Hommage à ... - 08.02.2024

Khemaïs Chammari: Le verbe, la plume et l’action

Khemaïs Chammari: Le verbe, la plume et l’action

Khemaïs Chammari s’est éteint aux premières heures de cette année 2024. Ses longues années de prison pour des motifs politiques et d’opinion en 1966, 1968, 1981, 1987 et 1995, et d’exil à plusieurs périodes n’ont jamais entamé sa détermination. Animateur étudiant à l’Union générale des étudiants de Tunisie (Uget), dirigeant du Groupe d’études et d’action socialiste de Tunisie (Geast – Perspectives), secrétaire général de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (et vice-président), et député du MDS, il était constamment en première ligne sur tous les fronts. Son combat se prolongera à l’étranger et sera incessant au sein de différentes instances internationales des droits de l'Homme et aux Nations unies.

Nommé au lendemain du 14 janvier 2011 ambassadeur représentant permanent de la Tunisie auprès de l’Unesco, il s’acquittera parfaitement de sa tâche, jusqu’à son retour à Tunis en 2013. Pour reprendre son engagement militant. Parmi les nombreux hommages qui lui ont été rendus en Tunisie et à l’étranger, nous publions celui de ses deux compagnons de lutte au sein du Centre d'études et d'initiatives de solidarité internationale (Cedetim) à Paris, Bernard Dreano et Gustave Massiah.Khemaïs était une figure majeure de la gauche tunisienne, mais aussi du mouvement international pour la défense des droits humains. Et un compagnon de toujours du Cedetim.
Il était membre de la génération d’après l’indépendance, un de ces étudiants qui découvrait la politique au sein de l’Uget, une organisation qui échappait au contrôle du régime de Bourguiba, où des voix protestataires s’exprimaient tant en Tunisie qu’en France, et cela vaudra à Khemaïs ses premières incarcérations, notamment au moment de la répression de la contestation étudiante de 1968 (de janvier à mars, elle précède le Mai français).Contraint à l’exil, il poursuivra ses études, et aussi son combat militant, en France. Au sein de la maison du 46 rue de Vaugirard, siège de l’Association des étudiants protestants de Paris (Aepp), il participe activement au développement d’un lieu où se retrouvaient alors toutes sortes de groupes, d’étudiants africains et maghrébins, membres de comités sur le Vietnam, la Palestine, l’Afrique du Sud, groupes de réfugiés d’Amérique latine, écologistes, etc. Nous (le Cedetim), étions, ces année-là, en train de créer le Centre international de culture populaire (Cicp), autre lieu anti-impérialiste et de solidarité. Nous n’étions pas concurrents, et très vite, complémentaires, et concernant Khemaïs, amis.

Pendant cette période, Khemaïs était toujours très attentif à ce qui se passait dans son pays, mais aussi multipliait les relations avec les groupes, mouvements et partis progressistes en France.

Khemaïs avait une relation de confiance exceptionnelle avec le Cedetim. En 1973, il propose au bureau du Cedetim d’inviter à une rencontre de « réconciliation » de la gauche tunisienne. Nous nous retrouvons dans les sous-sols de la rue Notre Dame des Champs, avec des représentants de tous les courants de la gauche tunisienne. Après une brève introduction, et le rappel des expériences coopérativistes de Ben Salah dans les années 1960, la discussion s’anime, chacun racontant comment il avait été exclu du Parti communiste tunisien par d’autres présents dans la salle. Les uns et les autres quittent la salle très en colère. Quelques semaines après, Khemaïs revient demander au Cedetim d’organiser une nouvelle réunion, chacun des participants ayant fait son autocritique sur les colères. Nouvelle réunion. Après un moment très convivial, la tension monte, les injures s’échangent et tous partent furieux. Khemaïs revient quelques semaines après, demande au Cedetim de réinviter à une réunion, chacun promettant de ne pas s’énerver. Et ça marche ! La réunion se passe bien et un groupe de liaison de la gauche tunisienne est créé. Par son opiniâtreté et sa volonté, Khemaïs a réussi une mission quasi impossible!Il était particulièrement actif dans la solidarité avec la Palestine, et s’efforçait de sensibiliser la gauche française, et pas seulement la gauche radicale, à la cause palestinienne. En ce début des années 1970, les autorités françaises tolèrent la présence de représentants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) - Mahmoud Hamchari puis Ezzedine Kalak(1). En octobre 1975, Giscard d’Estaing a accepté l’ouverture officielle d’un bureau de représentation de l’OLP, qui sera élevé au rang de « délégation » en 1981. Une victoire diplomatique souhaitée et soutenue par Khemaïs. Une reconnaissance qui, hélas, n’a fait que se diluer puis, en pratique, s’effacer au XXIe siècle.

