Sur les traces d’Enayat Zayyat: l’éclairage d’une vie
Sur les traces d’Enayat Zayyat, de l’écrivaine égyptienne Iman Mersal, publié début avril par Sindbad/Actes Sud, vient d’obtenir ce jeudi le Grand Prix du Sheikh Zayed Book Award, catégorie littérature, l’un des plus importants prix mondiaux consacré à la littérature et à la culture arabes. Il a été publié au Caire par Al Kotob Khan Library en 2019 sous le titre original ‘Fî athar ‘Inayât al-Zayyat’.
La lauréate de ce prestigieux prix, Iman Mersal, est née au Caire en 1966. Titulaire d’un doctorat en littérature arabe, elle enseigne aujourd’hui la littérature arabe à l’université d’Alberta, au Canada. Elle a déjà à son actif une anthologie de ses poèmes publiée également par Actes Sud en 2018 sous le titre Des choses m’ont échappé. Précisons aussi qu’elle est actuellement en résidence à Marseille comme titulaire de la Chaire Camus de l’IMeRA.
Bien qu’il soit ordonné autour d’un seul ordre de préoccupation, à savoir l’histoire tragique d’Enayat Zayyat, une jeune égyptienne qui s’est donné la mort en 1963 à l’âge de 27 ans, à la suite du refus par une maison d’édition étatique de publier son premier manuscrit, L’amour et le silence, publié après sa mort en 1967. Cet ouvrage connut un succès plutôt éphémère. Iman Mersal l’avait découvert par hasard dans les années 1990. Vingt ans plus tard, elle décida d’enquêter sur le parcours et la fin tragique de la jeune auteure.
Sur les traces d’Enayat Zayyat est volumineux (288 pages), difficile à classer. En effet, il se présente comme une sorte d’approche anthropologique basée sur l’observation, les récits de vie, et l’histoire de l’Egypte, sur les multiples raisons ayant poussé la jeune femme au suicide, en particulier ses déboires conjugaux et sa dépression, ainsi que sur les longues et minutieuses enquêtes d’Iman Mersal, ses interviews, ses coups de fil, et ses rencontres avec des hommes et des femmes de tous bords, épluchant les archives de la presse, visitant les rues, les lieux habités ou fréquentés par la jeune Enayat, et même les cimetières cairotes, constamment à la recherche du moindre indice sur le passé et le suicide de la jeune femme.
Bien que personne ne puisse prévoir et maitriser tous les événements, la vie de chacun, a-t-on dit, est éclairée par des signes. Pour tenter de relever ceux qui ont balisé la vie de la jeune Enayat, et mettre à nu les états d’âme du comportement humain, Iman Mersal s’est d’abord entretenue avec les parents et autres connaissances, en particulier, Nadia Lutfi, la célèbre actrice égyptienne des années 1950 et 1960, décédée l’année dernière à l’âge de 83 ans. Elle était l’amie la plus proche d’Enayat. Comme son vrai nom, Paula Mohamed Mostafa Shafiq, ne convenait pas au cinéma, elle avait emprunté pour la scène le nom du personnage de Nadia Lutfi, que joue son amie Faten Hamama dans le film Je ne dors plus d’Abdel-Qoddous (1957).
Pour faire preuve de plus d’objectivité et s’imposer un retour réflexif sur les raisons de son choix, Iman Mersal se réfère toujours consciencieusement à l’ouvrage d’Enayat :
« Dans L’Amour et le Silence, l’amie intime de Nagla, s’appelle Nadia. Elles sont amies depuis l’école, Nadia soutient Nagla quand elle déprime : elle va la voir chez elle, l’encourage à sortir et à travailler… » (p.5)
Aussi, pour évoquer des souvenirs communs de jeunesse des deux amies, Enayat et Paula Mohamed Mostafa Shafiq, développe-t-elle en détail l’enquête qu’elle a menée pour rencontrer cette dernière :
« J’avais eu le numéro de téléphone de Nadia Lutfi par un ami journaliste, Mohammed Shair, mais il m’a fallu un an avant de trouver le courage de l’appeler du Canada, le 14 septembre2014. Je venais de trouver une interview intitulée : « Nadia Lutfi révèle ce qui a poussé Enayat Zayyat au suicide », publiée dans l’hebdomadaire Al-Mussawwer daté du 16 mai 1967 moins de. Deux mois après la parution du roman. Dans le chapeau, Foumil Labib écrit : « Nadia Lutfi était la confidente de l’autrice de L’Amour et le Silence. Elle connaît tout de la tragédie de la plume qui s’est brisée avant de coucher sur le papier tout ce qu’elle avait à dire. » Nadia raconte comment elles se sont connues… » (pp.49-50)
Sur les traces d’Enayat Zayyat mérite amplement le Grand Prix du Sheikh Zayed Book Award. Traduit par l’arabisant bien connu Richard Jacquemond, il est agréable à lire. Le lecteur pourra y découvrir non seulement l’éclairage de la vie d’Enayat, sa résistance au malheur et sa lutte contre le désespoir, mais aussi une profusion de détails sur la politique, culturelle et surtout sociale de l’Egypte, comme, par exemple, ce chapitre où Iman Mersal aborde le problème du divorce ; l’ensemble renforçant la crédibilité à ses propos.
Iman Mersal, Sur les traces d’Enayat Zayyat, récit traduit de l’arabe (Egypte) par Richard Jacquemond, Sindbad/Actes Sud, avril 2021, Paris.
Rafik Darragi
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