Dans une époque de corruption, l’absence et l’excès sont également dangereux
Par Monji Ben Raies - La nuit tombe, l’espace s’efface, le temps s’épaissit ou se distend. Face aux différents registres de l’avenir, face à ces heures figées dans l’éternité et les pendules en mouvement, il n’y a que l’angoisse, la lassitude, le courage et l’espoir. C’est aussi l’époque du dédoublement, de l’angoisse et du déchaînement qui se déploient dans la pénombre nuiteuse. Le déroulement nocturne est un temps limité qui amène un lendemain que l’on espère meilleur par un effet de pacification. L’intensité de la charge émotive exprimée est liée à ce que ces moments dérivent ordinairement des tâches parentales. Heureusement, depuis toujours la musicalité des mots comme leur mélodie, sont des aides précieuses dans ces moments de transition où il faut accepter de s’abandonner.
Apaiser au moment où il faut quitter la sécurité d’un environnement connu et s’enfoncer dans l’inconnu. Balancement des mots qui se répètent dans la pensée, succession d’images qui jouent entre couleurs et noir et blanc. Invitation donc à aborder ce moment difficile paisiblement sous un éclairage en un clair-obscur. De cette lumière atténuée naît une sérénité qu’accompagne une suite renouvelée de ces paroles qui racontent les endormissements ; la Nation peut alors se laisser gagner par le sommeil réparateur en toute sécurité. Il est difficile de trouver les mots dans ce genre de situation. Ceux qui me viennent sont plein de rage ou de tristesse, ou très dur je l’avoue, mais je sais qu’ils ne nous aideront pas. J’ai de la peine au cœur et je suis désolé que notre pays ait à traverser de telles épreuves. Quand cela arrive on réalise à quel point on a peur de l’avenir, à quel point la vie peut être bouleversante et bouleversée. On a envie de dire que l’on comprend, que l’on imagine combien ce peut être dur à vivre, mais on ne sait comment le dire. On se résigne, on compatit, mais on se rend compte à quel point c’est insuffisant. On se sent impuissant, honteux, coupable même parfois de ne pas pouvoir aider, soulager, Guérir ; en colère aussi, devant cette injustice. Et puis on se sent égoïste de s’autoriser à penser et à ressentir tout cela alors que l’entité malade ce n’est pas nous, c’est notre pays. Oui, c’est la société, c’est la Tunisie, qui ont le droit de dire tout cela, de déverser leur tristesse, leur ressentiment, leur colère, leur rage, leur impuissance contre une classe politique synonyme d’adversité.
La Divina Commedia dell'Arte tunisienne
Depuis plusieurs semaines se joue sur la scène politique, avec l’Etat pour théâtre, un vaudeville tragi-comique dans lequel tous nos gouvernants ont un rôle. Sans surprise, ils promettent à cor et à cris avec force vociférations, mais ne donnent rien, si ce n’est excès, mensonges, sensations, violence et extravagances. Et sur les planches, le baron de l’Assemblée des Représentants du Peuple, assisté du félon Ganelon, le Président du gouvernement, assiègent le bastion d’ivoire de la Présidence de la République dans la guerre d’usure qu’ils livrent contre le Chef de l’Etat ; leurs généraux, les dirigeants des extrêmes droites, celles religieuses et celle laïque, de la gauche, ceux sans étiquette, auxquels s’ajoutent l’état-major des syndicats d’obédience UGTT ; il faut compter aussi les mercenaires-députés d’Al-Karama, sbires instables et versatiles, qui jouent tantôt la carte de l’allégeance aux couleurs d’Ennahdha et tantôt font cavalier seuls, et qui abandonnent toute élégance et toute décence pour arracher leur part de cette triste curée. Depuis quatre années consécutives, chaque jour, ces mafieux, sans foi ni loi, mixent de nouvelles frasques, de nouveaux complots, sans playlist prédéfinie, sachant comment manipuler la foule de leurs partisans respectifs pour tel ou tel effet théâtral. Drôles d’excentricités, les shows commencent souvent par des tirades et déclarations médiatisées, des sit-in et parfois, c’est l’apothéose des prouesses des Harlequins, colombines et pantalons de cette Divina Commedia dell'Arte tunisienne.
