News - 11.11.2023

Ahmed Ounaïes - La colonisation israélienne: Les enseignements de l’histoire

Les enseignements de l’histoire

Le Nord et le Sud de la Méditerranée ont traversé l’expérience de l’occupation, de la résistance et de la libération nationale. Ces épreuves ont forgé la conscience politique des peuples. Au-delà des contextes historiques différents, le contenu humain et la portée de civilisation de ces épreuves sont comparables. L’édification de l’ordre méditerranéen et la conception des rapports d’avenir entre ses peuples ne sauraient ignorer ces enseignements. L’analyse de ces expériences est précieuse pour situer la problématique présente ainsi que les responsabilités des acteurs. Quatre facteurs déterminent cette analyse.

Le précédent européen. Lorsque les peuples européens subissaient l’occupation, ils étaient soutenus dans leur résistance nationale par d’autres alliés européens qui, politiquement, soutenaient leur cause et, militairement, poursuivaient la guerre contre la puissance occupante. De 1940 à 1945, l’Angleterre fournissait l’asile et les moyens de lutte aux dirigeants de la résistance de toute l’Europe occupée. Quand les gouvernements serviles, aux ordres de l’occupant, endossaient l’accusation de terrorisme contre leurs propres nationaux, la légitimité de la résistance n’en était jamais ébranlée dans les rangs des alliés. De surcroît, la poursuite de la guerre contre la puissance occupante constituait pour la résistance nationale une force d’équilibre. L’entrée en guerre des Etats-Unis en décembre 1941 donnait à la résistance un espoir accru. Le champ d’honneur réparti sur deux fronts, le front de la guerre et le front intérieur, offrait à la lutte des peuples européens occupés une capacité stratégique supérieure grâce à la synergie des deux fronts. La résistance palestinienne est réduite au seul front intérieur. Si elle bénéficie de la caution morale et de la reconnaissance politique des Nations unies, la défaillance du système international et des systèmes régionaux à limiter et à sanctionner les exactions de la puissance occupante et à alléger la charge de la résistance conduit cette résistance à concentrer sur le seul front intérieur la totalité de l’action directe de libération nationale.

La stratégie de libération européenne. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, aucun camp n’avait épargné les civils. Les bombardements allemands sur Londres et les représailles alliées contre les villes allemandes n’obéissaient à aucun scrupule. Les Alliés, après avoir réussi les débarquements en Normandie et en Italie et après avoir réduit les défenses allemandes, avaient lancé contre Dresde une série de bombardements meurtriers qui n’avaient épargné ni femmes ni enfants ni vieillards. Pendant plus de deux mois, du 14 février jusqu'au 17 avril 1945, ces bombardements avaient fait plus de 100.000 victimes, peut-être 140.000. Pour les Alliés en guerre, résistance nationale et offensive militaire sont destinées à briser l’ennemi par tous les moyens. Sur le front asiatique, l’ordre de bombarder Hiroshima à l’arme atomique obéissait à ce même objectif. Après avoir froidement analysé les dommages civils immenses causés par la première frappe sur Hiroshima, comment justifier la seconde frappe sur Nagasaki? Du reste, l’arme atomique était-elle censée épargner les civils et frapper les seuls militaires?

Face à un ennemi imbu de sa supériorité et qui ignore les lois de la guerre, le choix des Alliés pour une stratégie d’escalade offensive signifie, de toute évidence, la volonté de ruiner son potentiel civil et pas seulement militaire, dans le but de lui infliger des dommages intolérables et de le contraindre à mettre fin au conflit. Telle est la stratégie de libération de toute résistance. L’angélisme que ni les Européens sous la résistance ni les alliés en guerre n’avaient jamais endossé pour eux-mêmes, deviendrait-il une exigence quand la résistance est palestinienne ou libanaise ? La résistance, il est vrai, est amère, mais elle représente dans la culture des nations une nécessité historique et un devoir supérieur que l’amalgame et la confusion ne sauraient entacher pour toute conscience ayant foi dans l’égalité des hommes et des peuples.Le facteur temps. Si les peuples européens n’ont vécu le régime d’occupation que cinq années, nous comprenons ce qu’il en coûte de subir ce régime pendant plus de cinquante ans. L’oppression dans la longue durée altère l’équilibre de l’oppresseur et de la victime. Les rapports exacerbés de violence, la violation banalisée des droits et de la dignité de la personne ne contribuent guère à préserver le sens de la mesure, ni les valeurs de la vie civile, ni les normes du droit. Deux peuples, sur deux générations, sont confrontés à la réalité de la domination et du rejet, à la banalisation des provocations les plus odieuses, à la volonté de destruction réciproque. Le pourrissement de la situation contribue en définitive à la déshumanisation. La responsabilité politique, dans cette dégradation, ne saurait être égale, car s’il suffit de mettre fin à l’occupation pour mettre fin à toute violence, le choix incombe non pas à la victime mais à la puissance occupante. 

