News - 25.04.2021

Azza Filali - Tunisie : Et si on en parlait autrement?

Azza Filali: Et si on en parlait autrement?

Dans notre pays, la vie publique ne laisse plus grand place à la réflexion : le Covid continue à grimper et les vaccins à nous parvenir au compte-goutte. Chez les politicards, la bassesse est reine ; les vilenies succèdent aux vilenies avec, comme unique réaction, une indignation aussi stérile que de bon aloi. Examinons d’abord les opinions qui prévalent aujourd’hui : depuis 2011, le pays a souffert de régimes politiques successifs, l’ayant mené à une faillite déclarée.  Les inégalités économiques et sociales se sont creusées, la classe moyenne, fleuron du pays jusqu’en 2010, a fondu comme neige au soleil. Désormais, « l’élite » politique est parvenue au plus bas de la compétence et de la morale. Elle semble même disposée à tomber plus s’il le faut : un président du parlement, animé du désir forcené de s’installer au palais de Carthage ! Un chef du gouvernement, aspirant à une carrière ascendante, et prêt à tous les compromis pour y parvenir. Un président de la république qui, tel Don Quichotte,qui n’arrête pas de se battre contre les moulins à vent, en dénonçant les traîtres de tous bords. Traîtres qu’il omet soigneusement de déranger dans leurs obscures tractations.

Voilà ce qu’on entend, ce qu’on lit, ce qu’on commente. Mais, est-ce vraiment l’unique analyse possible ? Pourrions-nous porter un autre regard sur ces événements qui se précipitent ? Si nous parlions de la cupidité, par exemple ! Puisque nous sommes en plein dedans!

Ah cette bonne vieille cupidité qui a traversé siècles et continents sans prendre une ride ! Discrètement définie par un dictionnaire frileux comme : « la recherche immodérée de gains et de pouvoir », le désir d’avoir plus, toujours plus. Pourtant, ceux qui jouent à cette triste loterie de l’existence savent pertinemment qu’ils quitteront un jour la terre comme ils y ont débarqué : nus et sans bagages.

Lorsqu’on se tourne du côté des économistes, ils ne tarissent pas d’éloges sur cette cupidité qui est pour eux le moteur du capitalisme. Elle, qui maintient un équilibre entre pays, mauvais équilibre mais qui vaut mieux que pas d’équilibre du tout ! C’est la cupidité qui régule les marchés financiers et permet aux riches de devenir plus riches et aux pauvres de dégringoler encore et toujours. Elle, qui existe à travers tous les pays du monde quelle que soit la devise économique qu’ils affichent : de la Russie à la Chine, de l’Inde à l’Ouzbékistan !  C’est l’opinion de Warren Buffet, deuxième homme le plus riche au monde, (après le sieur Bill Gates), économiste Nobélisé (voilà qui ôte tout crédit au prix Nobel.) Pour conforter l’opinion de Mr Buffet, quelques chiffres : en 2020, ceux qu’on nomme les « ultra-riches », soit 250.000 personnes environ, possèdent 99% des richesses de la planète, soit l’équivalent de 40.000 milliards de dollars. Quand on pense que du côté de chez nous, on se tourmente pour 2700 milliards, qui seraient capitalisés par quelque sbire…

Après l’économie, la psycho-histoire prend le relais. Pour elle, la cupidité n’est que la part émergée de l’iceberg : elle serait sous-tendue par un manque infantile, inscrit dans notre cerveau reptilien et lié à une carence dans la relation à la mère : peu d’attention, peu d’affects, peu de chaleur maternelle… D’où une empreinte cérébrale très ancienne, qui détermine le futur adulte à combler le manque par une course aux richesses et aux honneurs.

Economistes et psychologues font ce qu’ils peuvent. Leurs explications, un peu réductrices, au vu de l’ampleur de la cupidité, suggèrent que nous porterions tous un manque d’affection, de chaleur maternelle et autres gri-gri… Explication peu convaincante, et surtout stérile.

A ce propos, j’aimerais vous livrer une anecdote savoureuse, rencontrée lors d’une lecture portant sur l’or : chez les pharaons, l’or était synonyme de pouvoir et de sacralité, mais il ne possédait aucune valeur commerciale. Il a fallu attendre les grecs pour que soient battues les premières pièces en or à valeur marchande. Cette conversion a eu lieu 5 siècles avant J.C, sous le règne de l’empereur « Crésus », l’or étant ramassé au fond d’un fleuve nommé « pactole. » Joli, non ? Lorsqu’on suit les mots à la trace, ils nous mènent souvent aux évidences…

Mais, laissons là les Grecs et revenons chez nous. Détournons les yeux de la mafia politique, pour nous préoccuper du citoyen lambda. Souffrant de la cherté de la vie, peinant à joindre les deux bouts, capable d’endurer et de se taire: un silence assourdissant. A intervalles réguliers, des citoyens manifestent à travers le pays, réclamant un « mieux-être » : travailler, être payé plus, recevoir les indemnités ou les hausses de salaires, promises par l’Ugtt. En somme, la majorité des revendications citoyennes portent sur « le portefeuille ». Tout cela est parfaitement légitime, au vu des inégalités sociales, et de la profonde pénurie endurée par le Tunisien, mais faut-il remonter au 14 janvier 2011 pour voir un pays entier scander son droit à des valeurs et non à un surplus de gains ? Souvenons-nous du fameux : « travail, liberté, dignité nationale ! » Aujourd’hui, si l’accès au travail demeure une revendication constante, la demande de gains, de salaires accrus, d’indemnisations, représente l’essentiel des slogans clamés par les foules.

Et ceci ne concerne pas que les plus mal lotis : récemment, magistrats et médecins hospitaliers ont entamé des grèves réclamant une hausse de leurs salaires. Il est indéniable que les médecins Tunisiens sont mal payés, et que pour les retenir au pays, il faut les tracter par des salaires bien plus élevés que ceux qu’ils perçoivent. Mais, magistrats et médecins ne figurent pas parmi les Tunisiens les plus démunis au plan financier. Est-il moral que, chez des médecins hospitaliers, une grève réclamant une augmentation de salaire, dure sept semaines jusqu’à ce qu’ils obtiennent gain de cause, de la part d’un état exsangue ?
En somme, quel que soit le niveau de l’échelle sociale, les manifestations populaires portent en majorité sur le désir de gagner plus, via l’obtention d’un emploi ou d’une hausse salariale. Tout ceci assorti à une violence inhérente aux manifestations elles-mêmes, à l’âpreté et à l’intransigeance des revendications. Or qu’est-ce qu’une demande de richesses accrues, selon un mode violent et intraitable, sinon la définition même de la cupidité ?

En définitive, tout est question d’échelle mais le « moteur » qui anime les individus est le même !  Sans vouloir innocenter la classe politique et la pègre qui l’entoure, tout se passe comme si on érigeait symboliquement ces mafieux en « boucs émissaires » pour se dédouaner de sa propre cupidité ! Nos compatriotes devraient moins s’indigner des agissements d’autrui, et balayer plus soigneusement devant leur porte…  

Azza Filali

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