Les acteurs, l’une avec sa longue et lisse chevelure brune, l’autre, un sinistre filou, fruste et sans élégance, au comportement de bandit de grands chemins et de coupe jarret sans scrupule ; il y a aussi, tapit dans l’ombre, un vieillard aigri et plein d’amertume qui ne rêve que de la revanche qu’il doit prendre contre le peuple et l’Etat. Tous les cœurs battent au rythme des vibrations des invectives et effets discursivisés. Des ambiances différentes, mais toujours autant de monde pour les suivre. Dans cette houle humaine, ils ne craignent pas les éclaboussures, ni les contacts, involontaire ou, plus souvent, volontaire contre les factions adverses ou contre la soldatesque de l’ordre établi. Ils se sentent invincibles.
Cycle des vicissitudes de la vie humaine, à partir des vertus et des vices
La nouvelle politique tunisienne s’attache aux images de l’excès, de la transgression et de l’impunité, qui sont une façon de renouer avec la catharsis antique et les allégories. Le miroir de la folie est le dénominateur commun de beaucoup de ces estampes réelles qui se rattachent à la thématique du monde à l’envers, à l’art de l’allusion satirique et à la parodie burlesque. Certains des motifs du discours visuel sont récurrents et tombent dans l’extrême vulgaire pour en subvertir le sens et en sonder sans doute les limites. Tous se mêlent à la parade, la reine Argent, Regina Pecunia, assise sur son char de triomphe et qui, sous sa robe, cache le crime sous les traits de la Meurtrière Rapine (Latrocinium, le Vol) ; sa main est posée lourdement sur un globe terrestre, signifiant le pouvoir qu’elle exerce sur le monde, d’une poigne de fer. La reine est accompagnée de Pandemia, la pestilence répandue sur le monde entier, placée sous son emprise ; et elle porte sur la tête le symbole du monde à l’envers rappelant ce qui rend blanc le noir, beau le laid, franchise le mensonge, juste l’injuste et service la corruption. Son char est suivi par Stultitia, la Sottise, Invidia, l’Envie ; à quelques pas d’elle, Periculum, le danger, et Pauor, la peur, marchent comme savent le faire les dangers et vices du pouvoir corrompu et dysfonctionnel.
En un sombre cortège, c’est la procession des agissements de ceux des humains qui ont du pouvoir, lieux communs de l’excès qui contient en lui-même son propre déclin par le mal ou les vices même qu’il entraîne en son sillage, tout comme, en l’occurrence, les conflits intestins. Dominant ce spectacle fantasmagorique, la pandémie, fléau universel, affecte riches et pauvres, hommes femmes et enfants, à tous les âges de la vie. Elle constitue depuis, le premier facteur de maladie et de mort, pesant plus lourd que la pollution de l’air, le SIDA ou le Cancer sur le devenir de l’humanité. Sur toute la planète, le fardeau macabre reste élevé et les progrès sont lents, nous mettant trop tôt face à l’inacceptable sort de la vie. Ainsi, il apparait que la plupart des pays semblent avoir peu de chances d’atteindre les cibles définies par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dont la Tunisie ; la pandémie est devenue affaire de puissance, de pouvoir, de politique et surtout de gros sous, manne céleste pour les laboratoires, dans cette traversée du désert des peuples du monde.
On ne parle plus d’humanité ni de décence, mais d’influence. La démographie se nourrit de nombres toujours en croissance, égrenés par des compteurs infatigables et impersonnels, alors que les populations s’amenuisent en effectifs. Aucun pays n’a la vraie solution, ni n’est sur la bonne trajectoire, aucun n’a accompli de progrès vers l’accomplissement. Ils s’enorgueillissent tout bonnement de quelques avancées, alors que le constat général est sombre. Chaque jour, des dizaines de déclarations d’effets indésirables des vaccins contre le Sars-CoV-2 sont tus par des experts à la solde des officiels. Des signalements de troubles de la coagulation et des cas de thromboses multiples, formation de caillots sanguins dans les artères, sont survenus après vaccination qui font l’objet de démentis éhontés. En guise d’actif, on nous dit qu’individuellement comme collectivement, la balance bénéfice/risque des vaccins reste très largement en leur faveur comme meilleur espoir, à court terme, de sortir de la crise, alors que la probabilité que le vaccin soit lié à ces événements cliniques est réelle ; ce serait comme jouer à la roulette russe. Aussi est-il primordial de démontrer ce qu’il en est, afin de rassurer la population et qu’elle choisisse en connaissance de cause.
