News - 19.02.2020

Tunisie: Si vous n’avez pas de pain, mangez de la banane!

Si vous n’avez pas de pain, mangez de la banane!

La célèbre réplique de la reine Marie-Antoinette avant la révolution française de 1789 ‘’S'ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche’’; pourrait être remplacée, dans le contexte tunisien d’après 2011 par ‘’qu’ils mangent des bananes’’; tellement la banane est omniprésente sur nos étalages partout où vous vous déplacez en Tunisie; alors que le consommateur ne cesse de se plaindre des prix des fruits et légumes, en plus de ceux de certains produits de première nécessité…. Cette profusion de banane importée et qui se vendent à n’importe quel prix, à 4,000 DT, 5,000 DT, ou 6,000 DT…  n’échappe à personne comme si rien ne peut réduire la gourmandise d’une certaine couche de la société et n’a attiré l’attention d’aucun gouvernement quant à la présence d’un produit aussi surpayé dans une Tunisie au bord de la faillite et pour laquelle la FAO vient de jeter un pavé de taille dans la marre!

Un pavé qui ne fait que rappeler ‘’la déclin du niveau de vie du Tunisien’’ évoqué dans cet «Aperçu régional de l’état de la sécurité alimentaire …. au Proche-Orient et en Afrique du Nord», de la FAO paru en 2019, et affirmant l’existence de près de 2.000.000 de Tunisiens en difficulté de subvenir à leurs besoins alimentaires»…

En fait, et si je parle ici d’étalage de bananes c’est qu’on ne peut qu’être choqué par l’absence d’une sécurité alimentaire qui aurait équilibré nos productions de céréales, de lait, de viande, de légumes, de fruits, de fourrages… en fonction des potentialités que nous permettent la vocation de nos sols, de nos ressources naturelles et de la recherche d’une indépendance alimentaire… pour laquelle aucun effort n’est effectuée!

Des solutions d’hier encore valables aujourd’hui

On n’a pas encore de gouvernement,  ni de politique agricole ; on n’a pas encore de politique commerciale, ni de valorisation de nos productions. On n’a pas encore de politique de structuration d’une profession agricole réclamée par les exploitants eux-mêmes, ni de politique de limitation de l’importation de produits qui concurrencent et détruisent nos productions nationales (tels ces fameuses bananes ou encore le soja pour notre bétail ou même le tournesol de bouches ‘’ces glibettes’’ que certains consomment pour passer le temps et non pour le valoriser…) ! Mais malgré ceci, on peut s'interroger sur l'apathie des pouvoirs publics, comme si le problème était insoluble.

Monsieur Le Président de la République

Je m’excuse de m’adresser à Vous, Monsieur Le Président. Pour ce, et sachant qu’au niveau mondial et local les changements climatiques risquent d’affecter aussi bien nos productions que nos importations alimentaires, et déjà on le voit pour cette campagne. Je pense que le Conseil de Sécurité Nationale que vous présidez, devrait proclamer sérieusement que ‘’Développer l’Agriculture’’ et ‘’Nourrir le Tunisien’’ forment les fondements de cette sécurité nationale, et que le Conseil suivra régulièrement toutes les mesures qui seront prises en la matière. 

Messieurs les Chefs du gouvernement en place et futur

J’appartiens à la génération des grands pères, mais cela ne veut pas dire que je dois me tenir coi ! Nous sommes dans une phase où rien ne marche plus, où on ne peut plus ni laisser faire les générations intermédiaires, embarquées dans des partis sans doctrines et sans objectifs,  ni laisser pousser une jeune génération ignorante de son passé… alors que certains croient qu’en agriculture, il n’y a ni passé ni pensée ! 

Aujourd’hui, même si on n’a pas encore de gouvernement, même si les politiciens veulent gouverner sans programme capable de  mettre la locomotive du pays en marche alors qu’ils n’ont rien compris au slogan de la révolution :

( شغل...حرية...كرامة وطنية  )

que réclament uniformément les jeunes issus de nos villes et de nos campagnes, on se doit de trouver des solutions

Il est temps de comprendre et de redémarrer l’approche sur les véritables urgences de l’instant: Notre point de départ c’est l’Agriculture pour nourrir le citoyen et l’emploi agricole pour favoriser le retour à la terre et réduire le coût de la vie.

Messieurs les Ministres en charge de l’agriculture, de l’environnement et du domaine de l’Etat

Des mesures à court terme pour les deux prochaines années

Un effort de contact des gouvernants avec la population est à effectuer pour la convaincre de la nécessité d’entreprendre ensemble un traitement adapté des fléaux du chômage et de la pauvreté. Il est fondamental, de ce fait, d’appréhender des plans de soutien et d’appui social, des programmes d’assistance à l’emploi, à la création de sources de revenus et de schémas clairs de protection des conditions et du cadre de vie permettant une incorporation sociale efficiente. Pour ce, il faudrait pour les 2 prochaines années :

Arrêter l’importation du superflu (la banane ou les glibettes étant les meilleurs exemples de ce superflu) et limiter, en parallèle, celle du soja et maïs…pour les besoins du cheptel; en faveur de productions locales à faire adopter par les usiniers de ces concentrés ;

Soumettre toute importation de produit agricole à un visa du département de l’agriculture, la douane devant punir sévèrement toute infraction;

Orienter les subventions de l’Etat vers la classe pauvre en (1) arrêtant le gaspillage du pain dont le coût s’évalue à 100 millions de dinars/An (900.000 baguettes/jour sont jetées) doit s’arrêter, par un suivi des boulangeries et la limitation progressive de la farine subventionnée qui leur est livrée…. (2)Augmenter, en parallèle le prix de la baguette de 0,190 à 0,200 DT….; et (3) Mettre sur le marché, au même prix, une «baguette intégrale» fabriquée de farine contenant plus de son de blé et plus riche en fer, cuivre, zinc, magnésium, vitamines B et E, acides gras …;

