Il ne manque au pendu que manger des bananes ما ناقص المشنوق كان ماكلة البنان
Par Ridha Bergaoui - Il y a quelques jours, le Ministère du commerce et du développement des exportations (MCDE) avait annoncé que l’Office du commerce de Tunisie (OCT) va importer durant le mois de Ramadan, dans le cadre de la diversification de l’offre des fruits, 2 000 tonnes de banane depuis l’Egypte qui seront vendues aux consommateurs à raison de 5 dinars le kilogramme.
Importation des bananes, prix et consommation
Un petit tour chez les marchands de fruits et partout sur les étals montre que la banane existe en grandes quantités partout toute fois à des prix avoisinant les 12 dinars/kg. Il y a quelques temps le prix était beaucoup plus élevé et avait dépassé les 15 D/kg et parfois même les 20 dinars. Il est possible que les marchands, qui détenaient la banane, à l’annonce de l’importation de grosses quantités, ont baissé les prix afin d’écouler leurs stocks avant le mois de Ramadan et qu’il soit probable que les prix baissent encore dans les jours qui viennent.
Il faut rappeler que la banane est le fruit le plus consommé dans le monde. La consommation moyenne, pour les pays de l’Union Européenne, se situe à environ 11 kg/habitant/an. Quoique, en Tunisie, le bananier se cultive, particulièrement dans les oasis et les jardins, la production est toute fois insignifiante. Dans les années 1980-1990, une grande entreprise agro-alimentaire a essayé de cultiver la banane, dans la région du Cap-Bon, dans de grandes serres chauffées, malheureusement le bananier exige beaucoup d’eau et les couts de production étaient très élevés, la culture non rentable et a dû être abandonnée.
La quantité de bananes importée varie d’une année à une autre selon probablement les prix, la demande et le pouvoir d’achat du consommateur, les autorisations… Selon les données de l’INS, la Tunisie a importé en 2022 près de 47 000 tonnes, soit une consommation moyenne de 4 kg /habitant. Ces importations provenaient essentiellement de l’Equateur (85%) et de Costa Rica (13%). En 2023, la quantité importée était uniquement de 12 700 tonnes dont 1 837 tonnes d’Egypte.La Tunisie, d’une part impose sur l’importation des bananes, des droits d’entrée et des taxes très élevés et d’autre part des licences d’importation sont requises. Ceci rend l’importation difficile, les prix élevés et décourage les importateurs. Du temps de Ben Ali, l’importation était essentiellement aux mains des proches qui arrivaient à contourner l’obligation des licences et du payement des taxes et la banane était abondante et à des prix relativement bas. Après la révolution, les prix de la banane ont connu une importante augmentation. Ces prix élevés ont encouragé les contrebandiers à amener de la banane des pays voisins où l’importation de la banane est beaucoup moins contraignante. D’où un sérieux trafic de contrebande aux frontières Tunisiennes. Une partie non négligeable des bananes commercialisées en Tunisie est issue de la contrebande.
En France les bananes se vendent actuellement dans les grandes surfaces aux alentours de 2 Euros le kilo alors qu’elles payent très peu de taxes. Il faut signaler que les prix ont connu ces derniers temps une hausse suite à la crise sanitaire et à la guerre en Ukraine, l’augmentation des frais de transport maritime et des couts de production et des intrants surtout l’énergie. Le prix de gros à Rungis se situe pour 2022 à 1,20 Euros en hors taxes.
Bienfaits de la banane
La banane est un fruit un peu particulier. Il jouit d’une bonne réputation. Chez nous on le donne souvent aux bébés (de plus d’un an), aux malades, aux personnes âgées. On peut le donner aux écoliers et jeunes comme gouter et coupe-faim. Très pratique à transporter, facile à consommer et à assimiler, la banane est un fruit intéressant sur le plan nutritionnel. Riche en vitamines, minéraux et fibres la banane est cependant pauvre en protéines mais relativement riche en calories.Sa particularité c’est qu’elle contient du tryptophane (précurseur de la sérotonine) et de la dopamine. Ces deux hormones contribuent à notre bien être et notre bonheur. Ce sont des hormones du plaisir, de la bonne humeur et du bonheur qui agissent comme antidépresseurs. La banane a un effet euphorisant et dopant. D’où l’expression «avoir la banane» qui signifie d’être en forme, de bon humeur et souriant (d’ailleurs la forme courbe de la banane rappelle une bouche souriante).Consommée en grande quantité elle peut entrainer des problèmes de transit et favoriser l’hyperglycémie. La culture des bananes nécessite la lutte contre de nombreuses maladies qui nécessitent l’usage de pesticides divers. La banane est récolte à un stade précoce avec la couleur verte et voyage souvent par la voie maritime durant parfois longtemps. Durant le transport, pour la maturation et pour garder la banane fraiche et belle pendant longtemps, les industriels utilisent certains produits chimiques qui peuvent avoir une incidence sur la santé du consommateur. Sur le plan environnemental, la banane voyage beaucoup et représente une empreinte carbone non négligeable.
L’Etat doit-il importer des bananes pour le Ramadan?
