News - 28.03.2021

A quand l’application de l’interdiction de l’abattage anarchique des poulets?

A quand l’application de l’interdiction de l’abattage anarchique des poulets?

Par Ridha Bergaoui - Jusqu’en 2011, la filière avicole était le domaine le mieux structuré et le plus organisé. Tout le secteur était règlementé en allant de l’importation et la mise en place des reproducteurs, la programmation de la production selon un système de quota, la création des élevages, le respect des normes sanitaires ….

Avec l’abolition des quotas en 2011, la filière a été complètement déstructurée et défigurée. Des installations et des constructions anarchiques non réglementaires et non autorisés ont vu le jour un peu partout. Certains pratiquent même l’élevage avicole dans des serres en plastique dans des conditions sanitaires lamentables.

L’importation clandestine et la contrebande de poussins et d’œufs à couver ont aggravé la situation. Avec l’envolée sans précédent des prix des concentrés, l’impossibilité d’exporter et la chute catastrophique de la demande des produits avicoles, suite à la pandémie de la covid-19, la situation est devenue catastrophique et toute la filière s’est écroulée. Heureusement que le système de quota a été rétabli en 2016 si non la situation aurait été plus dramatique.

Le secteur du poulet de chair

La production de la viande de poulet a atteint en 2020, 131 500 tonnes (GIPAC) sur une production totale toutes viandes d’environ 330 000 tonnes. Le poulet représente ainsi plus de 40% de la consommation de viande.         

La production est très fragmentée. Le nombre d’éleveurs de poulets et d’environ 4500. Les petits éleveurs, de moins de 10 000 poulets/rotation, représentent 78% des éleveurs et 37% de la production (Ben Hamouda W. et Faidi O., 9éme JNA 2017 : Secteur avicole : état des lieux).

Presque la moitié (40%) des éleveurs installés ne disposent pas d’autorisation pour pratiquer l’élevage du poulet de chair. La capacité de production dépasse de loin les besoins du pays et tourne autour de 230%. 35% seulement des éleveurs sont affiliés au Groupement Interprofessionnel des Produits Avicoles et Cunicoles (GIPAC). Seulement  17% des éleveurs collaborent avec les abattoirs industriels pour l’écoulement de leurs poulets.

La Tunisie dispose de 31 abattoirs de volaille. 19 abattoirs sont en activité dont 16 seulement sont agréés par les services vétérinaires (DSV, décembre 2020). Au moins 50% de la production du poulet ne passe pas par les abattoirs et les poulets sont abattus en ville surtout dans les quartiers populaires d’une façon illégale.

De nombreuses tueries anarchiques sont régulièrement découvertes par la police municipale. Des saisies de plusieurs tonnes de poulets abattus dans des conditions douteuses et de la viande impropre à la consommation sont régulièrement effectuées. Ces tueries clandestines approvisionnent les rôtisseries et les gargotes. De nombreux volaillers abattent  et vendent sur place la viande de poulet, dindon, œufs et même produits de la charcuterie.

Problèmes posés par l’abattage clandestin de la volaille
L’abattage clandestin est à l’origine de nombreux problèmes :

Transport des poulets dans des camionnettes  généralement dans de mauvaises conditions d’hygiène et de bien être animal. Ces véhicules contribuent à la dissémination des pathologies aviaires tout le long des zones traversées

Abattage des poulets sans aucun respect des règles d’hygiène dans des locaux exigus non aménagés  et présence à la fois de poulets vivants de la viande et des œufs

Locaux non conformes et personnel non qualifié

Absence de contrôle vétérinaire sur les animaux vivants et les carcasses

Présence des déchets d’abattage à côté des carcasses et de la viande

Froid généralement inexistant ou défaillant ce qui favorise la multiplication des germes surtout si la carcasse est encore chaude

Certains laissent les carcasses dans de l’eau froide pour les refroidir. Ce ci constitue une fraude puisque cette pratique entraine une prise de poids supplémentaire. Dans les abattoirs industriels un ressuyage permet de refroidir la carcasse et d’évaporer l’eau superficielle pour arrêter la dissémination des germes.

