Opinions - 02.08.2021

Dr Mohamed Salah Ben Ammar: Instrumentalisation de la culture

Dr Mohamed Salah Ben Ammar: Instrumentalisation de la culture

“La culture apparaît donc comme l'univers mental, moral et symbolique, commun à une pluralité de personnes, grâce auquel et à travers lequel ces personnes peuvent communiquer entre elles, se reconnaissent des liens, des attaches, des intérêts communs, des divergences et des oppositions, se sentent enfin, chacun individuellement et tous collectivement, membres d'une même entité qui les dépasse et qu'on appelle un groupe, une association, une collectivité une société.“

En réalité nous le savons bien la tolérance et l’intolérance des hommes au nom de la culture ont souvent été conditionnées par des facteurs économiques ou politiques.

Vous l’avez bien compris notre région souffre de l’absence de traditions de débats sociétaux démocratiques inclusifs.

Pourtant les profondes modifications qui nous ont touché, ne sont pas des vues de l’esprit ou la création intellectuelle de quelques occidentalisés. Elles n’ont pas concerné une communauté particulière et épargné une autre, elles nous touchent tous, inégalement, mais elles nous concernent tous. Des débats essentiels comme le droit à la santé ou la qualité des soins par exemple ont été déviés soit vers un formalisme creux (création de comité, émission d’avis qui sont restés sans conséquence et pour cause), soit vers une instrumentalisation politique. Souvent les deux se rejoignaient d’ailleurs.

La mise en avant d’une vision statique de la culture a fait le jeu de tous ou presque. Que l’on se promène au Caire, à Beyrouth, à Pékin, à Rio de Janeiro, à Dakar ou à Paris, certaines similitudes dans nos nouveaux modes de vie sont criantes (décevantes pour le voyageur), les profonds changements qui se produisent dans nos sociétés nous touchent tous, souvent pas toujours de la même façon.

Ce n’est pas si simple et le visible n’est pas toujours le reflet du réel. Toutefois il faut reconnaître que nous sommes restés accrochés à une vision mythique d’un monde qui n’existe plus d’une certaine façon que dans notre imaginaire. Ce qui est en soi respectable mais il ne correspond pas aux nouveaux problèmes de la vie. Dans «Mémoire, histoire et oubli» : Paul Ricœur dans un langage qui lui est propre ne dit pas autre chose quand il écrit «la véhémence assertive de la représentation historienne en tant que représentance ne s'autoriserait de rien d'autre que de la positivité de l'avoir-été visé à travers la négativité du n'être-plus » (MHO, 367).

La précarité d’une grande partie de nos concitoyens, associée à une certaine corruption et à l’inexpérience des acteurs de la santé face aux nouvelles interrogations légitimes posées par la société, à l’absence de traditions de débats pluralistes pourraient à elles seules expliquer nos.

Échecs à aborder ces questions nouvelles. Les effets pervers et les abus du biopouvoir (Michel Foucault et d’Ivan Illich) sont parfois caricaturaux.

La culture médicale, ici plus qu’ailleurs est coupée de l’ensemble de la population. Pourtant il y aurait matière à réflexion (Autonomie, famille, consentement… Autonomie objet de division. Le groupe est plus utile qu’une autonomie où l’individu seul paraît plus vulnérable.)

Autant j’ai souligné l’importance du respect de l’autre, autant j’insisterai sur le fait que le recours à des références très éloignées de la vraie vie dans nos sociétés a été nocif (phénomène de mode).

L’exercice de notre métier suscite aujourd’hui de la part de la population une méfiance nouvelle parfois injuste et toujours intolérable pour ceux qui aiment ce métier et le pratiquent avec abnégation.

Face à des questions réelles comme la fin de vie, la transplantation d’organes, la procréation médicalement assistée, logiquement le corps social s’est senti attaqué, il se défend comme à son habitude depuis le moyen âge, il invoque la religion (culture): patrie de référence identitaire (selon Benjamin Stora).

Pour les rigoristes, ce conflit est très opportun, il serait né du fait de la non-conformité des avis émis avec leurs normes culturelles. Kalimatou hak ourida biha batel. Oui l’absence de débat sociétal autour de questions aussi essentielles est inacceptable mais la réponse à cet abus de pouvoir est tout aussi erronée.

