Riadh Zghal: Capter les innovations pour créer de la richesse
Il est courant de considérer que le développement économique est une question principalement économique : référence à des théories et des techniques économétriques et financières pour définir les choix de politiques économiques. Le problème c’est que, dans un pays comme le nôtre dit en voie de développement, cela s’avère peu probant. En effet, on traîne depuis des décennies un chômage structurel sans fin, un taux de croissance économique insuffisant pour réaliser un développement inclusif des régions et des différentes catégories de la population, ou pour assurer une résilience suffisante afin de surmonter les crises qui se produisent dans le monde. On se rappelle les effets de la crise des subprimes en 2008, celle du Covid en 2020, la flambée des prix des céréales en 2022, sans oublier les crises récurrentes dues à la fluctuation du prix du pétrole. Et l’on constate que depuis le soulèvement de 2010-2011, la croissance ne cesse de baisser. Mais on perd de vue qu’au cœur de l’économie, il y a l’humain qui ne bénéficie pas de l’attention nécessaire à la mobilisation du potentiel qu’il renferme.
Deux principaux leviers du développement inhérents à l’humain résident dans l’innovation qui fleurit au sein de plus d’une organisation et d’un domaine d’activité, et dans la stimulation de l’engagement au travail, car il n’y a pas de création de richesse supplémentaire sans supplément d’effort(1).
Prenons le cas des entreprises. Bien sûr il y a les innovateurs en matière de technologies de l’information et de la communication. Leurs start-up sont la concrétisation de leurs talents et de leurs capacités à la fois techniques et créatives. Il y a aussi les artistes, ceux qui se consacrent à l’art du spectacle et de la musique. Bien soutenus financièrement et commercialement, ce sont des créateurs de richesse. On sait par exemple combien l’industrie du cinéma représente pour l’économie de pays comme les USA, l’Egypte, la Turquie… Les prix que nos cinéastes tunisiens ont obtenus dans les festivals internationaux n’ont malheureusement pas été récompensés par un investissement massif pour les aider à monter en gamme et conquérir un marché mondial. Pourtant l’originalité des questions qu’ils abordent, leur liberté d’expression brisant les tabous, leur procurent des avantages compétitifs qui ne demandent qu’à être renforcés.
Il y a aussi ceux qui exercent des métiers artistiques plus connectés avec les activités économiques de production. Ce sont les designers, les architectes, les publicitaires, les urbanistes… Il y a aussi les agriculteurs qui trouvent des moyens inédits pour améliorer leur production et les artisans qui innovent dans les modèles, la qualité, voire la conception de nouveaux produits qui correspondent aux besoins des consommateurs d’aujourd’hui. Les petits agriculteurs et les artisans isolés agissent dans des métiers traditionnels peu rémunérateurs et peu attractifs pour la jeunesse. Autant de facteurs qui occultent l’intérêt pour leur créativité qui ne bénéficie pas de l’attention nécessaire à sa diffusion et à son amélioration par une greffe scientifique et technologique. Les grandes expositions, salons ou foires organisés périodiquement apportent certes un soutien à ces agents économiques mais ne renversent pas la tendance.
Dans les entreprises de production, fussent-elles petites ou très petites, l’innovation est présente à plus d’une étape du processus de production. Quelle qu’elle soit, l’entreprise compte des ingénieurs et des techniciens qui sont innovateurs du fait de la nécessité de trouver des solutions à des problèmes techniques récurrents ou nouveaux. Il y a l’innovation qui tient du bricolage «faire le plus avec moins», l’innovation qui réside dans l’appropriation d’une technologie importée. L’appropriation consiste en un rapport intelligent à la technologie conduisant à imaginer des méthodes adaptées au contexte, à apporter de nouvelles fonctions à des équipements de technologie conventionnelle, créer de nouveaux procédés, imaginer des usages inédits de matériaux recyclés ou détournés de leur usage initial afin de mettre à la disposition des consommateurs des produits accessibles dans un contexte de rareté. Ce n’est pas un hasard si l’un des premiers qui ont dévoilé cette mine d’innovations a été l’ingénieur Moncef Bouchrara dans un article publié en 1987 dans la revue Economie et humanisme intitulé «L’industrialisation rampante ampleur, mécanismes et portée».
Dans des entreprises structurées de taille grande ou moyenne, une large palette d’appropriations de la technologie s’étale depuis les méthodes d’entretien des équipements jusqu’au dépôt de brevet, en passant par l’introduction de nouveaux procédés technologiques sur des machines anciennes, la fabrication de pièces de rechange, la fabrication d'outillages, la fabrication de machines... L’innovation concerne aussi l’organisation tels de nouveaux procédés pour l'amélioration des rendements, la documentation des innovations, l’entretien d'une activité soutenue de recherche & développement, la coopération avec les universités et les établissements de recherche scientifique, l’exportation du know how…
La Corée du Sud, championne du monde en matière d’investissement dans la R&D (4,6% du PIB) selon des statistiques publiées en 2019, se distingue aussi par l’importante contribution du secteur privé dans cette activité, soit 78% de l’investissement total.
Une stratégie de croissance économique basée sur l’innovation dans notre pays pourrait s’inspirer d’expériences réussies ailleurs. L’exemple de la Finlande, un pays qui abrite une population de taille comparable à la nôtre, a réalisé un bond économique en misant sur l’innovation. Beaucoup se souviennent de Nokia dont les smartphones ont pénétré un marché mondial mais peu ont entendu parler de Tekes. C’est un organisme public qui a pour mission de gérer la mise en œuvre d’une politique nationale d’innovation. Tekes lance des appels d’offres pour des projets de recherche auxquels peuvent soumissionner les organismes publics et privés ainsi que les institutions de recherche scientifique. Cela crée une concurrence et pousse également à la coopération. Ainsi les grandes entreprises qui participent aux appels d’offres doivent inclure la recherche fondamentale dans leur offre. Cela les conduit nécessairement à coopérer avec les universités.
Malheureusement pour notre pays, la coopération entre le secteur de la recherche et celui de la production demeure très timide sinon exceptionnelle. Une stratégie nationale misant sur l’économie de la connaissance pourrait pallier cette insuffisance.
Riadh Zghal
(1) Je reviendrai sur l’engagement au travail dans une prochaine livraison du magazine Leaders.
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