Les populations sont passées de l'hypervigilance en matière de respect des gestes barrières à la lassitude, les mesures de lutte contre la pandémie jouant avec la santé mentale des individus. Répondant collectivement à l'anxiété tous ont adopté des comportements de précautions extrêmes et mimétiques qui rétrospectivement apparaissent un peu absurdes. Les restrictions sont formellement toujours en vigueur à divers degrés en fonction des régions pour tenter d'endiguer le virus, et du chemin a été fait mais pas toujours dans la bonne direction. Les populations ont ensuite montré leur flexibilité vis-à-vis des gestes barrières ; Quand la circulation virale est élevée, on observe une meilleure adhésion, un meilleur suivi des mesures de prévention. A l'inverse, quand la situation épidémiologique se calme, on observe un relâchement progressif et surtout une décorrélation au fil du temps entre les dynamiques épidémiques et l'adhésion aux mesures de prévention recommandées par les pouvoirs publics. En Tunisie, le Comité Supérieur de Lutte Contre le Coronavirus ment à la population, par le biais des annonces médiatisées de la directrice de l’Observatoire national des maladies nouvelles et émergentes et porte-parole du Ministère de la santé, sur la situation sanitaire réelle et l’augmentation exponentielle des contaminations par des souches mutantes du virus. Ce faisant, il y a péril en la demeure et la justice doit intervenir à l’encontre des coupables et enrayer cette menace à la sécurité nationale. Il est grand temps de mettre fin à cette mascarade et à la dictature de cette instance. La pandémie a aussi révélé que les pays qui ont le moins investi dans leur système de santé, sont aussi ceux qui ont connu la plus importante surmortalité durant les différentes vagues de l'épidémie de Covid-19.
Ce paramètre est un indicateur qui comptabilise non seulement les décès dus directement au virus Sars-CoV-2, mais aussi ceux indirects, toutes causes confondues, qui ne seraient pas survenus s’il n’y avait pas eu de pandémie. Il peut s’agir de personnes souffrant d’autres maladies graves, n’ayant pu avoir accès aux soins adéquats faute de place à l’hôpital, ou bénéficier d’un encadrement approprié par manque de personnel disponible ou encore de victimes de violences domestiques durant le confinement ; c’est aussi le cas de l’augmentation du nombre de suicides chez des personnes psychologiquement fragiles. Estimer la surmortalité est un paramètre beaucoup plus fiable pour évaluer les ravages réels de la pandémie et de ses conséquences que les statistiques officielles, tous modes de computation confondus.
Il souligne entre-autre les graves conséquences, en temps de pandémie, de la dégradation de la protection sociale et du manque de modernisation des infrastructures sanitaires qui ont été délaissées par le gouvernement. C’est le médecin tué dans la cage d’un ascenseur défectueux. Pour autant, on ne sait pas encore quels seront les effets réels à moyen et long terme des mesures comme le confinement, dont le coût économique peut aussi avoir des conséquences sanitaires lourdes à venir. Les États dont les systèmes de santé sont bien financés ont traversé cette période en enregistrant beaucoup moins de décès, toutes causes confondues. Il en ressort la règle que le recours au confinement doit rester la solution de dernier recours. C’est le signe que les autres politiques ont échoué. La leçon des premiers mois de la pandémie est qu’au-delà des mesures d’urgence à prendre pour faire face aux prochaines vagues, il est impératif de se focaliser sur les investissements à long terme dans les systèmes de santé nationaux ; et surtout, d’éviter de chercher à faire des économies de bouts de chandelles concernant les équipements, la logistique et le personnel des hôpitaux lorsqu’il sera de nouveau question de réduire les déficits des finances publiques.
La Tunisie est en danger… Le rejet des symboles nationaux
Dans le même registre des maux de ce monde, depuis la pandémie, le paysage politique tunisien semble avoir perdu toute raison, étant chamboulé et plus morcelé que jamais ; pour la première fois depuis longtemps, tout est possible, même l’invraisemblable et l’absurde. Tout ne tourne plus seulement autour de la traditionnelle bilatéralité droite-gauche s’opposant dans une compétition politicienne saine et sensée. La Tunisie est en grand danger et est devenue un Etat failli. Faillite politique, les institutions potentielles ne fonctionnent plus au point que l’on parle de caducité du parlement, du fait de l’ajournement de ses travaux quotidiennement.
