Hommage à Ridha Zouari
Voici le parcours d’un homme qui a incarné à la fois le militantisme et la pensée et qui a fait preuve d’une grande générosité intellectuelle avec des idées qui ont ébranlé les tendances idéologiques dominantes. Lui qui parlait avec ferveur de l'influence des marginaux était lui-même un marginal au sein de la sphère politique et intellectuelle. Sa discrétion et son humilité rendent la rédaction de ce récit difficile vu qu’il préférait discuter ses idées plutôt que de raconter son parcours. Ceci se prouve dans sa conception cohérente avec ses idées des partis politiques, qu’il refusait qu’ils soient fondés sur le culte des personnes mais défendait une structure qu’il qualifiait de pyramidale fondée sur la participation active et la représentativité des militants des localités jusqu’au centre.
Ridha Zouari est né le 23 novembre 1949 à la médina de Sfax. Il est le fils de Ahmed Zouari, violoniste émérite dans la troupe de la radio de Tunis puis de Sfax et de Khadija Ouali, et le petit-fils de Said Zouari Cheikh de malouf à Sfax. Il est le cadet de 7 frères et sœurs.
Il fut scolarisé à l’école primaire Al Chabeb et au lycée de «El Hay Ezzaytouni» où il suivit ses études secondaires. Dès les premières années, il éprouva une grande passion pour la philosophie et la politique. Ceci suscita l’intérêt de son professeur, qui le convainquit, alors, de rejoindre les rangs du parti El Baath. Il organisa, en 1970, une manifestation, avec ses compagnons, contre la visite de Rodgers, le secrétaire d’état des Etats Unis, en Tunisie. Cette action lui coûta, avec certains de ses compagnons, une expulsion définitive de tous les lycées de la République. A la suite cette exclusion, il décida de poursuivre ses études à l’étranger. Il obtint son passeport après une longue période d’attente et partit en France où il réussit l’examen d’entrée à la Sorbonne pour étudier la philosophie. Son appartenance à El Baath et son enthousiasme politique le menèrent à effectuer un séjour en Iraq puis en Syrie. En France, il rejoignit les rangs de «El Amel Attounsi» mais ne tarda pas à s’éloigner de ce mouvement à cause de ses convictions qui constitueront le fondement de son ouvrage «Critique de l’Idéologie». Après l’obtention d’une licence et d’un DEA en philosophie, il décida de rentrer en Tunisie et de rejoindre le corps professoral dans un lycée à Kasserine puis à Jebniania. Après le décès de son père. Il muta à Tunis pour enseigner au lycée Bab Jdid où il fut élu au bureau exécutif du syndicat de l’enseignement secondaire; il fit partie du groupe qui soutenait la levée de l’exception sur Habib Achour. Cette période fut très riche intellectuellement et politiquement.Sa volonté inébranlable de rassembler les forces politiques progressistes le poussa à participer à la fondation du «Rassemblement de la Gauche Socialiste Révolutionnaire » entre 1981 et 1983 avec 13 de ses compagnons. Ils seront jugés devant le tribunal de la sûreté de l’Etat à la suite de la saisie d’un document en la possession de l’un de leur camarade, intitulé «La nécessité de l’union de la gauche socialiste révolutionnaire, l’approche du capitalisme dépendant et de l’impasse, un quart de siècle de retard de croissance et de tyrannie, le programme conjoncturel».Entre 1981 et 1989, il publia plusieurs ouvrages, dont «Résumé de l’Histoire de la Péninsule Arabe avant l’islam» en 1981. Ce livre expose les structures économiques et sociales dans le péninsule arabe avant l’islam, «L’infiltration du Capitalisme en Tunisie » en 1982 dans lequel il décortiqua les structures économiques traditionnelles en Tunisie durant la période coloniale, «Dans la Pensée Dialectique» en 1983 et une deuxième édition en 1988, «Dans la Critique de l’Idéologie, Religion-Pouvoir- Marxisme et Démocratie» en 1984 avec une deuxième édition 1989, une traduction du livre de Louis Althusser «Philosophie et Philosophie Spontanée des Savants» en 1987, «Le développement Arabe: L’impasse et la sortie difficile» en 1988 , «Une Lecture dans la Genèse de la Philosophie» en 1989. Il participa à la Fondation de l’Association Tunisienne des Etudes Philosophiques. Il fut l’auteur de plusieurs articles dans le journal «الرأي». En 1987, Il rentra à Sfax avec sa compagne Sarra Tounsi, professeure de philosophie. Il rejoignit le mouvement Attajdid, et devint membre de son bureau politique en 1993 mais le quitta avant les élections législatives et présidentielles de 1994 à cause de sa position de cette échéance électorale. Il s’inscrivit à l’université de Tunis pour un doctorat sur l’imaginaire et la religion chez Averroès, et l’obtint en 2005. A partir de 2008, il occupa le poste de chef de département de philosophie à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sfax pendant deux mandats. Il se spécialisa dans la philosophie islamique et rédigea un ouvrage intitulé « la philosophie d’Ibn Khaldoun». En même temps, Il continua son opposition acharnée au régime de ben Ali et resta actif pendant longtemps au sein de la société civile Il était membre à la section de Sfax de la LTDH, membre du groupe de soutien du comité du 18 Octobre 2005 et membre du comité de soutien du soulèvement du bassin minier en 2008. Pendant cette période, il publia son ouvrage qu’il avait écrit en 1979 «La Lutte des Classes en Tunisie». En 2011, Ridha Zouari participa à la manifestation du 12 janvier à Sfax et participa, durant la même année à la fondation du réseau Dostourna. Après une année, il publia son dernier ouvrage «La Révolution Tunisienne : la Puissance des Marginaux». Dans cet ouvrage, il explique le rôle crucial des marginaux dans la révolution Tunisienne et il introduit le concept de la structure fêlée de la société Tunisienne. Il retourna vivre à Tunis en 2013 et resta actif dans le réseau Dostourna, en réitérant son appel à unir les forces progressistes. Il quitta le réseau Dostourna en 2015. En 2016 il fonda la revue intellectuelle et politique «Horizon» dans laquelle il publia ses derniers articles. En 2018 il participa à la fondation du mouvement «Tounes Ilal- Amam» et appela à l’union des forces de de la Gauche mais quitta rapidement ce mouvement.
Il arrêta toute activité publique après ça et se contenta d’observer la situation dans le pays, trouvant refuge dans la musique de Mohamed Abdelwaheb et Farid Al Atrach; lui qui disait que la seule bonne chose que l’humanité ait pu faire c’est la musique. Il s’éteint le 31 juillet 2023 à 73 ans. Ses camarades, ses élèves et ses étudiants lui ont témoigné l’état de sagesse, de générosité et de militantisme dont il a fait preuve durant son parcours.
- Ecrire un commentaire
- Commenter