Malgré ses bienfaits psychiques et nutritionnel, la banane n’est cependant pas indispensable pour notre santé. On peut s’en passer sans aucun problème surtout que la Tunisie est le pays des fruits par excellence et qu’on dispose toute l’année, en fonction des saisons, d’une gamme est riche variée de fruits sont plus avantageux que la banane. Le mois de Ramadan, qui correspond au mois de mars-début avril, correspond encore à la saison des agrumes (avec une panoplie variée d’espèces comme les Maltaises, Navel, Clémentines vendus bon marché), la pomme (disponible pratiquement toute l’année), les dattes (le fruit typique du mois saint). C’est également le démarrage des fraises (déjà présentes sur les étals) et le début des nèfles. Sans les bananes, la diversité en fruits existe déjà. Par ailleurs, le prix de détail de 5 D/kg de banane est en deçà du cout de revient. Le prix réel de ces bananes, compte tenu des taxes imposées, est beaucoup plus élevé. Il s’agit donc d’un produit qui sera fortement subventionné et qui va aggraver le déficit de l’OCT. Ceci est d’autant plus important que les réserves en devises (selon les données de la BCT du 19 février dernier) sont faibles et ne couvrent que 105 jours d’importation.Avec l’inflation, la fonte de son pouvoir d’achat, l’augmentation du chômage et de la pauvreté, le citoyen peine à joindre les deux bouts. Les pénuries des produits de première nécessité comme la farine, la semoule, le sucre, le café, le riz, le lait et parfois même le pain subventionné, il passe son temps à aller d’une enseigne à une autre, attendre et faire la queue pour se procurer un peu de ces produits rationnés. Ces gens n’ont pas besoin de banane et les devises réservées pour l’importation de ce produit, qui demeure, même à 5 D/kg, un produit cher, superflu et de luxe, seront mieux utilisées pour mieux approvisionner le marché en produits manquants.
Enfin, la quantité à importer par l’OCT durant le mois de Ramadan de 2 000 tonnes (en moyenne 0,170 kg par habitant soit l’équivalent d’une petite banane pour tout le mois de Ramadan) ne suffirait pas à elle seule pour la couverture des besoins potentiels. Il y a d’abord la consommation des ménages mais également les hôtels, les restaurants et les pâtissiers qui utilisent les bananes comme desserts ou pour la confection de gâteaux. Il faut compter probablement une demande potentielle de 6 000 tonnes surtout que la consommation augmente sensiblement d’une part en raison des longues soirées et d’autre part le besoin de se faire plaisir.
En l’absence de détails concernant le circuit de commercialisation de ces bananes importées et compte tenu de la quantité limitée et afin de bien contrôler la commercialisation et d’éviter la fuite vers des circuits parallèles, ces bananes ne seront certainement pas commercialisées librement dans les circuits classiques des marchés de gros puis des détaillants. Mais plutôt, à l’image du quota de l’huile d’olive vendue à 15 D/l, l’OCT va les commercialiser uniquement à travers les grandes surfaces et d’une façon rationnée. On va probablement avoir les deux circuits, d’une part les grandes enseignes avec de la banane Egyptienne à 5 D/kg et d’autre part le réseau classique des vendeurs (formels et informels) de fruits et de légumes avec la banane plus chère (probablement autour de 10D/kg).Dans une optique de lutter contre la spéculation et de ramener la banane à son juste prix, il aurait été plus judicieux d’importer une quantité importante de bananes pour les mettre sur le marché par les circuits classiques et les vendre au prix de revient. Ce qui permettrait d’augmenter l’offre et de faire baisser les prix. Les spéculateurs seront obligés de s’aligner sur les prix fixés par l’OCT et vendre à un prix raisonnable. Il est également nécessaire de renforcer les contrôles au niveau de tout le circuit, surtout au niveau des chambres froides, pour éviter les fuites et la spéculation.
Le syndrome de la banane
Il ne faut surtout pas faire comme l’année dernière lorsque les prix de la banane et de la pomme ont été plafonnées quelques jours avant le mois de Ramadan, à 5 D/kg les bananes et 4,5 D/kg pour les pommes. Les bananes ont complètement disparu des étages (on les retrouvait bien sûr dans les circuits parallèles et le marché noir sous les comptoirs beaucoup plus chers). Ces fruits ont refait surface à la fin du mois de Ramadan et vendus au même prix qu’avant ou un peu moins chers pour des bananes abimées après leur séjour durant tout le mois de Ramadan au frigo. Quant aux pommes, celles qui se vendaient à des prix inférieurs à 4,5 D/kg ont vu leur prix grimper alors que les plus chères ont, comme pour les bananes, également disparu des étals. C’est ce phénomène, qu’on peut appeler «syndrome de la banane», qui veut que lorsque les autorités interviennent, dans l’intention de réguler le marché d’un produit jugé trop cher pour le consommateur, plafonnent ou fixent les prix d’une façon arbitraire, ces produits disparaissent des étals pour être commercialisés au marché noir encore beaucoup plus cher. Cela a été le cas ces dernières années pour plusieurs produits comme la banane, la pomme, la pomme de terre, le piment, l’ail, le poulet, l’escalope de dinde, les œufs… Alors que dans un marché concurrentiel, le prix est déterminé essentiellement par la loi de l’offre et la demande. Le prix diminue lorsque l’offre augmente ou que la demande diminue et inversement.
Finalement, l’Etat aurait pu se passer de cette opération populiste qui en fin de compte va aggraver le déficit de l’OCT, perturber les circuits de commercialisation classiques et entrainer encore plus de tension sur le marché des produits alimentaires. Dans un excellent article, publié il y a presque 4 ans et dont le lien est indiqué ci-dessous, notre ami Malek Ben Salah (Allah yerhmou) appelait déjà à arrêter l’importation du superflu (la banane ou les glibettes étant les meilleurs exemples de ce superflu) et s’occuper sérieusement du développement de notre agriculture, de nos agriculteurs et de nos citoyens qu’on est en train de faire souffrir et martyriser.
Un proverbe Tunisien très connu, qui traduit parfaitement l’état de nos concitoyens, disait «ما ناقص المشنوق كان مأكلة الحلوى», ce qui peut se traduire en «Il ne manque au pendu que manger des bonbons»
Ridha Bergaoui
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