Joseph Stiglitz : Elever davantage le taux d’intérêt pourrait s’avérer contreproductif
« L’inflation actuelle est principalement la conséquence de pénuries d’offre d’ores et déjà en cours de résolution pour certaines. Elever encore davantage les taux d’intérêt pourrait par conséquent se révéler contreproductif. » C’est ce qu’écrit le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz. Dans une tribune publiée dans de nombreux journaux internationaux, il estime que « cette démarche ne produira pas davantage de denrées alimentaires, ni de pétrole, ni de gaz, mais rendra plus difficile la mobilisation d’investissements susceptibles de contribuer précisément à l’atténuation des pénuries d’offre. »
En mai 2011, quelques mois seulement après le 14 Janvier, Joseph Stiglitz avait pris l’initiative de lancer avec vingt autres économistes de renommée mondiale, à partir de Tunis, un appel aux dirigeants du G8 qui devaient se réunir à Deauville, afin de « soutenir la transition en Tunisie et plus précisément à soutenir une feuille de route qui serait élaborée et conduite par la Tunisie ; feuille de route qui identifierait clairement les acteurs impliqués et les montants à mobiliser. » Il avait été reçu alors avec Jean-Louis Reiffers et Olivier Pastré, par M. Béji Caïd Essebsi, alors Premier ministre. Il est revenu à Tunis, en juin 2012, à l’invitation du Cercle des économistes de Tunisie.
Dans son récent article, Stiglitz souligne que le monde demeure à la merci de deux cataclysmes qui échappent à tout contrôle : la pandémie du au Covid-19 et la guerre menée par la Russie en Ukraine. « Dans tous les cas, écrit-il, il faut s’attendre à davantage de perturbations dans les prix de l’énergie et des produits alimentaires. Et comme si ces problèmes n’étaient pas suffisamment sérieux, tout porte à croire que la réponse des dirigeants politiques transformera un contexte grave en une situation encore plus catastrophique. »
« Le resserrement monétaire risque également de conduire à un ralentissement mondial, prévient Joseph Stiglitz. Certains commentateurs, convaincus que la lutte contre l’inflation passe par la douleur économique, s’attendent volontiers à une récession. Plus elle sera rapide et violente, mieux cela sera, affirmentils, ne semblant pas songer au risque de voir le remède se révéler pire que le mal. Si un dollar plus fort tempère certes l’inflation aux États-Unis, c’est parce qu’il affaiblit les autres monnaies, et qu’il aggrave l’inflation ailleurs. Pour atténuer ces effets de change, les autres pays, même les plus fragiles, sont contraints d’élever les taux d’intérêt, ce qui affaiblit encore davantage leur économie. Taux d’intérêt plus élevés, monnaies dépréciées et ralentissement mondial poussent d’ores et déjà plusieurs dizaines de pays au bord du défaut de paiement. »
Pour le Prix Nobel économie, « l’augmentation des taux d’intérêt et des prix de l’énergie conduira également de nombreuses entreprises à la faillite. Les sociétés et les ménages ressentiront le stress du resserrement des conditions financières et de crédit. Sans surprise, quatorze années de taux d’intérêt ultra faibles ont abouti au surendettement de nombreux Etats, entreprises et ménages et ont créé de multiples risques invisibles – comme l’a illustré le quasi-effondrement des fonds de pension britanniques cet automne. Les asymétries d’échéances et de taux de change sont la marque des économies sousréglementées et du foisonnement d’instruments dérivés opaques. Ces difficultés économiques seront particulièrement douloureuses pour les pays les plus vulnérables, ce qui créera un terreau encore plus fertile pour les démagogues populistes déterminés à semer les graines de l’amertume et du mécontentement. »
Gardant son optimisme, « un agenda positif existe certes encore, susceptible d’empêcher une plongée dans la régression et le désespoir, estime Stiglitz. Mais, dans de nombreux pays, la polarisation et l’impasse politiques éloignent cet agenda de notre portée. Si nos systèmes politiques fonctionnaient mieux, nous aurions pu agir beaucoup plus rapidement pour accroître la production et l’offre, et ainsi atténuer les pressions inflationnistes auxquelles nos économies sont désormais confrontées. »
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