Lu pour vous - 04.11.2021

Slaheddine Dchicha: Par-delà les lueurs, de Tahar Bekri

Slaheddine Dchicha: Par-delà les lueurs, de Tahar Bekri

Tahar Bekri, l’enfant de Gabès, est un poète prolifique. Par générosité. Il vient de nous gratifier d’un  nouveau recueil «Par-delà les lueurs»* enrichissant ainsi un œuvre déjà  imposant.

Outre huit poèmes inédits, ce magnifique recueil reprend et rend accessible à un plus large public un  long  poème «Les arbres m’apaisent» qui a fait l’objet, en 2017, d’un tirage très limité, en  livre d’artiste avec la peintre Annick Le Thoër. Ainsi, il est donné à un plus grand nombre de lecteurs  l’occasion et la chance d’admirer quatre superbes  acryliques de l’artiste bretonne avec qui  le  poète  tunisien a déjà travaillé en 2014 sur son recueil «La nostalgie des rosiers sauvages».

D’ailleurs notre  barde est  habitué à la collaboration avec des  peintres (Jean-Luc Herman, Wanda Mihuleac, Michel Mousseau, Jean-Michel Marchetti) mais le travail avec Annick Le Thoër semble  plus  impératif et nécessaire puisqu’ une grande partie du  nouveau fascicule, comme le précise  l’auteur, a été conçue au Pouldu, ce port breton qui a été élu par certains peintres au XIXe et XXe  siècles.  N’a-t-il pas vu se rassembler ceux qui se  sont appelés «Synthétistes» et qui  ont  été  regroupés plus tard  dans «l’École  de Pont-Aven»: Gauguin, Sérusier, Filiger, Meyer de Haan… ? et le  chemin évoqué à plusieurs reprises par le poète  n’est-il  pas une allusion au fameux «chemin des peintres» aménagé pour leur  rendre hommage  au Pouldu?

«Dans l’enclos de la chapelle
Où sont gravés dans la stèle
Les noms de Gauguin
Ceux de ses Compagnons»
(p.62)

En tout cas, le résultat est heureux. Cette harmonieuse rencontre-collaboration entre poésie et peinture  donne naissance à cet objet somptueux qui comble tous les sens. Le plaisir sensuel doux-rugueux au  toucher de la couverture et des pages ; le  ravissement de l’œil contemplant les tableaux et bien sûr les émotions  et les sensations suscitées  et  exacerbées par le poème.

Tout  cela se trouve facilité par une petite particularité mais de la plus haute importance, l’absence  de tout signe de ponctuation. Le lecteur ne rencontrera ni point, ni virgule, ni point d’interrogation, ni celui d’exclamation, ce qui contribue à débrider le souffle poétique et à libérer l’interprétation  et  la prolifération  du sens.

En effet, les éléments de l’espace pictural et ceux de l’espace poétique s’appellent, se répondent  et  se  correspondent, et cette entente harmonieuse se trouve symbolisée par l’usage fréquent  du «nous». le poète et la peintre poursuivent la même quête: les couleurs, les formes et la composition  de l’une et les métaphores, les images et mots de l’autre tendent vers la beauté, l’harmonie voire l’amour.

Ainsi, «la terre, les arbres, l’océan, la mer, les végétaux, les oiseaux» sont convoqués pour contribuer au poème. Et cette  quête ne connaît aucune limite, elle se déploie partout  par le vaste  monde:  en bord de la Seine, à l’île de Gorée, à  Boston, Ramallah, Sarajevo, Greve  Strand, Madelin,   Nouakchott, la  Havane, Wadi al hijara, en Andalousie…

Cependant, les  deux lieux qui manquent à l’appel car non-nommés  sont d’une part, le lieu de naissance et de la nostalgie et d’autre part, le lieu de vie et de bonheur présents, mais qui sont présents par la magie du verbe. Les «dolmen, goémon, calvaire, goéland» évoquent nécessairement La Bretagne et Gabès est dessinée par les «Palmiers, palmeraies, Figuier, olivier, les calèches»

Le poète nous met et se met en garde: ces escales  familières ou exotiques et ces longs voyages en  des pays lointains ne relèvent pas de l’errance;

«tu n’es pas Ulysse
Sur le chemin du retour
Ni Pénélope ne t’attend»
(p27)

Mais de l’Universel. En effet, le poète en citoyen du  monde, il est de partout, il  appartient  à  la large famille des poètes , ses semblables: Darwich, Gibran, Lorca, Stétié, Machado, Apollinaire, mais  il est aussi solidaire de ses frères humais, les exclus, les  exilés et les migrants, victimes de la  violence  et  des  menaces  climatiques:

«Et des errants loin de toi
Sans refuges à vau-l’eau
Les guerres allumées
Dans l’outrage des champs»
(p.69)

Mais cet universalisme et cet humanisme ne lui font pas oublier d’où il vient:

«Où que j’aille Terre
Comment oublier Tunis»
(p.81)

Tunis et la Tunisie dont le bleu des tableaux  d’Annick Le Thoër  rappelle  le ciel,  les côtes interminables et les touches qui criblent la blancheur de Sidi Bou Saïd.

* Tahar Bekri, Par-delà les lueurs, Peintures d'Annick Le Thoër, Al Manar, 2021, 18€

 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Benzekry - 05-11-2021 09:07

Cet article donne envie de découvrir à ceux qui ne les connaissent pas encore ces deux grands artistes, le poète Tahar Bekri et la peintre Annick Le Thoër. On voyage loin dans l'émotion à travers les mots et les acryliques qui se répondent et se complètent pour former un bel objet tantôt remède à la mélancolie tantôt fenêtre sur l'horizon du vaste monde.

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