News - 08.11.2023

Humanité: entre Intelligence Artificielle et Immortalité Artificielle

Humanité: entre Intelligence Artificielle et Immortalité Artificielle

Par Maledh Marrakchi - L’humanité d’aujourd’hui est la résultante d’une extraordinaire évolution à travers des millénaires. Une évolution tant biologique, que physique, sociale, intellectuelle, scientifique, culturelle, et spirituelle que Yaval Noah Harari, penseur et philosophe, a remarquablement retracée dans son livre «Sapiens».

Cette évolution a été jalonnée par des révolutions marquantes dans le développement de l’humanité. Selon différents référentiels, on parle de révolution agraire, de révolution industrielle, de révolution cognitive (apparition chez les sapiens de nouvelles formes de communication et de pensée remontant à plus de 30000 années), révolution copernicienne, révolution darwinienne, révolution freudienne, …
Depuis maintenant quelques années, on parle de la révolution digitale comme un nouveaujalon dans l’évolution de l’humanité. Certains y voient une évolution qui va marquer une singularité dans l’histoire humaine avec notamment le développement d’intelligences artificielles de plus en plus performantes. Cette singularité technologique consisterait à atteindre un certain seuil où une «explosion d’intelligence» bouleversera les sociétés humaines de façon imprévisible.

Il ne se passe pas un jour, pour ne pas dire une heure, sans qu’une nouvelle application de l’IA ne soit révélée dans un domaine de la vie. L’IA a envahi tous les domaines de l’activité cognitive humaine. L’émergence des IA génératives(1) à l’image de ChatGPT, et leurs applications dans différents domaines a accentué les attentes et les espoirs, mais aussi les «craintes» de l’avènement d’un bouleversement sans précédent.

Inventer un récit en langage naturel, cohérent, intelligible et original est aujourd’hui réalisable avec une IA. Produire une nouvelle symphonie ou sonate imitant une œuvre d’un grand musicien du 18ème siècle, n’est plus une illusion. Inventer une nouvelle «peinture» de Van Gogh, de Renoir ou Picasso, est tout à fait possible à travers une IA générative qui a appris des anciennes œuvres du peintre. Imiter la voix de quelqu’un et produire un enregistrement sonore ou vidéo qu’il n’a jamais fait dans la réalité, est tout à fait possible avec une ressemblance déconcertante.

L’immortalité de l’être humain tant vénérée et recherchée depuis toujours, jusqu’ici matérialisée par ce que l’homme laisse après la mort de son corpsorganique comme œuvres artistiques, culturelles, scientifiques, sociales, ou comme pensées et filiation, ...etc, voit ses «limites» repoussées par l’émergence de nouveaux artifices via l’IA, qui transcendent la matière vers une Immortalité Artificielle. Cette IA par l’IA resuscite d’une certaine manière l’esprit de l’homme décédé et lui permet de continuer à être présent parmi les vivants.

Les développements scientifiques dans les domaines de la biologie, des neurosciences, de la génétique, de la biotechnologie, sont en phase d’une forte accélération grâce aux apports de l’IA. La nouvelle génération de l’ingénierie génétique qui décode le génome humain et cartographie les fonctions de chaque gène, est en mesure, dans certains cas et le sera davantage dans le futur proche, d’adresser les dysfonctionnements de notre ADN qui sont sources des maladies, voire de notre vieillissement, et apporter les correctifs nécessaires. Certaines manipulations sont mêmes en mesure de recréer des organes organiques spécifiques pour des greffes, voire faire renaître des anciennes créatures.

Grace à l’IA et à notre connaissance de l’origine génétique de certaines maladies, il est possible de produire des molécules qui adressent de façon spécifique ces dysfonctionnements et agissent de façon ciblée et personnalisée. On parle alors de médecine personnalisée et de médecine de précision.

Avec le développement de l’accès aux données physiologiques de l’être humain en temps réel, à travers notamment des capteurs implantés dans le corps humain ou dans les vêtements portés, il est ainsi possible de suivre, d’analyser et de prédire toutes sortes d’anomalies du comportement physique de différents organes. Cette analyse facilitée par des systèmes d’IA embarqués ou accessibles via le cloud permet d’agir à temps et de prévenir toute complication. Des projets de recherche sont en cours pour développer des capsules ingérées qui captent des informations auprès de certains organes et le cas échéant agir en conséquence localement.

