Henry Kissinger a toujours trouvé le moyen de voler au secours de l’Etat sioniste et d’alimenter son hubris
Par Mohamed Larbi Bouguerra - Kissnger faisait sienne cette réflexion de Goethe: «Mieux vaut une injustice que le désordre.»
La mort d’Henry Kissinger pourrait refermer le livre noir de toute une époque au service de l’impérialisme et de l’égoïsme forcené des Chicago Boys. En politique, face à l’URSS- superpuissance- et à la guerre froide, il préféra la stabilité planétaire aux droits de l’homme et à la démocratie. Mais il essaya de cacher la débâcle américaine face à la victoire du communiste vietnamien Ho Chi Minh. «Les réalisations diplomatiques de Kissinger ont été assez étonnantes», a écrit Peter Vale, un chercheur sud-africain «Mais son bilan dans les pays du Sud — surtout en Afrique — est lamentable.» L’échec de la Rhodésie a suivi le même chemin que l’Angola. M. Kissinger ne comprenait tout simplement pas la popularité — et le pouvoir — des mouvements de libération des Noirs. Il répétait en 1969 ne comprenant rien au continent africain: «Les Blancs sont en Afrique pour y rester.» Grave cécité politique!
Juif allemand arrivé en 1938 à New York, il sera naturalisé Américain en s’engageant dans l’armée en 1943 ; ce qui lui permettra en outre de s’inscrire à l’Université Harvard de Boston à la fin de son service militaire….accompli en partie en Allemagne. Il s’installera à la Maison Blanche avec Nixon qu’il désignait par «notre ami ivrogne». Il cumulera les fonctions de conseiller avec celle de Secrétaire d’Etat à partir du 22 septembre 1973. Ce jour-là, larmes à l’œil, il déclare, d’après Le Monde: «Dans aucun autre pays du monde, un homme de mes origines ne pourrait être appelé au poste qui vient de mettre attribué.»
Deux des critiques les plus virulents de Kissinger, Christopher Hitchens et William Shawcross, l’ont qualifié de criminel de guerre. Le journaliste Seymour M. Hersh, a déclaré que MM. Kissinger et Nixon étaient essentiellement deux du genre: «Ils sont restés aveugles aux coûts humains de leurs actions. Les morts et les mutilés au Vietnam et au Cambodge — comme au Chili, au Bangladesh, au Biafra et au Moyen-Orient — ne semblaient pas compter alors que le président et son conseiller à la sécurité nationale luttaient contre l’Union soviétique, leurs idées fausses, leurs ennemis politiques et les uns contre les autres.» (Thomas Lippman, The Washington Post, 29 novembre 2023).
Statut très spécial pour Israël
Plus que toute autre personne, Henry Kissinger a établi le statut spécial d’Israël dans la politique étrangère des Etats Unis, en tant qu’État exempté de se conformer aux normes que les États-Unis exigent des autres. Son approche était conforme à la politique étrangère d’Israël. Habituellement, le Département d’Etat américain comptait pas mal de diplomates pro-arabes et anticolonialistes. Qu’on pense à Hooker Doolittle et à Bourguiba ! Les choses changeront après l’incrustation de Kissinger dans les affaires de l’Etat américain installé par Richard Nixon connu sous le sobriquet de «Dirty tricks» (Les coups tordus) et qui sera contraint de démissionner de la présidence en août 1974, dans l’affaire du scandale du Watergate, pour éviter la destitution.
Aluf Benn (Haaretz, 1er décembre 2023) écrit: «Il y a plus de 50 ans, Henry Kissinger a façonné l’alliance stratégique entre Israël et les États-Unis, créant quelque chose qui l’emporterait avec succès sur les changements d’administrations américaines et de gouvernements israéliens, par le biais de guerres et d’accords de paix. Plus que toute autre personne, Dr Kissinger a établi le statut spécial d’Israël dans la politique étrangère de l’Amérique, en tant qu’État exempté du respect des normes que les États-Unis exigent des autres dans deux domaines : la possession d’armes nucléaires et une occupation prolongée de territoires accompagnée du déni des droits de leurs résidents.»
En ce sens, on peut dire que les terribles drames qui ensanglantent Gaza et la Cisjordanie à l’heure actuelle sont, au moins en partie, l’héritage du maléfique Dr Kissinger. La démocratie et les droits de l’homme n’ont jamais eu de sens pour cet homme au service des multinationales (Exxon Mobil, American Express, Crédit Lyonnais…) (Le Monde, 1er décembre 2023) qui affirmait, pour abattre le Dr Allende élu à la tête du Chili en 1970 et instaurer la dictature ignoble de Pinochet: «Nous ne laisserons pas le Chili partir à l’égout.» (Conversations enregistrées à la Maison Blanche et révélées en 2013 in Le Monde du 1er décembre 2023, p. 27). On comprend alors pourquoi le leader vietnamien Le Duc Tho refusa avec mépris le Prix Nobel de la Paix qu’il devait partager avec Kissinger en 1973 et le qualifia de «mascarade et de ruse de l’Histoire». Ce qui poussa certains membres du jury à démissionner et Kissinger à ne pas aller recevoir son Prix de peur de manifestations hostiles.
La contribution la plus importante de Kissinger à Israël a été formulée en 1969, dans ses premiers mois en tant que conseiller à la sécurité nationale sous Richard Nixon. Il a formulé, avec l’ambassadeur d’Israël aux États-Unis, Yitzhak Rabin, «l’accord nucléaire» convenu par Nixon et le Premier ministre israélien Golda Meir lors de leur rencontre en septembre 1969. Cet accord a établi la politique israélienne d’"imprécision" ou «d’ambiguïté» et lui a donné le soutien américain. Golda Meir a promis qu’Israël ne déclarerait pas qu’il possède des armes nucléaires et ne mènerait pas d’essais nucléaires, et Nixon a accepté de ne pas faire pression sur Israël pour qu’il adhère au Traité international sur la non-prolifération des armes nucléaires. Leurs successeurs ont respecté cette entente jusqu’à ce jour.
