Sofiane Zribi - L’insomnie : la connaître et la combattre
Le philosophe allemand Arthur Schopenhauer disait “Le sommeil est un emprunt fait à la mort pour l’entretien de la vie.” ! Il n’avait pas tellement tort tant ses contemporains qualifiaient le sommeil de petite mort. On voyait dans le sommeil un phénomène passif, une sorte de repos où la vie psychique cesse de s’activer, où l’homme se livre à ses rêves les plus fous totalement en rupture avec la réalité.
L'humanité devait attendre le XIXe siècle pour que le phénomène du sommeil soit explicité, autrement que par des raisonnements philosophiques.
Sigmund Freud publia en 1899 son fameux livre L’interprétation des rêves, où il explique que loin d’être un phénomène passif magique ou ésotérique, le rêve a en fait un sens en rapport avec l’inconscient du sujet où se projettent sur une trame dramatique imagée et symbolique comme dans un théâtre les préoccupations les plus profondes et les moins conscientes du rêveur. Il élabore une théorie solide pour l’époque qui permet encore à ce jour aux psychanalystes de démêler la trame inextricable des rêves. Des phrases célèbres de Freud sont à ce jour toujours citées par les étudiants en psychologie: «Le rêve est le gardien du sommeil» ou encore «le rêve est la voie royale vers l’inconscient».
Mais la véritable avancée dans la connaissance du sommeil n’est pas venue des psychologues mais des neurophysiologistes. Le Français Gélineau décrivit en 1880 la narcolepsie, maladie où le sujet est pris d’une crise soudaine de sommeil durant laquelle le tonus musculaire s’effondre, entraînant sa chute. Crise durant laquelle le malade rêve et perd tout contact avec la réalité.
L’arrivée de l’électroencéphalogramme en 1875 avec le physiologiste anglais Richard Caton, qui utilisa le premier des électrodes internes implantées chez l’animal et plus tard des électrodes externes sur le scalp des humains endormis, a permis de comprendre que le sommeil n’est pas un phénomène passif mais actif. Depuis, la recherche et la connaissance des mécanismes complexes du sommeil se font de plus en plus précises.
Les cycles de sommeil
Une nuit de sommeil est faite de 3 à 4 cycles de sommeil de 1h30 à 2h30 chacun. Chaque cycle comporte une période de sommeil dit lent car les tracés du cerveau se ralentissent au moment de l’endormissement suivis d’une période de sommeil dit paradoxal et l’activité du cerveau devient comparable à celle d’un homme éveillé. C’est lors du sommeil paradoxal que surviennent les rêves, une abolition du tonus musculaire, une érection chez les hommes et une humidification des voies génitales chez les femmes.
Pourquoi dormir est important?
Un bon sommeil est le corollaire d’une bonne santé. Durant le sommeil, le cerveau reconstitue ses réserves de neuromédiateurs, la mémoire à long terme engramme les informations importantes de la journée, certaines hormones ne sont sécrétées que lors du sommeil alors que le système immunitaire prend tout son rôle dans la défense de l’organisme. Une bonne nuit de sommeil guérit plein de maladies, dit le dicton. Le sommeil ajuste aussi nos émotions et nous permet de dépasser certaines situations anxiogènes ou déplaisantes de la journée : «La nuit porte conseil».
Combien de temps doit-on dormir?
La durée du sommeil se raccourcit au cours de la vie. Un bébé a besoin de 19 heures de sommeil par jour, un enfant de 12 heures, chez l’adolescent l’endormissement se décale jusque tard dans la nuit et le réveil est difficile. Un homme adulte a besoin de 7-9 heures de sommeil par jour alors que le vieillard peut se suffire de 4-6 heures de sommeil par nuit.
L’insomnie, c’est quoi? Quelles sont ses causes?
L’insomnie est d’abord une plainte, le sentiment de ne pas se réveiller frais et actif le matin et d’avoir mal dormi. Cliniquement, on distingue les insomnies d’endormissement le plus souvent d’origine anxieuse, les insomnies matinales quand le sujet se réveille à 2-3 heures du matin et n’arrive plus à se rendormir dont la cause la plus fréquente est la dépression de l’humeur et le sommeil haché quand l’individu se réveille plusieurs fois au cours de la nuit, très fréquentes chez les personnes âgées.