Généraliser la formation de tailleurs et faire des campagnes intensives de taille sévère des oliviers en vue d’utiliser les feuilles pour l’alimentation des ovins et réduire le coût de production de la viande ovine;

Prévoir, en pluvial et en irrigué, une augmentation sensible des superficies de légumineuses fourragères d’hiver, de printemps et d’été, et importer d’ores et déjà les semences nécessaires; 

La préparation de textes et de stratégies ambitieuses visant la mise en place d’un développement durable pour le long terme

Si les développeurs proposent de favoriser le rôle du Privé, il y a lieu de redonner à l’Administration un rôle plus important en tant que locomotive du développement pour :

Faire de l’exploitant agricole un ‘’entrepreneur/fer de lance’’ qui produit plus et mieux ;

Aider à l’agrandissement de la petite exploitation agricole (plus ou moins de subsistance) en moyenne exploitation/entreprise plus rentable. 

Favoriser l’arrachage des vieilles olivettes et un remplacement partiel pour créer un meilleur emploi de nos ressources en sols…; soit un remplacement  ‘’étudié’’ pour équilibrer avec les autres besoins du pays;

Planifier une mise à contribution de la Recherche visant :

Les productions animales qui coûtent trop chers; car à la base, notre bétail est alimenté par des concentrés à base de soja et de maïs importés, la recherche doit être orientée vers une diversification des productions fourragères à recommander et pour lesquelles, on doit d’ores et déjà, importer les semences nécessaires;

Les productions céréalières qui sont très sensibles aux changements climatiques, les chercheurs doivent proposer, en particulier, des projets conçus à partir des résultats de l’Enseignement et la Recherche agricoles et veiller à les pleinement exploiter.

A mes amis agriculteurs et gestionnaires des domaines de l’Etat

La sécheresse actuelle risquant de perdurer, vos efforts doivent être focalisés sur la réalisation d’une production et d’un revenu minima pour la campagne 2019-2020, pour ce, je rappelle – avec et modestement - certaines mesures et pratiques anciennes à entreprendre avant qu’il ne soit trop tard :

Réduire le gaspillage résultant d’un appel abusif au concentré pour le bétail trop couteux, il faut développer le forage de puits de surface sur les exploitations en pluvial, partout où c’est possible, pour une production de verdure pour les vaches laitières et maintenir une production laitière minimale ;

Augmenter les superficies fourragères chez les exploitants en pluvial pour leur élevage propre ou pour passer des contrats avec des éleveurs voisins ;

Ramasser en urgence toute l’herbe disponible dans et autour de l’exploitation, y compris sur les terres domaniales et les terrains municipaux où les ‘’mauvaises herbes’’ abondent en vue de l’ensiler pour aider dans l’alimentation du cheptel;

De même si vous observez un étiolement important de vos céréales et que la météo ne s’améliore pas, il faut décider vite et bien. Personnellement, je pense qu’il faudrait avoir le courage de choisir entre une achaba qui améliorera la teneur en MO de votre sol, et le ramassage de la végétation pour son ensilage;

Pour nos oasiens, qui se mettent de plus en plus à réclamer plus encore de tourisme pour le Sud…, l’agriculture mérite bien une plus grande attention de votre part : ‘’l’eau’’ commence déjà à manquer sérieusement et le retour à d’anciennes pratiques (nettoyage du sol à la houe gabésienne, la fabrication et l’utilisation de la m’hacha et de la m’sabaa…) et l’introduction de nouvelles (reconversion de certaines oasis, broyage des déchets du palmier pour engraisser le sol, séchage du chiendent pour alimenter l’élevage…) sans oublier la complémentarité qui existait  entre les pâturages sahariens et les oasis si bien exploitée par les M’razigh à ré-initier avec nos jeunes avec peut-être la création d’une école de bergers spécialisés…

A nos braves mères de famille et à leur portefeuille

Dans des pays développés il existe un Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Chez nous aucun département n’est chargé de l’alimentation et de sa relation avec l’agriculture… d’où ces revendications du consommateur pour la cherté de la tomate ou de la pomme de terre en toute saison… comme si on doit en produire en toute saison et à bon prix. Alors qu’en hiver, par exemple, on a toute sorte d’autres légumes bon marché, recommandés par le corps médical !

Chères mesdames, en Tunisie c’est vous qui êtes les vrais Ministres de l’Alimentation, et peut-être aussi de l’économie …
C’est vous qui apprenez à vos enfants soit à consommer à gogo  frites, casse croûtes, pizzas etc…, soit autant de sources d’obésité, de maux du ventre et de diabète … nocifs pour leur santé ou encore… bananes, avocats, saumons… et fromages importés…aussi raffinés que chers pour votre portefeuille que pour l’économie du pays…ou alors  plutôt les éviter et consommer  plus de légumes et de fruits de saison si riches en vitamines et bienfaisant pour notre santé …et pour notre bourse qui s’amincit de jour en jour !

C’est donc vous autres, Ministres de l’alimentation, mères et éducatrices de votre petite famille mais aussi de la grande Tunisie, qui décidez et guidez en fait la production, les prix au marché, la nécessité d’importer ou pas tel ou tel produit…. moyennant quoi vous téléguidez dans les faits une agriculture qui doit être de mieux en mieux orientée. Prenez donc vos responsabilités et dès aujourd’hui et vous aiderez par la même ce pauvre pays!

 

Malek Ben Salah
Ingénieur général d’agronomie, consultant indépendant,
Spécialiste d’agriculture/élevage de l’ENSSAA de Paris



 

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