A Séville, les oranges produisent de l’électricité et de l’eau potable
Par Mohamed Larbi Bouguerra - Le printemps, à Séville**, donne le signal aux 48 000 orangers ornant les rues de la capitale de l’Andalousie d’embaumer l’atmosphère des senteurs d’« azahar » - la fleur d’oranger à la captivante odeur.
Ne dit-on pas que Séville est la plus grande orangeraie du monde ?
La ville qu’a conquise Moussa Ibn Noussaïr en avril 711 est prise d’assaut (en temps normal, sans pandémie bien sûr) en cette saison, par les touristes venus admirer l’Alcazar des Almohades, le somptueux minaret du XIIème siècle -devenu clocher de cathédrale et dûment baptisé du nom de Giralda - œuvre d’Abou Yacoub Youssef en 1184 et la Torre del Oro (La Tour de l’Or) sur le Guadalquivir. Cadeau sévillan en prime : les touristes respirent à pleins poumons ces effluves enchanteurs venus d’Orient.
Pour la municipalité de la ville pourtant - nous dit Stephen Burgen (The Guardian, 23 février 2021) - les 6 millions d’oranges amères (bigarades) qui atterrissent sur le pavé des rues en hiver font courir des risques de chute et de glissade non contrôlée aux piétons et constituent un sérieux casse-tête pour le service de nettoyage sévillan qui emploie 200 personnes pour les ramasser. De plus, si les oranges sont bien belles à admirer sur l’arbre, les roues des véhicules en les écrasant à terre rendent les rues poisseuses de jus et noires de mouches.
De fait, les bigaradiers viennent d’Asie et ce sont les conquérants arabes qui les ont introduits en Andalousie, il y a 1000 ans.
Un autre jus d’orange
De ces oranges devenues encombrantes, Séville veut aujourd’hui extraire un autre jus: de l’électricité. La cité andalouse a lancé une unité pilote pour utiliser le méthane CH4 - un hydrocarbure saturé issu de la fermentation du fruit - pour générer de l’électricité.
La compagnie municipale de l’eau de Séville l’«Emasesa» va utiliser 35 tonnes de ces oranges amères pour produire de l’électricité destinée au fonctionnement d’une des unités de traitement de l’eau de la ville. Les oranges iront dans une usine existante qui génère déjà de l’électricité à partir du compost, la ville ayant adopté une politique en faveur des énergies renouvelables et du recyclage depuis un certain temps. Le directeur d’Emesesa espère être en mesure de recycler toute la production des orangers de la ville. Il estime que la capitale andalouse devra investir 250 000 € à cet effet ajoutant : « Le jus contient beaucoup de fructose - un sucre ayant de très courtes chaînes de carbone dont les performances énergétiques au cours du processus de fermentation sont remarquables. Pour nous, ce n’est pas seulement une question d’argent. Les oranges sont une gêne pour la ville et nous allons produire de la valeur ajoutée à partir des déchets. »
Pour le moment, la ville vise à utiliser l’énergie provenant des orangers pour faire fonctionner les unités de traitement de l’eau mais elle pense à injecter dans le réseau électrique urbain tout surplus d’énergie. L’équipe municipale en charge soutient que la grande quantité de fruits de la ville, au lieu d’aller grossir les décharges ou servir d’engrais (apport de carbone au sol), est en mesure de délivrer un formidable potentiel énergétique.
Au cours d’une conférence de presse, le maire de Séville, Juan Espadas Cejas, a déclaré : « Actuellement, Emesesa est un modèle de durabilité et de lutte contre le changement climatique pour toute l’Espagne. Les nouveaux investissements serviront en premier lieu les unités de purification de l’eau qui consomment près de 40% de l’énergie nécessaire pour étancher la soif des Sévillans et leurs besoins d’assainissement. Ce projet nous aidera à atteindre nos objectifs de réduction des émissions, d’auto-suffisance énergétique et d’économie circulaire. »
Un modèle a appliquer en Tunisie?
Les déchets des agrumes, des grenades, des melons, des pastèques… qui jonchent si souvent nos rues et nos plages pourraient subir un traitement comme celui de Séville. Nos municipalités devraient s’en inspirer même si les déchets ne sont pas toujours aussi géographiquement localisés que dans le cas de la capitale andalouse.
Les manifestations de nos docteurs chômeurs fendent le cœur de tout être sensible. Pourquoi ne pas demander à ces jeunes talents de s’investir et de concevoir des projets similaires ? Les municipalités et les hommes d’affaires devraient faire preuve d’imagination, d’innovation et d’initiative pour tirer d’affaire tous ces jeunes et pour appuyer leurs projets de développement durable et de recyclage par exemple.
Quant à nos jeunes docteurs chômeurs, ils devraient méditer ce mot d’André Gide : « Il est extrêmement rare que la montagne soit abrupte de tous les côtés. »
Courage ! Comptez sur vos forces avant celles des autres ou du gouvernement et pensez au bien de la Tunisie qui a tant besoin de vous.
Mohamed Larbi Bouguerra
** Ichbiliya
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