La tradition de désobéissance au pouvoir en place au nom des “valeurs culturelles“ est un classique du genre. Une culture mythique, originelle, seule parcelle de souveraineté du plus faible face au plus fort est toujours invoquée. Et dans les faits une vision figée de la culture la rend intemporelle. Ce conservatisme peut jouer comme instrument de droit qui préserve l’homme et la société. C’est plus qu’une culture c’est un moyen de résistance sociale !

En effet «La domination de classe» a toujours impliqué la domination culturelle, même quand la classe dominante n’est pas cultivée: elle impose alors comme culture ce qui lui en tient lieu, ce qui s’est appelé dernièrement ses “pratiques culturelles”

“C’est souligner l’urgence de donner la place qui lui revient sous nos cieux à la société civile. Nombreux sont les États où les Droits de l’homme sont loin d’être respectés. Si, comme partout, l’intérêt général est souvent subordonné aux intérêts particuliers, on constate que les individus ne peuvent pas, très souvent, recourir à la défense de leurs droits. De plus, la situation de la femme dans de nombreux pays reste assujettie à des règles sociales rigides. “

Doris Bonnet

Pour dépasser la réduction instrumentale ou partiale en faveur ou non d’une des approches, il faut simplement toujours rappeler des principes essentiels de la démarche éthique, ne jamais clore un débat, prôner le pragmatisme. Il faut tout faire pour éviter de faire souffrir l’homme, respecter la dignité de l’individu, éviter les complications, être accommodant, rechercher l'apaisement des cœurs, agir avec pondération et mesure et être stoïque, ne jamais clore un débat, rechercher le consensus sont des vertus de la discussion éthique, l’intérêt de la collectivité doit toujours primer sur l’intérêt de l’individu mais l’homme doit rester la mesure de toute chose. Le respect de la vie, l’inviolabilité, l’intégrité du corps humain et l’interdiction de toute pratique eugénique. A partir de ces valeurs…

Conclusion

Alors La bioéthique face aux cultures : souci de l’universalité contre prétentions à l’universalité ? S’agit-il d’un faux débat ?

Il est évident que la nécessité de la mondialisation des règles est la conséquence de :

L'émergence de problèmes transnationaux structurels, non limitées à une région.

La prise de conscience que les solutions aux questions de bioéthique soulevées au sein d'une nation / région ont souvent des implications immédiates ou futures, directes ou indirectes, qui vont au-delà des conditions historiques et sociales spécifiques d’où elles ont émergé pour embrasser l'ensemble de la planète (présent et futur).

Les comités d’éthique ne sont ni une lubie, ni une mode, ils pourront remplir leurs rôles à condition qu’ils:

Ils ne se figent pas dans un engagement formel et corporatiste (absence de juristes et de sciences sociales, procédure administrative sans débat),

Ils savent éviter les clivages idéologiques et confessionnels,

Ils ne se transforment pas en spécialistes de la morale, devraient permettre à la recherche médicale du Sud d’améliorer son partenariat scientifique non seulement Nord-Sud mais aussi Sud- Sud, et lutter ainsi contre tout risque d’isolement.

Ils devraient aussi participer à une information des populations, à une meilleure mise en œuvre du consentement éclairé des individus et à une démocratisation du débat sur les droits de la personne.

Rares sont ceux qui ne reconnaissent pas la pertinence de balises éthiques qui permettront de définir les limites de l’acceptable internationalement.

La mise en pratique des textes universels normatifs et l’établissement des principes éthiques locaux doit toujours rappeler, la primauté de la dignité de l'être humain sur le progrès scientifique et technologique:

Respect de l'intégrité physique, interdiction de la manipulation arbitraire, du commerce du corps humain et de ses parties;

Autonomie et responsabilité;

Consentement éclairé et la confidentialité;

Respect de l'intégrité et de la vulnérabilité de la personne humaine;

Équité d'accès aux facilités;

Solidarité et coopération internationales,

Responsabilité envers l'environnement et les générations futures.

S’écarter d’une dialectique simpliste entre universalisme abstrait, désintégré face à un utilitarisme, relativisme sous prétexte de les rendre plus humaines, adaptation toujours utilitariste qui piétine les valeurs universelles.

Autant le respect des différences est essentiel et l'universel doit toujours être pensé à l'intérieur d’une communauté particulière, mais cela ne dispense aucunement du respect de la primauté de la personne humaine sur toute chose.

Alors ni abandon de sa culture, ni universalisme béat…mais un questionnement éthique permanent sur les défis qu’affrontent notre société.

Mohamed Salah Ben Ammar

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