Abdelaziz Kacem: Gaza, la tentation nucléaire
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Le 8 mai 1945, avec la reddition sans condition du Troisième Reich, la Seconde Guerre mondiale prend fin, au grand soulagement des empires. Quarante-neuf jours plus tard, un nouvel ordre mondial s’établit: le 26 juin 1945, à San Francisco, est signée la Charte des Nations unies. Son préambule énonce :
Nous, peuples des nations unies, résolus
à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui, deux fois en l'espace d'une vie humaine, a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances, à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites, à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international, à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande…
Le texte, dans son intégralité, réitère des mots-clés: la paix (41 fois), la justice (23), les droits de l’homme (7), la coopération (7), la liberté (6), le droit international (6).
En fêtant, bientôt, son soixante-dix-neuvième anniversaire, la vénérable ONU ne manquera pas de faire le lourd bilan des incessantes violations de sa Charte.
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Nous en citerons la première, la plus spectaculaire, la plus horrible. Elle est commise, quarante jours, à peine, après la signature des documents censés instaurer la paix dans le monde entier. À l’époque, le Japon se battait encore. Mais, le dos au mur. Il était à bout de souffle et cherchait désespérément, depuis la capitulation allemande, à conclure une cessation des hostilités, en vue d’un traité de paix. L’Américain répond, le 6 août 1945, en lançant une bombe atomique sur Hiroshima (140 000 victimes), puis une deuxième, le 9, sur Nagasaki (80 000 victimes) en prétextant cyniquement qu’il fallait utiliser des moyens extrêmes pour écourter la durée de la guerre et épargner davantage de vies humaines. Or la guerre était virtuellement finie. Mais le désir de venger Pearl Harbor et d’impressionner l’Urss était irrésistible. En vérité, l’humanité tout entière en fut horrifiée. Les pères de la bombe, eux-mêmes, en ont eu la nausée.
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Lors de la Guerre de Corée (1950-1953), ils ont installé en Corée du Sud 950 ogives dotées de têtes nucléaires tournées vers la Corée du Nord. Pour avoir voulu en faire usage, le général Douglas Mac Arthur a été relevé de ses fonctions de commandant en chef de l’expédition. Néanmoins, lors de sa conférence de presse du 30 novembre 1950, le Président Truman, interrogé sur l’éventuelle utilisation en Corée d’armes nucléaires, avait déclaré que cette utilisation était «activement étudiée». Il s’en abstint, car dès le mois 1949, l’Urss parvint à se doter de la bombe et c’est ainsi que l’équilibre de la terreur empêcha la guerre froide de devenir chaude.
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Mais les États-Unis et ses acolytes ne sont jamais guéris de leur tentation nucléaire. Au mois de novembre 2023, quelques semaines après le déclenchement de la guerre contre Gaza, un rabbin, fils et petit-fils de rabbins, Emichaï Eliyahu, ministre du Patrimoine, un département créé de toutes pièces à sa mesure, homme-lige du sioniste Itamar Ben Gvir, dit «le boucher de la Cisjordanie», appelait à larguer une bombe atomique sur la bande de Gaza, soulevant un tollé en Israël même. Netanyahu le rappelle à l’ordre. Le collectif d’avocats sud-africains consigne ces déclarations dans le dossier présenté à la CIJ. Nullement perturbé, mercredi 24 janvier 2024, il récidive. «Même à La Haye, ils connaissent ma position», déclare-t-il au quotidien Times of Israël. Mais, lui objecte-t-on, avec une telle frappe, nos otages détenu par le Hamas ne seraient pas épargnés. Ce serait «le prix à payer», répond-il, provoquant l’ire des familles. Il s’en moque. Les Israéliens feignent de ne pas prendre au sérieux ce dangereux idiot du sionisme. Membre du parti d’extrême droite Otzma Yehudit (Force juive), Amichay Eliyahu est un suprématiste notoire. Élu à la Knesset, en novembre 2022, il est l’un des arsouilles du sulfureux gouvernement sioniste. Il ne manque pas de soutien aux USA.
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Le 12 mai dernier, réagissant contre la décision de Biden de suspendre l’envoi à Tsahal d’une livraison d’armes lourdes en raison de son attaque de Rafah, le sénateur américain Lyndsey Graham, grand suppôt du sionisme, proteste. Invité au Meet the press, sur la chaîne NBC News, il déclare : «Lorsque nous avons été confrontés à la destruction en tant que nation après Pearl Harbor, en combattant les Allemands et les Japonais, nous avons décidé de mettre fin à la guerre en bombardant Hiroshima et Nagasaki avec des armes nucléaires». Appréciant cette destruction de masse, «C'était la bonne décision», jubile-t-il, avant d’ajouter : «Donnez à Israël les bombes dont il a besoin pour mettre fin à la guerre qu’il ne peut pas se permettre de perdre et travaillez avec lui pour minimiser les pertes». Faisant fi de toutes les condamnations internationales, il pousse l’État sioniste à aller jusqu’au bout de l’horreur : «Faites tout ce qu’il faut pour survivre en tant qu’État juif. Quoi que vous ayez à faire». Cet homme au comportement de gangster s’est permis, en mars 2022, d’appeler au meurtre de Vladimir Poutine. «Quelqu'un en Russie doit mettre les pieds dans le plat (...) et se débarrasser de ce type». «Vous rendriez un grand service à votre pays et au reste du monde» (Le Figaro, 4 mars 2022).
Et l’on reste abasourdi de voir des États réputés démocrates s’accommoder de tels monstres dans leurs rouages.
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Les dirigeants occidentaux ont bel et bien trahi les valeurs et les principes dont ils se sont toujours targués. Mais à voir la jeunesse estudiantine d’Occident conduire de Columbia à la Sorbonne un mouvement protestataire de plus en plus vaste en faveur de la Palestine, j’ai des raisons d’espérer. Il faut admirer leur résilience, leur ténacité. Ils sont traqués par la police de leur propre pays, dans la pure tradition des États voyous. Ils résistent au matraquage et aux arrestations, sachant que «Le fascisme n'est pas le contraire de la démocratie mais son évolution par temps de crise» (Bertolt Brecht). Grâce à leur combat, à leur conscience des enjeux, une loi scélérate, élastique et inhibante, qui permettait aux sionistes de commettre impunément tous les crimes de la terre, est en train de tomber en désuétude, celle relative à l’antisémitisme. Le sionisme ne saurait rester au-dessus des lois.
Abdelaziz Kacem
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