La présidence de la république s’occupe de mondanités scientifiques et a l’esprit dans les étoiles, alors que sa maison brûle. Le gouvernement est absent à l’appel, son chef fomentant quelques complots avec ses alliés du moment, n’étant pas conscient d’être un simple prête nom, un homme de paille dans une opération de plus grande envergure qui se prépare dans l’ombre. En Tunisie, après le choc pandémique, c’est le chaos orchestré par des ennemis qui abhorrent notre pays, par ceux qui haïssent ses personnages illustres et son histoire. Leur haine des grands hommes de ce pays, de son histoire s’est emmêlée avec celle d’une autre Tunisie sombre, tourmentée, celle de personnes qui aujourd’hui leur tourne résolument le dos car ils n’ont aucune histoire, ni aucune existence légitime.
Ce sont des criminels, des marginaux, des terroristes, des fanatiques n’usant que de lâcheté pour s’exprimer dans un sinistre langage de terreur… C’est un désastre pour les démocrates traditionnels, le scandale éclaboussant toutes les formations sans faire d’exception. L’indépendance est passée sous silence et son 65ème anniversaire dans l’indifférence institutionnelle. Si google a rendu hommage à la Tunisie, si les chutes du Niagara se sont illuminées aux couleurs du drapeau tunisien, sous nos cieux, aucun signe visible de la fête nationale, et aucun discours officiel à la Nation n’a été prononcé pour la postérité. Les dissensions conjoncturelles au sommet de l’Etat ne sauraient servir d’alibi pour expliquer ni excuser cette attitude qui va à l’encontre de la responsabilité morale commune du Président de la République, du Président du Parlement et de son complice du gouvernement. Le rejet de ces symboles nationaux, rajoute aux malheurs, aux frustrations, à la désillusion et à l’abattement du peuple, réduit à l’état d’instrument électoral, après une décennie de déboires et d’échecs sans précédent dans l’histoire de la Tunisie depuis l’indépendance. Entre inquiétudes légitimes et désinformation volontaire et amplifiée sur les réseaux sociaux, il est parfois difficile de faire la part du vrai et du mensonge. Les attentes du peuple, sans cesse déçues, risquent d’exacerber les tensions, parmi les partisans d’un même camp, entre ceux qui se rallient à la réalité, et ceux qui optent pour une « réalité alternative », encouragés par le triomphalisme de leurs idoles.
C'est en substance ce que l'on peut voir et entendre à longueur de slogans et de vidéos sur internet, relayés par ceux qui se réclament de la mouvance fondamentaliste, et au-delà, par une nébuleuse de groupuscules liés à l’extrême droite radicale et aux suprémacistes islamistes rétrogrades. Une partie de ce public s’attend au retour de la gouvernance d’Ennahdha à la faveur d’un coup d’État, signant la mise aux arrêts de tous les responsables démocrates et de leurs « complices » dans les médias et les milieux de la communication, de l’éducation et du spectacle.
La créature échappe peu à peu au contrôle de son créateur
Ce qui s’est passé ce 15 mars 2021 à l’aéroport de Tunis-Carthage est un aperçu du vrai visage de cette faction indigne et sans honneur qui usurpe le nom de Al-Karama. La créature échappe peu à peu au contrôle de son créateur, Ennahdha. Cette organisation entretient des liens étroits avec des groupes terroristes et de fortes présomptions portent à croire que la personne que les sbires d’Ennahdha ont défendu avec tant de hargne est fichée pour ses liens fortement présumés avec le terrorisme international. Elle devait d’ailleurs se rendre en Turquie pour contacter Hosni Jelassi, un extrémiste, qui a partie-liée avec le terrorisme islamiste, recherché par la brigade antiterroriste. Le chef du parti Al-Karama a lui-même des liens avec cet individu puisque c’est lui qui l’a accueillie sur le territoire tunisien lors de son extradition d’Algérie.
Cette personne n’ayant pas été déférée devant la justice par le député qui l’a réceptionnée à la frontière, ce fait constitue à l’encontre dudit élu tunisien un délit de recel de malfaiteur et d’association de malfaiteur et de complicité avec une organisation terroriste. Les évènements du 15 mars 2021 à l’aéroport de Tunis-Carthage pourraient fort bien constituer un épisode d’un complot terroriste contre la Tunisie. Une vidéo, circulant sur les réseaux sociaux, montre la dame incriminée en train de glisser un téléphone portable dans la poche du dirigeant de Al-Karama, probablement pour dissimuler des preuves la confondant. En conséquence il y aurait aussi obstruction au bon déroulement d’une enquête et à la justice par dissimulation de preuves pertinentes.
