Trump, l’essor des pays du Sud et un nouvel ordre mondial de la sante
Traduit de l’anglais par Mohamed Larbi Bouguerra - Le British Medical Journal (BMJ) est une revue médicale britannique qui paraît depuis 1840. C’est une des revues de médecine générale les plus lues dans le monde.
Son numéro du 17 décembre 2024 a publié l’article qui suit d’Ilona Kickbush, directrice fondatrice du Centre de santé mondiale et présidente de l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève (Suisse).
Ce texte montre que le pouvoir de Donald Trump n’est pas sans contrepartie et que la Chine, l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Inde, l’Union africaine… les BRICS donc peuvent lui tenir la dragée haute.
Il nous faut réaliser qu’il n’y a pas que MAGA au monde !
Alors que le pouvoir passe des bastions traditionnels du Nord aux étoiles montantes du Sud, les nouvelles attaques de Trump contre le multilatéralisme pourraient avoir de profondes conséquences sur la santé mondiale écrit le BMJ lançant l’article de Kickbush.
«Lors de la conférence des Nations Unies sur le climat à Bakou (Azerbaïdjan) en novembre 2024, la COP29, les pays n’ont promis qu’un quart des 1,3 milliard de dollars par an nécessaires pour répondre à la crise climatique, sans nouvel engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre…
Le multilatéralisme de la santé est en transition. La base du pouvoir politique, économique et universitaire du Nord, ainsi que l’hégémonie idéologique occidentale, s’affaiblissent. Il est beaucoup plus difficile de parvenir à un consensus dans un nouveau monde multipolaire, avec des voix fortes des pays du Sud, des alliances en constante évolution et un recul de la confiance en raison de la réduction des financements et des crises à répétition.
C’est dans cette atmosphère incertaine que Donald Trump revient à la présidence des États-Unis, un don du ciel pour les politiciens populistes et les mouvements de droite du monde entier. Sa rhétorique de campagne, fortement critique à l’égard de la science et de la santé publique, a encouragé une campagne mondiale visant à affaiblir les organisations internationales de santé, les engagements en faveur d’un accès équitable aux soins de santé, de l’égalité des sexes, des droits reproductifs et des investissements dans la santé des femmes.
Un monde multipolaire
Mais dans un monde multipolaire, avec une influence américaine en déclin, se concentrer sur Trump détourne et parasite l’attention des puissances émergentes. L’année 2025 verra l’aboutissement de quatre présidences consécutives du G20, représentant 19 des plus grandes économies du monde, ainsi que de l’Union européenne et de l’Union africaine, revenant aux pays du Sud: l’Indonésie (2022), l’Inde (2023), le Brésil (2024) et l’Afrique du Sud (2025). Le programme dynamique du G20 du Brésil pour lutter contre les inégalités mondiales est diamétralement opposé aux choix politiques de Trump. La présidence de l’Afrique du Sud poussera certainement dans la même direction, d’autant plus que l’Union africaine est désormais membre du G20.
L’agenda mondial de la santé est de plus en plus influencé par les BRICS (élargis pour représenter l’Iran, l’Égypte, l’Éthiopie et les Émirats arabes unis, ainsi que le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud); G7; et les réunions du G20, qui comprennent également des réunions des ministres de la Santé et des Finances et créent de plus en plus de nouveaux mécanismes et institutions de santé. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recherche des soutiens et coopère pour établir l’ordre du jour de ces réunions.
Réinitialiser le multilatéralisme mondial
Une réinitialisation du multilatéralisme mondial est désespérément nécessaire, mais aucun progrès n’a été réalisé malgré les appels répétés. Pendant ce temps, les dirigeants des pays du Sud forment de nouvelles alliances, de nouveaux groupes régionaux et de nouveaux mécanismes et institutions financiers, par exemple l’initiative chinoise Belt and Road (Nouvelle route de la soie) et la nouvelle banque de développement des BRICS. Le groupe des BRICS est en train de créer un centre de recherche et de développement de vaccins et des mécanismes de réglementation des produits de santé. Le nouvel ordre de santé publique pour l’Afrique de l’Union africaine appelle à une réorganisation des institutions financières afin de réduire l’accent mis sur l’aide au développement.
De nouvelles tensions apparaîtront alors que les grands pays à revenu intermédiaire devront trouver un équilibre entre leurs intérêts géopolitiques croissants et les engagements pris de soutenir les pays en développement et de façonner un nouveau multilatéralisme plus équitable. Après que Trump a menacé de quitter l’OMS en 2020, les négociations politiques, le soutien financier de l’Union européenne et la pression pour agir ensemble pendant la pandémie ont aidé les États membres de l’OMS à contourner une crise institutionnelle.
Maintenant, d’autres doivent se mobiliser. Des efforts déterminés de diplomatie de la santé sont nécessaires pour s’attaquer aux progrès qui stagnent face aux grands défis mondiaux en matière de santé. Le Brésil, l’Inde et la Chine sont des membres fondateurs de l’OMS et ont une occasion historique de façonner son avenir.
Si les États-Unis se retirent de l’OMS, 193 pays y resteront. La Chine serait le principal contributeur statutaire, l’équilibre étant assuré par l’ensemble des pays de l’UE. Le Brésil assure la prochaine présidence des BRICS, tandis que l’Afrique du Sud et le Canada assurent les prochaines présidences du G20 et du G7. Une nouvelle coalition pourrait-elle être l’artisan des accords attendus?
Trump pourrait être disposé à ce que les États-Unis restent dans l’OMS s’ils payaient beaucoup moins. L’UE veut également un accord: plus de voix pour sa forte contribution. Si d’autres grands pays du G20 investissaient davantage dans l’OMS – dans le multilatéralisme pour la santé et la sécurité sanitaire mondiale – un accord pourrait être conclu. Tous les contributeurs chercheront à réformer l’OMS en matière d’établissement des priorités, de transparence, de responsabilisation et d’efficacité.
En 2026, les États-Unis doivent présider à la fois le G7 et le G20, mais l’engagement de Trump est douteux. La campagne pour l’élection du prochain directeur général de l’OMS va bientôt commencer. Plusieurs pays des BRICS lorgnent sur ce poste. Ce qui se passera en 2025 est crucial pour le multilatéralisme de la santé dans un monde de plus en plus fragmenté et guidé par la diplomatie transactionnelle. Le G7 et le G20 doivent faire pression pour que des mesures concrètes soient prises afin d’accroître l’équité en matière de santé et de garantir les droits de l’homme en matière de santé, et l’Assemblée mondiale de la Santé en mai 2025 doit parvenir à un accord sur la pandémie, rétablir un engagement fondamental envers l’OMS et établir une feuille de route pour des réformes essentielles pour assurer son avenir».
Traduit de l’anglais par Mohamed Larbi Bouguerra
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