Contamination de la viande par les bactéries du tube digestif lors de l’éviscération et risques pathologiques graves surtout par les salmonelles et campylobactérs qui provoquent des toxi-infections chez les personnes âgées ou malades,  les femmes enceintes et les enfants

Le sang et des saletés passent généralement dans les égoûts ce qui pose un sérieux problème au niveau des systèmes d’évacuation et de traitement des eaux usées

Les déchets d’abattage et d’éviscération sont jetés, à la fin de la journée, dans la poubelle du quartier. Ils représentent une source de nuisance grave favorisant la multiplication des insectes, rongeurs et animaux errants.

Interdiction de l’abattage des poulets en dehors des abattoirs agréés

L’arrêté du 9 décembre 2005, portant approbation du cahier des charges relatif à l’exercice du commerce de distribution de volailles et leurs produits, interdit, entre autre, l’abattage des poulets sur le lieu de vente. Il préconise l’enlèvement des poulets de chair chez l’éleveur par un intermédiaire grossiste qui les livre directement à un abattoir industriel. Ce même intermédiaire peut fournir les volaillers en produits avicoles (poulet, dindon, produits découpé et de charcuterie et œufs). Les volaillers doivent disposer d’un local répondant aux normes d’hygiène exigées pour une telle activité, un équipement en froid adéquat et un personnel qualifié. Le cahier des charges prévoit des contrôles réguliers et des sanctions pour tout contrevenant.

Problématique de l’abattage des poulets

L’arrêté de 2005 a connu un début d’application dès 2006 et les choses ont commencé à prendre forme. Malheureusement depuis 2011, la situation s’est renversée et l’abattage clandestin a pris de l’ampleur. L’application du texte de 2005 s’est heurtée d’une part à la mauvaise volonté de certains qui trouvent leur intérêt dans le système actuel. D’autre part, le Tunisien est devenu de plus en plus récalcitrant et rebelle face à des pouvoirs publics faibles, fragiles et désorganisés.

Des difficultés objectives existent quand même. Il s’agit d’une part du fait qu’on a affaire à une multitude de petits éleveurs, disposant de peu de moyens, disséminés un peu partout dans des zones parfois difficiles d’accès. D’autre part, selon l’organisation préconisée par l’arrêté de 2005,  les intermédiaires doivent disposer de deux types de moyens de transport : des véhicules destinés pour le transport de la volaille vivante et des véhicules frigorifiques aménagés pour le transport de la viande.  Ce ci nécessite une organisation et des moyens financiers et humains importants.

L’abattage lui-même ne pose aucun problème puisque la Tunisie dispose de la capacité en abattoirs nécessaire et que de nombreuses unités sont actuellement fermées aussi bien dans le grand Tunis que dans les régions. Au contraire il faut souligner cette contradiction du fait  que de nombreux abattoirs modernes, bien conçus et équipés, sont fermés alors que l’abattage clandestin dangereux bât son plein.

Par ailleurs, le consommateur est malheureusement inconscient des dangers qu’il court en achetant son poulet abattu dans les conditions de l’abattage clandestin. Il est intéressé par ce commerce de proximité puisqu’il peut acheter à tout moment de la viande de poulet au détail (il n’est pas obligé d’acheter un poulet entier comme l’imposent les supérettes) et peut même négocier avec le commerçant l’achat à crédit

Quelques possibilités d’amélioration

Il faut revoir le texte de 2005 (publié il ya plus de 16 ans déjà) pour le remettre à jour  et l’adapter en tenant compte des nouvelles conditions socio-économiques, politiques et mentales du pays.

Il est indispensable d’arrêter, ou au moins freiner dans l’immédiat, l’abattage et le commerce insalubre menés actuellement dans les volailleries de quartier. 

