l’œuf, ou une augmentation anormale de la mortalité… et de prendre les mesures qui s’imposent pour y remédier. L’IA permet également de planifier les interventions nécessaires comme vaccinations, réglage de l’alimentation…
Les données enregistrées seront exploitées pour calculer des index et les paramètres technico-économiques afin d’évaluer la maitrise de la gestion des troupeaux et d’agir pour se rapprocher des normes recommandées par les spécialistes de l’élevage et améliorer la rentabilité économique de l’exploitation.
Autres problématiques de l’élevage
Décompte des animaux, identification des animaux morts dans les élevages avicoles, occupation de l’espace par les animaux, poids des animaux et suivi de leur croissance, état du matériel (systèmes d’alimentation et d’abreuvement) et sa répartition dans l’espace, identification et reconnaissance des animaux… sont autant de questions auxquelles l’IA a des solutions intéressantes et fiables.
La robotique en complément de l’IA
La robotique complète le travail de l’IA et permet de réaliser des tâches répétitives, fastidieuses et sales comme la gestion de la litière et du fumier, le nettoyage du bâtiment, la distribution des aliments et de l’eau, le ramassage des œufs, le ramassage des poulets… Des robots permettent de remuer la litière pour réduire le tassement et l’humidité. Une bonne litière est un facteur primordial de la bonne santé des animaux. D’autres robots permettent de repousser les aliments pour les remettre dans les mangeoires, à la disposition des animaux tout en réduisant les pertes et les gaspillages. Ces robots peuvent être commandés à distance sans nécessiter la présence de l’éleveur.Pour l’élevage laitier, il existe depuis déjà plusieurs années, un robot qui effectue la traite automatique. C’est une caisse où la vache peut entrer, à n’importe quelle heure de la journée, et où le robot effectue automatiquement et d’une façon parfaite la traite, tout en octroyant un complément de concentré à la vache en fonction de son niveau de production. Ces robots ont permis de libérer les éleveurs d’une tâche contraignante et fastidieuse dans les élevages laitiers (d’habitude l’éleveur doit faire 2 ou 3 traites/jour régulièrement espacées). Le robot de traite a permis également d’augmenter la production de lait au niveau des exploitations et de garantir un meilleur confort des vaches.
L’IA profite à tous
L’IA est en train de révolutionner les élevages surtout intensifs et replace l’animal au cœur du système. Il est évident qu’un animal qui évolue dans des conditions d’élevage confortables est un animal généralement en bonne santé et plus productif qu’un animal constamment stressé placé dans un environnement hostile. L’IA permet de faciliter le travail des éleveurs, d’économiser des ressources et d’améliorer la productivité et la rentabilité de la ferme.
Des performances productives intéressantes, un bon état de santé des animaux, une diminution de la mortalité et une bonne valorisation des aliments sont autant de facteurs qui contribuent à une réduction des émissions de gaz à effet de serre et un élément important de durabilité de l’élevage. Le consommateur trouve également son compte puisqu’il pourra bénéficier de produits de qualité, provenant d’animaux sains, élevés d’une façon éthique, et au juste prix.
Il est vrai qu’un système basé sur l’IA coute cher en investissement initial, toutefois les avantages à long terme rendent l’opération rentable et intéressante. Par ailleurs, les prix ne cessent de reculer avec le nombre croissant d’utilisateurs. L’utilisation de ces systèmes nécessitent par ailleurs une formation adéquate des techniciens et du personnel chargé de l’élevage.
Perspectives en Tunisie
En matière d’IA, la bataille entre les deux grands, d’une part l’Américain OpenAI et d’autre part le Chinois DeepSeek, est lancée et la concurrence est rude. DeepSeek a le mérite de montrer qu’on peut, avec peu de moyens, faire mieux et moins cher.
L’IA présente une excellente opportunité pour la Tunisie pour rattraper son retard en matière de digitalisation et d’informatique. La Tunisie ne peut rester en marge de cette révolution technologique.
Elle doit investir massivement dans ce secteur très promoteur, porteur et plein d’opportunités afin de ne pas creuser encore la fracture numérique avec les pays avancés. Cette révolution technologique que le monde est en train de vivre est sans précédent et il faut s’y engager, non pas comme spectateur ou simple consommateur, mais comme acteur qui pourrait être important au niveau régional ou même international.
Il est certain que ces technologies vont se démocratiser et se populariser de plus en plus dans l’avenir comme toutes les technologies du numérique qui ont montré leurs avantages (Internet, Smartphone, Ntic…). Le plus important c’est de s’y mettre sans plus tarder. Encourager, financer, vulgariser, faciliter… le développement de l’agriculture intelligente en général et l’élevage intelligent en particulier permet au pays de profiter des avantages de ces innovations technologiques.
Il est vrai que l’élevage tunisien souffre de nombreuses contraintes tant naturelles que structurelles. Que la plus grande partie du cheptel est détenue par de petits éleveurs qui disposent de peu de connaissances et de moyens. Ces petits éleveurs peuvent toujours profiter des solutions de l’IA dans le cadre d’associations, de groupements ou de coopératives. Des élevages importants et rationnels existent également que se soit chez les privés ou dans les exploitations domaniales. Par ailleurs, la plupart des élevages avicoles est détenue par de grandes firmes bien structurées, très modernes, parfois à la pointe du progrès technologique. Ces élevages intensifs fournissent l’essentiel de la consommation des Tunisiens en protéines animales (viande, lait et œufs) et peuvent devenir d’excellents utilisateurs de ces technologies « high-tech » très utiles et très performantes.
L’IA dispose de possibilités énormes et ouvre de vastes perspectives face aux enjeux auxquels l’agriculture en général et l’élevage en particulier sont confrontés (réchauffement climatique, épuisement des ressources…).La Tunisie dispose de nombreux atouts pour profiter en plein de ces nouvelles technologies dont la maitrise peut contribuer à la souveraineté nationale tant technologique, qu’économique et alimentaire, s’agissant de l’utilisation de l’IA dans les pratiques de l’élevage et des productions animales.
Pour nos jeunes talents et nos start-ups, tout en s’aidant de nos agronomes, nos vétérinaires et nos éleveurs, l’élevage représente un immense champ où ils peuvent s’investir, innover et créer des solutions et des plateformes basées sur l’IA. Des systèmes innovants qui permettent l’analyse des données, des sons, des images et des vidéos et destinées à améliorer la gestion, la rentabilité des troupeaux et le bien-être des animaux. Du pain sur la planche, de quoi créer de nombreux emplois et générer d’importants revenus.
Ridha Bergaoui
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