Cette entente a également mis fin à une décennie de tension entre Israël, qui a construit le réacteur nucléaire à Dimona avec l’aide française, et les administrations démocrates de John F. Kennedy et Lyndon Johnson, qui ont essayé de limiter et de surveiller les activités nucléaires d’Israël.
Kissinger a mis fin aux visites des inspecteurs américains à Dimona. Après sa retraite en 1977, Israël l’a recruté afin qu’il puisse expliquer cet accord, qui n’a jamais été documenté, à l’administration néo-démocrate de Jimmy Carter. Il acquiesça probablement à la destruction du réacteur irakien Osirak à Tuwaitah, dans la banlieue de Bagdad, par les avions israéliens alors que ce réacteur à eau légère ne peut produire de plutonium.** Il ne put cependant empêcher l’accès à l’arme atomique du Pakistan, pays musulman, grâce à la science des Drs Khan et Abdu Salem, Prix Noble de physique 1973.
Kissinger a permis à Israël de conserver Dimona alors même que les États-Unis prenaient des mesures pour contrecarrer les ambitions nucléaires d’autres pays amis en Asie et en Amérique latine. Cependant, ses activités étaient toujours secrètes. Les détails de l'"accord" Golda-Nixon étaient connus d’un petit cercle de gens, et ne furent publiés que plusieurs années plus tard, lorsque Kissinger était un ancien diplomate qui gagnait sa vie en faisant du lobbying et en conseillant les gouvernements et les entreprises.
La guerre du Kippour a été l’heure de gloire de Kissinger au Moyen-Orient. Les États-Unis ont laissé Israël saigner avant de faire un pont aérien d’armes vitales. Kissinger a alors commencé sa diplomatie de navette entre Israël, l’Égypte et Moscou, qui a conduit à un cessez-le-feu et à un accord sur la séparation des forces. Cela impliquait le retrait de la ville de Quneitra sur le plateau du Golan et de la rive orientale du canal de Suez après la fin de la guerre.
Deux ans plus tard, Kissinger servit de médiateur entre Sadate et Rabin, le successeur de Golda Meir, pour parvenir à un accord intérimaire dans le Sinaï en échange d’un nouveau retrait. Les opposants au retrait ont manifesté contre Kissinger, brandissant des pancartes antisémites. Ils ont cité son opposition à l’amendement des sénateurs Jackson-Vanik, une loi qui conditionnait les relations commerciales normales avec l’Union soviétique sur le fait que Moscou permettait aux Juifs soviétiques d’émigrer. M. Kissinger, lui-même un réfugié juif de la persécution nazie comme on sait, a considéré l’amendement comme un obstacle à sa poursuite de détente. Notre homme a de la suite dans les idées…. comme une girouette!
Kissinger a atteint ses objectifs stratégiques après la guerre: l’Égypte s’est placée dans le camp occidental, et les États arabes ont vu que seule l’Amérique pouvait arracher des territoires à Israël. Kissinger n’a cependant pas achevé son travail, et l’accord complet avec l’Égypte a été signé pendant la période Carter.
Kissinger était moins enthousiaste à l’égard des accords d’Oslo, signés par son ami Rabin et Yasser Arafat.
Kissinger croyait au pouvoir et dédaignait les idées abstraites sur le progrès, la fraternité, la démocratie et la liberté, idées que l’Amérique diffuse, soit- disant, dans le monde entier.
Son approche était conforme à la politique étrangère d’Israël, qui, depuis l’époque du Premier ministre David Ben Gourion, croit en la force tout en nourrissant de profondes réserves sur les institutions et les normes internationales telles que les droits de l’homme et le contrôle des armes. C’est pourquoi la critique sévère de Kissinger par la gauche en tant que responsable direct des meurtres de masse, des atrocités au Cambodge, au Laos et au Chili, au Bangladesh et au Timor, et de la prolongation sanglante et inutile de la guerre du Vietnam, n’est entendue en Israël que par un petit cercle de gauchistes anti-américains. N’empêche! Il n’était pas au -dessus de tout soupçon. Plusieurs magistrats au Chili, en Argentine et en France ont cherché- en vain- à l’entendre. De ce fait, il a supprimé certains pays de ses juteuses tournées de conférences. Il quitta précipitamment la France en mai 2001 après avoir reçu une convocation du juge Roger Le Loire qui enquêtait sur le plan «Condor» d’élimination des opposants aux dictatures latino-américaines. (Le Monde, 1er décembre 2023)
Et Aluf Benn de conclure: «L’establishment israélien et le courant dominant qui adore l’Amérique ont depuis longtemps oublié sa diplomatie de la navette en 1973, s’enorgueillissant de Kissinger en tant que Juif le plus haut placé dans une administration américaine – peut-être le Juif le plus influent de l’histoire américaine, avec Bob Dylan.»
Pour notre part, nous plaçons de gens (liste non limitative) comme Noam Chomsky, Rony Brauman, Sylvain Cypel, Shlomo Sand….comme des juifs qui parlent vrai et font honneur au genre humain.
Mohamed Larbi Bouguerra
** Lire «Physicsisfun. Memoirs of a life in physics» du Pr Richard Wilson, Department of Physics, Harvard University, 2011, p. 317-322 ;
- Ecrire un commentaire
- Commenter