La démonstration de force a dégénéré en une confrontation violente avec la police et les syndicalistes. Face à l’ampleur qu’a prise l’incident, le chef du gouvernement, aussi ministre de l’Intérieur par intérim en toute illégalité, a été contraint de se déplacer sur les lieux pour afficher hypocritement un soutien de façade à la police des frontières. Son ton va-t’en guerre n’a convaincu personne et n’a fait qu’ajouter à la confusion du débat public, ce qui était sans doute le but recherché. Il ressort que le terrorisme islamiste frappe, autant qu’il le peut, pour faire mal à la beauté, à l’esprit, au savoir, à l’ordre, à la culture, à la raison, la science et la vie. A vocation hégémoniste, sa stratégie de conquête ne repose que sur la haine hissée au rang d’idéologie. Après plus de vingt ans de fanatisme islamiste, il est temps de ne plus seulement prendre en considération le djihadisme, mais aussi d’aborder l’idéologie de l’islam politique qui se trouve derrière.
Et il est temps de prendre au sérieux ce qu’elle est, une idéologie totalitaire comparable au nazisme, au communisme des goulags et d’autres encore. L’islamisme radical poursuit une idéologie meurtrière qui ne fait aucun cas de la vie humaine. L’incident du 15 mars 2021 ne peut provoquer que sidération et colère face à une atteinte totalitaire à l’intégrité d’une société libertaire comme la nôtre. Ils peuvent se faire appeler Al-Karama, ils ne seront qu’un parti croupion d’Ennahdha et ne représenteront pas moins que l’indignité de terroristes radicalisés qui, aveuglés par leur idéologie, assouvissent leurs fantasmes autoritaires décalés. Ils poursuivent le but de se hisser au-dessus des autres pour se sentir puissants en perpétrant un acte barbare, croyant ainsi devenir des stars dans l’univers des djihadistes et ébranler toute une société. Ils exècrent cette zone floue du vivre-ensemble dans la tolérance et le respect de l’autre, même s’il est non musulman ou athée. Les islamistes ont ceci en commun avec une autre partie radicale du spectre politique, les extrémistes de droite. Djihadistes islamistes et extrémistes de droite haineux de l'islam sont interdépendants et vont ensemble car tous deux ennemis d'une société libérale et inclusive. L'islamisme intégriste doit être poursuivi et éradiqué par les autorités et les forces de sécurité qui doivent rester en alerte, contre d’éventuels rassemblements ou manifestations violentes.
Les Etats ont grand mal à parler de religion dans la vie publique, et ils le font d’une façon que d’autres démocraties multiculturelles ont souvent du mal à comprendre. La liberté de conscience c’est le droit de croire et de ne pas croire, mais aussi celui de critiquer toute croyance religieuse, sans avoir à craindre pour sa sécurité. Facebook, Twitter et YouTube ont multiplié les mesures de lutte contre les radicalisateurs du Darkweb, les académies islamistes sur Internet, la désinformation et tout ce qui pouvait constituer des incitations à la violence, supprimant des dizaines de milliers de comptes. Mais cela n’a fait que déplacer le problème. Les théories conspirationnistes ont sans doute perdu en visibilité sur les grandes plateformes, mais leurs adeptes se retrouvent désormais ailleurs, notamment sur les réseaux sociaux, et d’autres plateformes, sans modération, qui ne savent pas empêcher les incitations à la violence, et que les hébergeurs, Amazon, Apple et Google ont décidé de bannir. Ces réseaux sont très prisés des partisans politiques les plus extrêmes, ce qui a eu pour effet de relancer les attaques contre les big tech, accusés de faire le jeu des démocrates et des satanistes. C’est donc devenu une menace très concrète pour l’administration politique tunisienne démocrate, non seulement en terme informationnel, mais aussi parce que gravitent autour de cette mouvance fondamentaliste de droite, ou de droite alternative, des groupes radicalisés, capables de passer à l’acte, comme on a pu le voir le 27 février dans la capitale ou le 15 mars à l’aéroport de Tunis-Carthage. L’inquiétude des autorités doit se nourrir également du fait que les différentes composantes de cette mouvance se retrouvent autour d’une passion commune belliciste pour la violence. Alors qu’aucune issue à la catastrophe économique n’est en vue, et après des manifestations violentes au moment des dix ans de la rébellion, le 14 janvier dernier, les islamistes dont les trublions de Al-Karama, qui font partie de ceux qui gouvernent le pays, font tout ce qu’ils peuvent pour accroitre la fragilité de l’État et des institutions. Retranché derrière sa charge usurpée de président du Parlement, l’éminence grise d’Ennhdha feint de prendre de la hauteur alors qu’en réalité, il joue la rue. Il fait paradoxalement prospérer le « Parti destourien libre » qui se réclame de l’héritage bourguibien et se présente comme la seule alternative à l’islamo-populisme de Ghannouchi et au légalisme tout autant populiste du président Saïed, deux faces d’une même médaille qui se complètent si bien.
