News - 19.08.2021

Le PIB des grandes régions tunisiennes: Données et premières conclusions

Le  PIB des grandes régions tunisiennes: données et premières conclusions

Par Habib Touhami - L'estimation du PIB par grande région effectuée par l’INS confirme ce qu’on redoutait à propos du basculement socioéconomique et démographique du territoire national de l’ouest, du centre et du sud vers l’est et le littoral. A elles seules, les régions du Grand Tunis (35,9% du PIB national), du Centre-Est (23,8%) et du Nord-Est (13,5%) ont produit en 2016 près des trois quarts de la richesse du pays (73,2%), ne laissant aux autres régions que le quart (26,8%). Comparés aux résultats de l’estimation du PIB par grande région de 2013, il ressort que la région du Centre-Est a perdu un peu de terrain tandis que les régions du Grand Tunis et du Nord-Est se maintiennent relativement bien, gardant le primat qu’elles exercent sur le PIB national (73,5% en 2013). Si l’on observe la structure sectorielle de la VA par région, on est conduit à constater que ce sont finalement les activités du secondaire, les industries manufacturières notamment, qui octroient un tel primat.

En effet, la contribution au PIB national par secteur d’activité des diverses grandes régions montre que ce sont les industries manufacturières qui dominent dans le Grand Tunis (40,6% de la VA) et le Centre-Est (29% de la VA), alors qu’elles sont marginales dans le Sud-Ouest (1%), le Centre-Ouest (2,6%) et le Nord-Ouest (3,5%). Cela explique en partie la situation de l’emploi et de la pauvreté dans les diverses régions, le sens et l’intensité des mouvements migratoires interrégionaux. A l’inverse, l’agriculture et la pêche dominent dans le Nord-Ouest (19,5%) et le Centre-Ouest (17,1%). Le cas du Nord-Est est particulier en raison d’un découpage territorial particulier qui fait d’elle une région tout à la fois touristique, agricole et industrielle. Elle contribue pour 23% de la VA de l’agriculture et la pêche et pour 19,7% de la VA des industries manufacturières.

S’agissant plus particulièrement de la VA des services de l’administration publique, la répartition régionale semble moins inégalitaire en comparaison de la répartition régionale concernant la VA globale des activités de services marchands dont les  services financiers, les transports ou les autres services marchands. Ainsi, la contribution du Grand Tunis (31% de la VA totale des services de l’administration publique) et de la région du Centre-Est (21,4%) apparaît comme excessive à première vue (un peu plus de la moitié de la VA totale de l’activité), mais compte tenu de la démographie et de la centralisation administrative et politique du pays, les écarts régionaux ne semblent pas anormaux.

PIB par région

Le PIB régional par habitant (ou par tête) est la division du PIB régional, autrement dit la valeur de tous les biens et services marchands et non marchands produits dans une région pour une année donnée, divisée par le nombre d’habitants de la région considérée. En 2016, celui-ci s’est élevé à 11.780 dinars pour le Grand Tunis, 7.952 dinars pour la région du Centre-Est contre 7.943 dinars sur le plan national. A l’inverse, la région du Centre-Ouest enregistre un PIB/ habitant  de 4.472 dinars, la région du Nord-Ouest 5.503 dinars. Entre les régions les plus «riches» et les régions les plus «pauvres», le rapport en 2016 est de 2,6 contre près de 3 en 2013.

Cela ne signifie pas  que les inégalités régionales ont diminué entre-temps, comme l’affirme l’INS, soit parce que la période 2013-2016 est trop courte pour tirer des conclusions valables, soit parce que l’indicateur  en question n’est après tout qu’une moyenne ne permettant pas de rendre compte des inégalités de revenu et de richesse dans une même région ou entre les régions. Toutefois,  l’estimation du PIB/ ha du Sud-Est a permis à l’INS de conclure avec quelques raisons que l’extraction d’hydrocarbures génère «relativement peu d’emplois et de revenus distribués localement».

Premières conclusions

1 - On ne le répétera jamais assez, le développement socioéconomique des régions en retard n’est pas fonction exclusivement des dépenses d’infrastructure de l’Etat et des effectifs de l’administration publique régionale comme le pense l’opinion dominante dans les régions considérées. Les dépenses générées comptent incontestablement, surtout au début du processus, mais il est illusoire d’en attendre un réel rattrapage du développement si elles ne s’accompagnent pas d’un plan d’ensemble regroupant, outre les dépenses publiques, un volet économique distinct et un volet spécifique de promotion et de mise à niveau de la main-d’œuvre localement disponible.

2 - Cette condition ne peut pas être remplie en l’absence d’un vrai Plan national de développement économique. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas ici d’appelerà une planification à l’ancienne où un Etat omnipotent et infaillible décide de tout, mais d’élaborer de sérieux projets de plans régionaux et de les confronter au projet du Plan national  afin de rendre l’ensemble cohérent, global et intégré. Quoi qu’on en dise, la planification reste le seul moyen collectif de décision en matière économique  dans notre cas et l’Etat la seule structure organisée, plus au moins bien à la vérité, qui permette d’enclencher le processus et de réaliser les objectifs qu’il vise.

3 - Le développement socioéconomique des régions en retard  dépend peu finalement des subsides arrachés au coup par coup à des activités économiques en vue et qui sont, par nature, ou circonstanciels et provisoires, ou insuffisants ou  mal utilisés. Un supplément de revenus distribués dans une région ne fait pas d’elle nécessairement un pôle de développement, ou un espace de développement. Le niveau de produit per capita dans une région en souffrance de développement peut augmenter occasionnellement sans qu’il entraîne de facto une modification structurelle du capital incorporé dans le processus productif lui-même.

4 - La loi votée par la Constituante sur le développement régional n’a jamais précisé ni la logique de redécoupage territorial du pays, ni le mode de financement des budgets régionaux, ni le type de péréquation interrégionale à retenir, ni la nature des rapports entre les représentants de l’Etat dans les régions et les élus aux conseils régionaux, encore moins l’architecture des projets de développement régionaux qui doivent laisser une grande place aux activités industrielles en raison de leurs effets sur la richesse produite, l’emploi et les revenus. Votée dans la précipitation et ignorant totalement les implications économiques et financières de la régionalisation, la loi en question a été faite pour attirer les électeurs et non pas pour apporter de véritables solutions au problème régional.

5 - Le Plan en tant que service public indispensable à l’avenir de la Nation ne doit plus se confondre avec la gestion du Titre II du budget de l’Etat, ni travailler sous la tutelle exclusive du gouvernement. La distinction doit être faite entre la gestion à court terme des affaires économiques du pays, gestion qui relève du gouvernement, la prise en compte des impacts socioéconomiques des décisions gouvernementales sur le système économique, prérogative partagée entre le gouvernement, le parlement et les partenaires sociaux, et la planification proprement dite qui intéresse l’avenir à moyen et à long termes de l’économie nationale. Faute de quoi, le Plan n’aura plus aucun sens.

Habib Touhami
 

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