News - 24.07.2024

La décision de la CIJ sur l’occupation israélienne est «une victoire pour la justice» mais son application dépend de l’ONU et des États-Unis

La décision de la CIJ sur l’occupation israélienne est «une victoire pour la justice» mais son application dépend de l’ONU et des États-Unis

Par Mohamed Larbi Bouguerra

«La glorieuse victoire d’Israël lors de la guerre des Six Jours pourra, dans une analyse finale, conduire à la fin de l’Etat juif.» Isaac Deutscher, (déclaration d’un historien juif polonais au lendemain du 10 juin 1967 citée par le New York Times, 17 juillet 2024).

L’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) publié vendredi a été lu à la Haye par le juge libanais Nawaf Salam, président de la Cour. Il déclare que les colonies israéliennes en Cisjordanie sont contraires aux principes du droit international et qu’Israël doitmettre fin à sa présence.

L’avis consultatif de la CIJ brise le mensonge selon lequel l’occupation n’est que temporaire et destinée uniquement à des fins de sécurité. C’est le mensonge que les Israéliens se sont raconté pendant des décennies d’occupation alors qu’ils s’emparaient de plus en plus de terres palestiniennes, dépossédaient les Palestiniens de leurs terres et y construisaient des colonies, le tout sous le patronage des gouvernements israéliens successifs, par l’intermédiaire des colons et avec le soutien de l’armée d’occupation et de la «justice» israélienne. L’opinion de la CIJ fait éclater cette bulle de mensonges et considère divers actes du gouvernement israélien comme une annexion du territoire, interdite par les Conventions de Genève.

L’hypothèse de travail d’Israël - selon laquelle le monde continuera à ignorer l’occupation - a été brisée ces derniers mois. «Si Israël continue d’ignorer ce que le monde lui dit, il pourrait se réveiller à une réalité dans laquelle il est boycotté et ostracisé comme l’Afrique du Sud de l’époque de l’apartheid. »écrit l’éditorialiste de Haaretz (20 juillet 2024)

Ombres et lumière

Bien que la décision de la Cour mette du baume au cœur des Palestiniens, ces derniers n’ont pas manifesté une joie débordante. Comment le pourraient-ils d’ailleurs? La Cisjordanie est en proie aux attaques des colons et aux intrusions mortelles de l’armée nuit et jour, et la joie n’estcertainement pas dans la bande de Gaza dévastée et ensanglantée par l’armée d’occupation et où la poliomyélite et le choléra étendent une sinistre ombre sur les habitants assoiffés.

Les Palestiniens et leurs dirigeants sont habitués à ces décisions et à ces avis juridiques, qu’ils proviennent de l’Assemblée générale de l’ONU, de son Conseil de sécurité ou toute autre organisation. «Si l’on considère que le conflit israélo-palestinien a récolté tant de décisions déclaratives en faveur des Palestiniens, on peut parier qu’il a établi un record du monde Guinness.» (Haaretz, 21 juillet 2024). Un exemple: la décision de la Cour concernant le Mur de séparation en Cisjordanie il y a deux décennies, n’a rien changé sur le terrain et le Mur continue de crucifier les Palestiniens allant aux champs, à l’école ou au travail. 

Ce qui compte en fait,c’est la mise en œuvre effective, sur le terrain, de ces décisions et il en va de même pour la récente décision de la CIJ qui vient en outre dans une atmosphère saturée de drames et de désillusions pour le peuple palestinien, ses élites et ses dirigeants. Cette mise en œuvre est nécessaire faute de quoi, on aurait encore application du fameux et inique principe «deux poids, deux mesures» comme si le droit international et les décisions de la communauté internationale ne sont applicables qu’à certains pays et sont ignorées pour d’autres.

En ce qui concerne Israël, le refus de l’avis de la CIJ est total. Les réponses de l’ensemble du spectre politique sioniste sont unanimes dans son rejet de Gans à Lapid. Il suffit de se référer à la décision déclarative approuvéepar la Knesset la semaine dernière: interdiction de reconnaître l’Etat palestinien et qui a recueilli le soutien de la majorité des législateurs (9 voix contre seulement sur 120 membres) .