La responsabilité des puissances mondiales n’est pas moindre dans la mesure où elles perpétuent l’immunité de la puissance occupante en dépit de ses violations flagrantes des normes du droit et qu’elles s’abstiennent de qualifier formellement les faits et de dénoncer les infractions significatives aux Conventions de Genève, aux résolutions des Nations unies, aux jugements de la Cour internationale de justice et aux résolutions du Conseil des droits de l’homme des Nations unies: la violation répétée et assumée de la légalité internationale, l’ampleur des dommages infligés aux civils dans les territoires occupés, l’annexion et la confiscation de territoires palestiniens, l’assassinat ciblé élevé au rang d’une politique de gouvernement, les bombardements des villes et des camps de réfugiés dans les territoires occupés et dans les pays voisins, l’usage disproportionné des armes et des munitions létales… La dérobade des puissances mondiales est manifeste.

Au lendemain de l’occupation de la France, le général de Gaulle lançait dans son Appel aux Français le 18 juin 1940: ‘‘La résistance ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas !’’  Parce que la résistance nationale ne s’éteint pas, qu’elle tient toujours après cinquante ans d’occupation, les Palestiniens ne sont pas devenus un peuple soumis. La permanence de la résistance affirme, aussi longtemps que dure l’occupation, l’expression nationale du peuple palestinien et l’ultime garantie de ses droits.

La dimension coloniale de l’occupation israélienne. Dans le contexte palestinien, l’occupation n’est pas seulement matérialisée par l’appareil militaire mais aussi par l’expansion massive de la colonisation. Les colons, venus d’ailleurs et installés par la force dans les territoires occupés, jouissent au milieu des indigènes d’un statut privilégié écrasant. Ces colons armés et retranchés au cœur des territoires occupés sont représentatifs de la nature de l’occupation israélienne. Le régime d’occupation aggravé par la dimension coloniale acquiert un caractère expansionniste qui se prolonge dans les stratégies d’expulsion et d’expatriation du peuple palestinien, parfois dans l’assassinat et l’extermination. De ce fait, la résistance nationale acquiert la charge des mouvements de libération propres aux luttes anticoloniales. Cette charge politique ne saurait être sous-estimée par les Etats européens avec qui nous avons traversé et surmonté l’épreuve de la décolonisation.

Un facteur distinct complique le problème colonial israélien comparé au problème des Métropoles coloniales européennes, celui de la continuité géographique des territoires. Les colonies européennes étaient distantes du territoire métropolitain où la classe politique et l’opinion publique manifestent toujours un recul, une élévation et une distance par rapport aux communautés de colons immergées dans la masse des indigènes. Ce recul offre aux uns et aux autres la faculté de faire appel à l’arbitrage de l’autorité métropolitaine qui n’est pas totalement soudée, politiquement et psychologiquement, au front des colons. Les traditions et les mœurs politiques métropolitaines se distinguent par une pondération et une ouverture démocratique qui contrastent avec le fanatisme et le manichéisme caractéristiques des sociétés coloniales. En Israël, cette faculté de recul n’existe pas dans la mesure où les implantations et les concentrations coloniales prolongent le même territoire et que l’interpénétration des colons, des soldats et des agents de l’administration militaire avec la société israélienne forme une seule et même société coloniale, comparable à la société sud-africaine de l’ère de l’apartheid.

La violence inhérente à cette société est ainsi aggravée par l’absence d’un recours modérateur. Pour le commun des Israéliens, les conditions d’affranchissement de la mentalité coloniale ne sont pas aisées même si, pour une partie de l’élite israélienne, comme dans toute société coloniale, les contradictions mêmes de la société provoquent précisément le déclic libératoire.

Ahmed Ounaïes

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