L’IA étant essentiellement basée sur l’information, est très facile à démultiplier à faible coût. Une IA avec de grandes capacités cognitives est en mesure d’être produite en quelques minutes voire quelques heures. L’équivalent biologique nécessiterait des années.

Cette désynchronisation entre l’intelligence humaine et l’IA de plus en plus performante a conduit certains philosophes et penseurs à réfléchir sur l’avenir de l’humanité, par rapport à l’automatisation galopante des fonctions cognitives réservées jusqu’ici à l’être humain. Nous citerons ici deux scénarios pour l’humanité entrevus par deux philosophes.

Le premier scénario est celui défendu par Yuval Noah Harari dans son livre «Homo Deus, une brève histoire de l’avenir» dans lequel il dit «Au 21ème siècle, nous pourrions bien assister à la formation d’une nouvelle classe non laborieuse massive : des gens sans aucune valeur économique, politique ou artistique, qui ne contribuent à rien à la prospérité, à la puissance et au rayonnement de la société. Cette «classe inutile» ne sera pas simplement inemployée, elle sera inemployable». Il croit fermement que l’humanité (l’homo sapiens) telle que nous la connaissons aujourd’hui sera modifiée par l’effet du remplacement du processus de sélection naturelle, par celui du «design intelligent» à travers trois approches possibles: l’ingénierie biologique, l’ingénierie cyborg (concaténation de «cybernétique» et «organisme», une forme de transhumanisme qui combine des organes organiques avec des organes non-organiques), et l’ingénierie de la vie non-organique.

Le deuxième scénario évoqué par John Donaher dans son livre «Automation and Utopia: Human flourishing in a world without work» consiste à voir une IA omniprésente partout qui va rendre le travail humain obsolète. Il ne voit pas ceci comme une mauvaise nouvelle tant que cela reste un remplacement dans le travail, mais pas dans la vie en général. Il pense que l’utilisation massive des technologies dans la vie quotidienne menace notre bien-être et l’épanouissement de l’être humain. Une utilisation massive de la technologie renforcerait notre dépendance de la machine. Donaher défend, en revanche, une vision de ce qu’il appelle «l’Utopie Virtuelle» où le travail humain disparaît au profit de la machine. Les humains sont inutiles mais passent leur temps à jouer individuellement ou collectivement, dans un monde virtuel «réalité augmentée ou virtuelle» avec des casques appropriés. Il considère ceci comme la voie royale vers l’épanouissement humain. Il dit « les jeux seront des arènes dans lesquelles l’autonomie et l’agentivité humaines pourront être nourries et développées. Ils donneront aux humains la possibilité de penser, de planifier et de décider, de cultiver des vertus morales comme le courage, la générosité ou le fair-play, et de faire preuve d’ingéniosité et de créativité». Ce scénario semble être celui qu’entrevoie actuellement Meta (entreprise mère de Facebook) avec son projet Metaverse.

Ce scénario pose la question de la production de la richesse et sa captation de plus en plus par une minorité qui contrôle et développe les plateformes et notamment les plateformes digitales. Le caractère transfrontalier de ces plateformes et de cette nouvelle économie «économie des plateformes», suscite des craintes sur la souveraineté des Etats et exigera forcément une nouvelle régulation pour une reprise en main de cette souveraineté et pour un nouveau mode de redistribution de la richesse.

Le futur de l’humanité pourrait être un scénario différent de ces deux visions. Il pourra être une combinaison des deux scénarios. Il sera surtout fonction de notre engagement aujourd’hui à ne pas considérer que tout ce qui est techniquement possible et réalisable, est forcément moralement souhaitable ou acceptable par nous et pour nous.Des frontières réglementaires, mais surtout, éthiques et morales doivent baliser notre action au quotidien. Les jeunes générations actuelles et à venir qui seront des acteurs du monde de l’IA et de l’IA, se doivent d’être éduquer à ces principes et à toujours se poser la question morale «Que dois-je faire?» comme le dit Kant.

Maledh Marrakchi

1) https://www.leaders.com.tn/article/34919-maledh-marrakchi-ethique-et-gouvernance-de-l-intelligence-artificielle-generative

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