Mohamed Salah Ben Ammar: Seule l’initiative de l'UGTT pourra aider le pays à sortir de l’ornière
Le 02 mai le philosophe, anthropologue et islamologue Youssef Seddik déclarait sur l’une des chaines radios nationales «Depuis ma jeunesse je n’ai jamais vécu dans un tel climat. On n’y comprend rien. C’est une situation sans précédent…» Avant d’ajouter les gouvernants disent que nous sommes sur le bon chemin or le monde entier, les organismes internationaux autour de nous disent le contraire et nous-mêmes au fond de nous, nous avons la conviction qu'ils disent vrai.
Cette réflexion reflète la profonde cassure qu’on observe actuellement dans notre société tunisienne. Partout s’opposent ceux qui croient au processus en cours et ceux qui le rejettent. Certes, c’est dans l’air du temps et nous ne sommes pas le seul pays au monde à être victime de ce type de situation, le Brésil, les USA et d'autres pays le vivent, mais il faut le reconnaitre, arriver à diviser à ce point toutes les structures du pays est une prouesse que personne n’a jamais réussie en Tunisie. Organisations, syndicales, patronales, associations, partis politiques, médias aucun secteur n’a échappé à la division. Nous ne pouvons pas nous permettre ce luxe.
Mais au fait savons-nous vraiment ce qui nous oppose? Une idéologie? La politique adoptée? L’action gouvernementale? Les orientations économiques choisies? Les personnes? La tonalité de leurs discours? Notre détestation d’un passé récent opportunément appelé «décennie noire»? De l’existence même de certains partis politiques pour ne pas les nommer? La soif de revanche?
Autant, nous sommes d’accord sur le fait que le pays traverse une de ses pires crises depuis l’indépendance, autant nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord sur les causes de cette crise et encore moins sur les voies à suivre pour la résoudre.
Un bilan impartial et exhaustif aurait été plus constructif que cette lente et lassante litanie que nous subissons régulièrement. Ainsi nous avons droit à un chapelet d’accusations qui nous ont été égrenées au fil du temps et des discours. Les lois ont été qualifiées de lois scélérates, la constitution de 2014 bien évidement la cause de tous nos malheurs, des individus malfaisants ont ruiné notre économie, la corruption est organisée par des cartels, les forces du mal rongent le pays, les ennemis de l’intérieur complotent avec les puissances étrangères, les institutions financières internationales veulent nous ruiner… On a tiré à tout va sur toutes les cibles potentielles avec parfois des omissions pas toujours innocentes. Tout n'est pas faux mais là où le bât blesse est que ce discours qui rassure le « bon peuple » n'est pas accompagné de propositions crédibles mais plutôt de chimères.
Avoir fait l’économie d’un bilan sérieux suivi d’un débat de société aura été une grosse faute mais qu'il est encore temps de rattraper.Continuer à surfer sur nos divisions actuelles mettra en danger tous nos acquis. Les initiatives politiques et en particulier celle initiée par l’UGTT en Janvier 2023 et appelée «La Tunisie de l’avenir» sont une chance. Elles doivent être prises au sérieux. L’État édifié par nos parents et grands-parents aussi imparfait soit-il, est notre toit commun et il risque de s’écrouler si nous n'y prenons pas garde. C'est de ce risque que parlait Youssef Seddik et il n’est pas le seul à ressentir la même chose. Certes cet État était loin d’être parfait ou même juste, il en a traversé des crises, il a connu les dictatures, la corruption, le népotisme, le régionalisme et bien des révoltes mais en 67 ans d’une indépendance, que certains qualifient encore de tronquée, nous avons des acquis non négligeables que tous les pays de la région nous envient. Le plus important est certainement comme le disait Bourguiba est l’édification d’une Nation avec des institutions stables. Ce n’est donc pas par hasard que beaucoup de jeunes qui n'ont même pas connu Bourguiba invoquent à nouveau les idéaux bourguibistes.
Dans le marasme actuel l’initiative de l’UGTT parait comme notre seule planche de salut crédible. Il faut le comprendre, le temps qui passe est notre ennemi. Et quand bien même nous obtiendrons le fameux crédit du FMI, aucun de nos problèmes ne sera résolu sans un dialogue. Il nous faut panser nos plaies et entamer au plus vite la reconstruction de la cohésion nationale. Cette reconstruction ne se fera pas en quelques jours, elle passe par l’établissement d’un bilan objectif suivi d'un dialogue national constructif et serein. Et qui d'autre que l’UGTT est actuellement en mesure de fédérer toutes les forces vives du pays autour d'un tel projet ?
Mohamed Salah Ben Ammar
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