Le devoir de mémoire
Les communautés ont coutume de se réclamer des épisodes glorieux de leur histoire ; mais elles doivent aussi parfois savoir en affronter les plus difficiles. Les groupes sociaux ont une relation particulière, et donc une responsabilité morale, quoique non criminelle, pour ce que font leurs membres, en particulier lorsque ces personnes prétendent parler ou commettre des actes répréhensibles criminels au nom du groupe et défendre ses valeurs. Bien qu'ils ne participent pas à ces crimes ou ne les soutiennent pas, ils les voient et doivent les traiter comme une tare honteuse qui imprègne leur histoire et leur vision d'eux-mêmes en tant que groupe. Tout comme les Tunisiens d'aujourd'hui ont le droit d'être fiers de leurs réalisations des temps passés, même s'ils n'y ont pas contribué, il est naturel pour eux de ressentir de la honte et se sentir timides face aux crimes du terrorisme, commis par des musulmans et au nom de l’islam, même s’ils n’y avaient aucun rôle. Il est plus que nécessaire que les Tunisiens réexaminent leur société et leur culture dans un effort pour comprendre l’époque et la période qu’ils traversent afin de ne pas répéter les erreurs et renouveler cette expérience pénible ou quelque chose de similaire à l’avenir. Réaliser un objectif qui va au-delà de la spécification des responsabilités et des raisons et d'éviter la répétition, c'est aussi une forme d'excuse et/ou de regret public pour ce qui s'est passé et s'en éloigner concrètement. Des voix émergent affirmant qu'il y a une crise au sein de la société tunisienne et des valeurs qui y règnent. L'absence de cette sensibilité aux crimes de la part des autorités gouvernantes concernées, et leur réticence à assumer la responsabilité dans son sens le plus profond et le plus significatif, renforceraient le populisme croissant et la dérive de l’Etat.
C’est dans le creuset du désœuvrement que les groupes intégristes viennent puiser leur renfort
Aujourd’hui en Tunisie, le taux de chômage dépasse les 19%, toujours en progression et le taux de sous-utilisation de la main-d’œuvre d’environ 25% à 30%, selon la mesure la plus large. C’est dans le creuset du désœuvrement que les groupes intégristes viennent puiser leur renfort. Quelques mots pour séduire et de l’argent facile et la chose est enlevée par cette jeunesse délaissée par la société et qui ont le sentiment qu’elle ne veut pas d’eux. Dans leur extrême vulnérabilité, ils sont prêts à tout, même à l’ultime sacrifice, pour décrocher un ticket pour le paradis par devers et contre la société qui les a ignorés. Tous les spécialistes économistes et tous les sociologues connaissent cette réalité. Pourtant, le débat public se focalise toujours sur la réduction des déficits publics plutôt que sur les politiques de réduction du chômage. Les économistes de la pensée dominante, souvent ceux-là mêmes qui ont contribué à créer cette crise, mettent l’accent sur la nécessité de réduire les déficits et les dettes publiques, solution démontrant une compréhension très limitée du système monétaire moderne, dans lequel les États du monde ont vécu durant les quatre dernières décennies et qui a atteint ses limites depuis. Concernant les causes et les conséquences des déficits publics souverains, la plupart des experts confondent la solvabilité avec un degré relatif de soutenabilité, reposant sur des critères plutôt arbitraires de ratios de déficit et de dette rapportés au PIB.