Les causes de l’insomnie sont multiples : les maladies physiques comme les troubles endocriniens, la douleur, certaines maladies neurologiques et immunitaires. Les maladies psychiatriques entraînent presque toutes des troubles du sommeil, les troubles anxieux, les troubles de l’humeur, mais aussi les périodes productives des psychoses schizophréniques. Les états de manque et de sevrage chez les toxicomanes et les alcooliques et la consommation d’ecstasy, de cocaïne peuvent provoquer des insomnies complètes sur plusieurs jours.
Chez le sujet âgé, le raccourcissement de la durée du sommeil normal, l’isolement, la désafférentation auditive ou visuelle, le stress peuvent provoquer des insomnies malignes, très difficiles à soigner. De même les problèmes prostatiques ou cardiaques qui augmentent la fréquence du besoin d’uriner transforment la nuit de certains hommes en véritable va-et- vient continu nocturne entre le lit et les toilettes.
Mais la cause la plus fréquente de l’insomnie reste les mauvaises habitudes et la non-observance des règles hygiéno-diététiques relatives au sommeil : surconsommation d’excitants, heures de sommeil aléatoires, chambre trop chauffée, dîners lourd et tardifs, utilisation du smartphone au lit, sommeil devant la télévision allumée, etc.
Quelles sont les conséquences de l’insomnie?
L’être humain ne peut pas résister à une insomnie totale de plusieurs jours. Le record du monde est de 11 jours. Sans sommeil, le premier symptôme est la fatigue, suivent la modification de l’humeur, tout d’abord de l’irritabilité, puis un sentiment profond de mal-être avec un vécu dépressif, ensuite s’installent les troubles cognitifs, difficultés dans le langage, le raisonnement, la mémoire, puis l’individu devient incapable de soutenir l’éveil et tombe dans des états de torpeur où il est difficile de le réveiller. La mort peut survenir si on force le sujet à rester éveillé. Chez l’insomniaque, on constate souvent le sentiment de mal-être, la souffrance de mal dormir est au premier plan, parfois s’y ajoutent des composantes dépressives et anxieuses. Le travail devient laborieux, difficile du fait de la fatigue et des troubles cognitifs comme les difficultés d’attention, de concentration et de mémoire. Le rendement scolaire ou professionnel est très diminué alors que l’irritabilité transforme la vie sociale et familiale en un espace conflictuel et d’incompréhension mutuelle. L’étude du tracé du sommeil des sujets insomniaques montre un tracé perturbé, avec des cycles courts de sommeil lent et la multiplication des phases de sommeil paradoxal.
Faut-il recourir aux somnifères? Quels sont les risques?
Les somnifères sont des médicaments qui servent à induire le sommeil chez les sujets souffrant d’insomnie. Leur utilisation doit être attentive tant ces médicaments son capables d’induire une tolérance nécessitant d’augmenter continuellement les doses pour pouvoir dormir et une dépendance rendant le sujet incapable de vivre sans leur usage.
Comme la plupart des somnifères sont des benzodiazépines, ils peuvent induire une myorelaxation, donc un risque de chute, surtout chez le sujet âgé, une dépression respiratoire chez les sujets insuffisants respiratoires ou fragiles, des crises épileptiques lors de leur sevrage ainsi que des comportements paradoxaux.
La prescription de somnifères doit se faire sur la période la plus courte possible avec la plus petite dose nécessaire.
Quels conseils pour bien dormir?
On ne soigne pas une insomnie sans en comprendre les causes qu’il faut éliminer dans un premier temps. Il faut prescrire avant tout les règles d’hygiène qui doivent s’imposer à tous:
• Aller au lit quand on a sommeil et seulement si on a sommeil.
• Eviter toute activité au lit autre que le sommeil, la lecture ou la vie sexuelle
• Dormir dans une chambre à 19 degrés maximum, la chaleur empêche la survenue du sommeil
• Ne pas rester éveillé dans le lit et en sortir si on n’a pas sommeil et n’y revenir que quand on a de nouveau sommeil
• Ne pas prendre de repas lourds et tardifs
• Éviter tous les excitants dès l’après-midi
• Pratiquer une activité sportive régulière.
Bonne nuit !.
Sofiane Zribi
Psychiatre
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