En 1976, un évènement considérable a lieu en Tunisie, malgré le régime autoritaire (à l’époque Bourguiba), la création de la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme (Lthd), dans laquelle Khemaïs va s’investir de plus en plus. Il comprend qu’il s’agit d’un champ de lutte essentiel, en Tunisie comme à l’échelle internationale. Il en deviendra le secrétaire général, puis le vice-président de 1981 à 1994.

La ligue tunisienne est la première des organisations de défense des droits humains de la région, d’autres vont se créer ensuite au Maroc, en Algérie et dans quelques autres pays arabes. Khemaïs a été un acteur essentiel de ce mouvement de défense des droits, sur le plan tunisien, maghrébin, arabe et mondial : cofondateur de l'Institut arabe des droits de l'Homme, membre du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (Remdh) et vice-président de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (Fidh) de 1983 à 1992.Il a pu rentrer en Tunisie, avec sa compagne Alya, remarquable avocate et militante féministe, malgré les pressions politico-policières. Quand le Premier ministre, le général Zine el-Abidine Ben Ali, renverse le vieux Bourguiba, en 1987, il espérait que les promesses de démocratisation du nouveau régime se concrétiserait. Pragmatique, et malgré les critiques de certains de ses amis, il adhère au Mouvement des démocrates socialistes (MDS)(2)  et sera élu député en 1994. Il se rendra vite compte que le régime ne tolère «l’opposition» que sous son contrôle absolu, et, comme il n’est pas du genre à se soumettre, il est déchu de son mandat puis arrêté en 1996 et détenu dans des conditions particulièrement éprouvantes.

Il est libéré après une intense campagne internationale, à laquelle nous avons modestement participé avec nos amis du Comité pour le respect des libertés et des
droits de l’homme en Tunisie.

Pendant toute cette période d’avant-2011, il reste une référence en matière de défense des droits. Nombreux sont ceux qui allaient à la rencontre de Khemaïs et Alya, à leur domicile de l’avenue des États-Unis d’Amérique à Tunis, domicile ostensiblement surveillé par la police(3).En ces années se développait, malgré de très nombreuses difficultés, une dynamique altermondialiste avec le Forum social maghrébin et aussi le Forum maghrébin des droits humains qu’il a contribué à créer. Il était plus facile à cette époque de tenir des réunions publiques au Maroc qu’en Tunisie et a fortiori en Algérie. Khemaïs était très favorable à ces dynamiques régionales. En 2005, les autorités algériennes l’empêcheront de participer à une réunion de la société civile lors d’un sommet arabe à Alger.

La révolution tunisienne de la dignité, qui commence avec la mort de Mohamed Bouazizi en décembre 2011, a été évidemment ardemment soutenue par Khemaïs. Mais il était fatigué, ressentait les séquelles de son dernier séjour en prison, tombe malade. Il acceptera cependant la charge de représentant de la Tunisie à l’Unesco jusqu’en 2013. Puis demeurera un observateur attentif, et parfois consulté, de la vie politique tunisienne. Il déplorait les jeux partisans à courte vue et l’incapacité de la gauche à s’unir et à intervenir de manière efficace dans le champ politique et social.

Sa forte présence, son caractère entier, sa constance, ses blagues aussi…. Ainsi était Khemaïs, notre ami, notre camarade.

Pour le Cedetim
Bernard Dreano et Gustave Massiah

(1) Les deux premiers représentants ont été assassinés à Paris, Mahmoud Amachari par le Mossad en janvier 1973, Ezzedine Kalak en août 1978 par le groupe Abou Nidal parrainé par Saddam Hussein

(2) Ce parti avait été fondé en 1978 par Ahmed Mestiri pour casser le système de parti unique bourguibien, mais avait été marginalisé malgré des succès électoraux vite annulés par la fraude.

(3) C’est ainsi qu’un beau jour, sortant de chez Khemaïs, j’avais été très ouvertement suivi par un policier… Profitant d’une porte cochère, je m’étais mis… à suivre le policier, ce dernier paniqué car m’ayant perdu, s’était précipité à mon hôtel (il était donc parfaitement au courant de qui j’étais), pour demander à la réception si on m’avait vu. Je lui tapais dans le dos pour lui demander de me donner les clés de ma chambre… Il avait filé sans demander son reste. Cette petite anecdote avait beaucoup réjoui Khemaïs. BD

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