Dans le climat politique actuel en Israël - climat dominé par les ministres sionistes religieux, fanatiques et suprémacistes, Ben Gvir et Smotrich- , les appels à l’annexion de la Cisjordanie et à l’expansion de l’entreprise de colonisation deterritoires palestiniens, la décision de la Cour ne s’adresse pas tant à Israël, mais plutôt aux organismes internationaux qui sont censés mettre en œuvre ses conclusions: l’Assemblée générale de l’ONU, le Conseil de sécurité et tout pays qui respecte les principes du droit international et la position consultative de la plus haute juridiction du monde y compris les pays ayant récemment normalisé avec l’Etat sioniste.

Le président palestinien Mahmoud Abbas a salué la décision de la Cour, la qualifiant de «victoire pour la justice». Abbas a exhorté la communauté internationale «à exiger qu’Israël, en tant que puissance occupante, mette fin à l’occupation et se retire sans condition».

Abbas ne s’adresse guère à Israël dont au moins la moitié des ministres du gouvernement Netanyahou le considèrent comme «un partisan du terrorisme» et s’efforcent de saper, par tous les moyens, l’Autorité palestinienne en refusant notamment de lui verser les redevances dues : décision du ministre des Finances Smotrich, lui-même colon et sioniste religieux.

«Comme prévu, toutes les composantes de la direction palestinienne,des organisations de défense des droits de l’homme au Hamas, ont réitéré la demande de mettre en œuvre la conclusion de la décision de la CIJ par des sanctions efficaces contre les entreprises et les pays qui continuent de coopéreravec l’occupation israélienne. Plus important encore, ils ont demandé un calendrier concret pour la mise en œuvre de ces actions, afin de ne pas permettre qu’elles soient repoussées indéfiniment.» (Haaretz, 21 juillet).

Les Palestiniens comprennent que s’il y a encore une chance, même minime, de faire avancer quelque chose, cela doit se produire dans les mois à venir, avant que l’effet de la guerre à Gaza sur la communauté internationale ne s’estompe.Il faut faire vite car une éventuelle arrivée à la Maion Blanche de Donald Trump signifierait un enterrement de première classe pour les principes du droit international.

Jusqu’en novembre, et en marge de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre, les Palestiniens peuvent encore avoir une chance de faire pression pour des mesures qui peuvent quelque peu battre en brèche la morgue d’Israël d’autant que certains, dans le camp politique israélien,opposés à Netanyahou, seraient prêts à envisager un règlement politique.

Tremblement de guerre juridique

Nomi Bar-Yaacov, avocate internationale et experte de la politique au Moyen-Orient à Chatham House, un groupe de recherche à Londres, a qualifié l’avis de «tremblement de terre juridique» et a déclaré qu’il s’agissait de l’avis le plus fort jamais émis par la Cour.

«C’est un signe que l’occupation dure depuis trop longtemps et que les parties et la communauté internationale n’ont pas fait assez d’efforts pour résoudre le problème», a-t-elle déclaré.(The New York Times, 19 juillet).

D’autres analystes ont déclaré qu’il serait impossible pour certains gouvernements étrangers d’ignorer l’opinion.

«Cela pourrait influencer les politiques étrangères de certains pays européens», a déclaré Yuval Shany, chercheur principal à l’Institut israélien de la démocratie, notant que la Norvège, l’Espagne, l’Irlande et la Slovénie ont rejoint ces dernières semaines plus de 140 autres pays dans la reconnaissance d’un État palestinien.

Des jours sombres attendent Israël et ses ressortissants dans le monde: avant l’avis de la CIJ déjà, un hôtelier à Kyoto (Japon), un autre à la Porte de Versailles à Paris et une compagnie grecque de transport maritime ont refusé de recevoir des clients israéliens à cause des massacres perpétrés à Gaza. Des ONG françaises demandent au Comité Olympique International de se passer des sportifs israéliens à Paris. L’effet Gaza joue à plein dans les consciences partout sur la planète.

L’avis de la CIJ ne fera que le fortifier. L’avis de la plus haute instance de l’ONU sera difficile à ignorer!

Mohamed Larbi Bouguerra

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