Ces ratios pourraient avoir une signification dans les régimes de taux de change fixe ou d’étalon-or, mais ils sont obsolètes et ne sont pas ou plus pertinents pour des pays ayant leur propre monnaie flottante et/ou non convertible comme la plupart des pays du monde dont la Tunisie. Par ailleurs, il n’existe ni ratio magique pertinent pour tous les Etats et toutes les périodes, ni seuils qui, une fois franchis, seraient insoutenables ou réduiraient la croissance économique du pays. L’équilibre budgétaire est, dans la plupart des pays avancés, hautement endogène et n’est que le reflet éphémère de l’équilibre des comptes du secteur privé. Le déficit public est une fatalité qui résulte de la volonté du secteur privé, notamment les banques, d’épargner et de spéculer plus qu’il n’investit et d’importer davantage qu’il n’exporte. Les gouvernants en charge de ces questions interprètent souvent la théorie monétaire moderne, comme celle selon laquelle l’État peut dépenser sans limite réelle et devrait maintenir des déficits publics. Mais en fait, il y a une limite aux dépenses publiques, et bien sûr, l’État ne devrait pas dépenser sans limite, même si un État souverain n’est pas contraint financièrement, ce qui signifie qu’il ne sera jamais face à un problème de solvabilité ou plutôt d’insolvabilité. Néanmoins, il est contraint en termes réels, ce qui signifie qu’il se trouve en face d’autres problèmes de soutenabilité ; la fraction des ressources nationales qui devrait être utilisée par l’État et, l’ampleur du déficit public, compte tenu du niveau de ressources dont le secteur privé a besoin.
S’il y a du chômage involontaire et du sous-emploi, cela signifie que le déficit public est trop faible. L’État doit donc, soit diminuer les impôts, soit augmenter les dépenses, sans entrer dans le débat sur la meilleure politique à mener. Mais le niveau de solde public n’a, par lui-même, aucune conséquence ; ce qui est important c’est l’impact économique des dépenses publiques et de la fiscalité. Lorsque le total des dépenses de l’économie, y compris les dépenses publiques, dépasse ce que l’économie est capable de produire au plein emploi, l’État doit soit réduire ses dépenses soit augmenter les impôts directs et/ou indirects. À défaut, ce faire conduit irrémédiablement à de l’inflation. Ainsi, c’est l’inflation qui est la véritable limite aux dépenses publiques et non un manque de financement. Les institutions financières internationales, usant d’une logique banquière ont choisi la première option dans leur conception des plans d’ajustement structurels auxquels ont souscrit les pays en développement. Mais réduire les dépenses publiques impose de réduire l’effectif des agents publics et de limiter le recrutement par contingentement et des compressions budgétaires, ainsi que de procéder à des plans sociaux couteux en vies humaines. Ceci s’applique aussi à la dette publique qui n’est que la résultante du déficit public.
En moyenne annuelle, l’inflation s’est stabilisée à 5,6% en 2020. Cette stabilité s’explique, d’une part, par l’accélération du rythme d’augmentations des prix de l’alimentation de 4,4% et des produits et services de la santé de 7,5%, l’augmentation des prix des légumes de 5,9%, des fromages et œufs de 5,8%, de l’huile d’olive de 2,9%, du groupe confiture, miel, chocolat et confiserie de 5%, des poissons de 4,6% et des dérivés de céréales de 4,2%. Sur un an, les prix des produits manufacturés ont progressé de 4,9% en raison de la hausse des prix des produits d’entretien courant du foyer de 6,9% et des prix des matériaux de construction de 5,7%. Pour les services, leurs prix ont augmenté de 5,3% sur un an en raison de la hausse des prix des services de santé, des loyers de 4,9% et des tarifs des services publics de 3%. S’agissant de l’inflation sous-jacente (hors produits alimentaires et énergie), elle s’est stabilisée à 5,9%. Quant aux prix des produits libres (non administrés), ils ont augmenté de 4,9%. Les produits alimentaires libres et à prix encadrés ont connu une augmentation de 4,3%.
La crise sanitaire, de son côté vient alimenter le chômage dans le secteur privé. Avec l’arrêt de l’économie ou son fonctionnement au ralentit, beaucoup d’entreprises ne peuvent tenir la route et sont poussées à la faillite ou à adopter des plans sociaux. Il en résulte autant de candidats mécontents et déçus pour grossir les rangs de Daech ou de l’extrémisme radical et terroriste auxquels la Tunisie a payé un lourd tribut.
Monji Ben Raies
Universitaire, Juriste et politiste
Enseignant et chercheur en Droit Public et Sciences Politiques;
Université de Tunis El Manar
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis
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