Le volailler doit se contenter de vendre la viande dans un local décent avec un équipement  et du personnel qui répondent aux normes générales d’hygiène afin d’assurer au consommateur un produit sain et de qualité. Ces volaillers peuvent être approvisionnés soit directement par les abattoirs, soit par les intermédiaires prévus par l’arrêté de 2005.

On pourrait prévoir l’installation de commerçants grossistes en produits avicoles. Ces grossistes, selon des conditions précises, pourront faire l’intermédiaire entre les abattoirs et les volaillers. Ils doivent disposer d’un local aménagé et équipé de chambres froides et de congélation, d’un personnel qualifié  ainsi que des moyens de transport frigorifiques. Ils s’approvisionneront des abattoirs industriels et livreront les volaillers selon des commandes passées à l’avance.

Il est également possible d’envisager remettre en marche certains abattoirs actuellement fermés. Il faut les contacter, discuter de leurs difficultés et si possible les aider à se remettre de nouveau au travail.

Il faut également renforcer l’encadrement des éleveurs et les pousser à adhérer au GIPAC (et bénéficier de ses services) et les aider à s’organiser en Sociétés Mutuelles de Base de Services Agricoles (SMBSA). Ces SMBSA peuvent reprendre l’un des abattoirs actuellement en inactivité ou créer une petite structure d’abattage et même livrer les volaillers. De nos jours, dans beaucoup de pays, on s’oriente de plus en plus vers des abattoirs de proximité. Ces unités d’abattage de petite taille, légers  et  peu chères, peuvent être modulaires ou non et même mobiles. Elles sont destinées  pour l’abattage de petits effectifs de volaille  tout en garantissant de bonnes conditions d’hygiène.

Il faut communiquer et convaincre les commerçants-intermédiaires et les volaillers pour les insérer dans la vente et la commercialisation du poulet provenant des abattoirs modernes. Les volaillers doivent être initiés et formés à l’hygiène (du corps, main et environnement de travail) et au respect des bonnes pratiques et des normes.

Enfin, il est nécessaire d’organiser des campagnes de sensibilisation au prés des consommateurs pour leur expliquer les risques qu’ils prennent en achetant la viande de poulet issue de l’abattage clandestin.

Conclusion

La viande de volaille occupe une place primordiale chez le tunisien. Son prix abordable et ces nombreux avantages diététiques et culinaires en ont fait un produit stratégique dont aucun foyer ne peut plus s’en passer. C’est un produit de proximité facilement disponible même à la découpe au détail en petite quantité selon le besoin du ménage.

L’objectif n’est pas de culpabiliser les petits commerçants de proximité. Il ne s’agit pas non plus de fermer ces boutiques qui font travailler et vivre beaucoup de personnes. Le but est d’améliorer les conditions de travail de ces volaillers et garantir des conditions d’hygiène minimales afin d’éviter au consommateur des problèmes sanitaires graves.

L’abattage clandestin représente un réel danger aussi bien pour la santé du consommateur que l’environnement. Ce danger est d’autant plus important que nous sommes à l’approche du mois de Ramadan,  mois de la surconsommation et de tous les excès et les abus. La chaleur estivale favorise par ailleurs la multiplication des germes et les gastro-infections  et il est nécessaire d’agir sans plus tarder.

Les autorités locales, régionales et nationales concernées doivent  persévérer et intensifier leur lutte contre l’abattage  clandestin. Elles doivent discuter avec les différentes personnes concernées  pour étudier les difficultés que pose l’application d’une  telle interdiction  et œuvrer à les surmonter. Un soutien matériel, sous forme de subvention, prêts à faible taux d’intérêt…, serait probablement nécessaire pour aider les différents intervenants à s’équiper en moyens transport, équipements de froid, aménagement des locaux…

Ridha Bergaoui
Professeur universitaire



 

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