Suzanne Guellouz, une amie de toujours et une enseignante rayonnante
Par Mounira Chapoutot-Remadi - Suzanne Dimon Guellouz a quitté cette terre de douleur. Elle a été enterrée, par une belle journée ensoleillée qui cherchait par sa brillance à adoucir la douleur de sa perte, à Métline, vendredi 19 février après la prière d’al-’Asr, dans ce village qu’elle aimait tant d’où est originaire son époux Azzedine Guellouz. Un magnifique cortège de beaux garçons et de belles personnes a entouré son cercueil et l’a mené près de son fils aîné Ali, trop tôt arraché à l’affection de ses parents.
Suzanne Guellouz était agrégée de littérature comparée, elle a terminé sa carrière comme professeur émérite de l’Université de Caen et elle a eu un parcours assez exceptionnel, fait d’allers-retours entre Tunis, Constantine, Toulouse et Caen.
Elle a été professeur au Collège Alaoui où elle a eu des élèves, bien connus aujourd’hui, qui lui ont voué une affection et une estime indéfectibles : parmi eux Yadh Ben Achour, Sayyed Mazouz et les regrettés Amor Saïdi et Moncer Rouissi. Ces derniers jours ont été assombris par les décès de Moncer Rouissi et de Abdelwahab Bouhdiba. On retrouve la même fidélité, la même affection, les même souvenirs émus et non moins vivaces chez ses élèves du Lycée Khaznadar comme Hichem Skik, Mahdi Abdeljaouad et les Abdeljaouad en général, tous ont exprimé leur tristesse, leur chagrin à l’annonce de sa mort. Il faudrait ajouter la longue liste de ses élèves et thésards à l’Université parmi lesquels Habib Mellakh, Rabaa Ben Achour, Samia Kassab-Charfi et Aïcha Guellouz, Amina Chenik, Ilhem Ben Miled et Tahar Chikhaoui. Il faudrait y ajouter Marie-Gabrielle Lallemand et Emilie Picherot.
Suzanne a noué également des relations privilégiées avec les frères et sœurs, les enfants de ses amies et de ses élèves. Sophie Bessis, Sylvie Duvernay, Olfa Bardi, Sarah Mazouz, Leila, Amir et Hichem Rezzoug, Monia, Mounir et Momo, les neveux de Françoise, Sonia ma fille et bien d’autres lui étaient très attachés comme bien sûr tous les enfants de la grande famille des Guellouz.
Suzanne, originaire des Pyrénées-Orientales, descend d’une longue lignée d’enseignants dont le métier était un sacerdoce. Sa grand-mère était institutrice, sa mère était professeur de philosophie à l’École normale d’institutrices d’Auteuil et son père, René Dimon, était professeur de latin-grec au Lycée Lakanal.
Après ses années d’enseignement dans les lycées de Tunis, Suzanne repart en France, passe le concours d’agrégation et intègre avec son mari la faculté des Lettres de Toulouse.
En 1971, Suzanne et Azzedine rentrent en Tunisie et intègrent la faculté des Lettres et Sciences humaines de Tunis. Par la suite, à des moments différents de sa carrière, Suzanne a enseigné à l’École normale supérieure et surtout à l’Institut supérieur de la formation continue. Avec un enthousiasme jamais démenti, elle a participé à la mise en place des structures et des programmes d’enseignement de la formation continue et a contribué même à la mise en place d’une université d’été pour les étudiants-enseignants qui n’étaient libres que pendant les mois d’été. Elle a instauré avec Samir Marzouki des cours sur la musique, sur l’opéra, entre autres sur Dom Juan, et Samir nous a gâtés avec de très belles conférences sur la chanson française et en particulier sur Jacques Brel.
Suzanne était une grande spécialiste du dix-septième siècle et plusieurs de ses publications ont porté sur le dialogue, le théâtre et ont balisé tous les grands auteurs classiques comme Racine et Molière. Ses origines catalanes et son adoption de la Tunisie ont sans doute orienté et confirmé son intérêt et sa spécialisation dans la littérature comparée. Il faut dire que c’est au XVIIe siècle que la littérature picaresque arabo-andalouse, et les grandes pièces morisques ont influencé la littérature du grand siècle.
Durant ses années tunisiennes, elle a été appelée à enseigner à l’Université de Constantine en Algérie et elle n’hésitait pas à prendre la route pour s’y rendre et assurer son enseignement. Peu à peu, là aussi, elle s’est fait des amis avec lesquels elle partageait, avec le même allant, la même énergie et le même enthousiasme, son engagement au service de l’enseignement et la route.
Elle soutient sa thèse d’État en 1980 qui sera publiée à Tunis sous le titre «Dialogue et critique littéraire de 1671 à 1687 ». En 1995, elle repart pour la France où elle enseignera quelque temps à la faculté des Lettres de Toulouse avant d’obtenir un poste de professeur à l’Université de Caen où elle terminera cette carrière si nomade et si riche.
29 occurrences à son nom apparaissent au titre des publications, 17 comme éditeur scientifique, 12 comme directeur de publication, huit thèses dirigées.
Chaque été, dans sa belle maison dominant la mer, à Métline, elle recevait ses amis d’ici et d’ailleurs, ses anciens élèves tunisiens et étrangers et tous formaient une sorte de grande famille autour d’elle et d’Azzedine.
Lorsque ses anciens élèves et/ou amis lui offraient leurs livres, elle les lisait le crayon à la main pour en discuter ensuite avec eux. Jusqu’au bout, au cours de ce dernier été à Métline et ensuite à La Marsa, elle a continué à travailler avec sa dernière amie-étudiante et non des moindres, Émilie Picherot, sur un manuscrit de grammaire arabe de Guillaume Postel (1510-1581). Émilie a été plus que la dernière fille spirituelle de Suzanne ; elle et Jihad, son mari, ont entouré les Guellouz par une présence affectueuse de tous les instants et s’est comportée avec eux plus comme un membre de la famille que comme une simple disciple.
Sophie Bessis lui a offert son livre L’Histoire de la Tunisie de Carthage à nos jours. Elle l’a lu avec le sérieux que nous lui connaissons et elle en a fait un compte rendu qui est paru ces derniers mois dans la revue de l’Institut des belles-lettres arabes.
Jusqu’au bout, elle a travaillé et s’est conduite, conformément au proverbe arabe, comme si elle allait vivre éternellement.
Suzanne était très pudique et elle a toujours su garder en elle le chagrin causé par la perte cruelle de ses fils et de Françoise. Peu d’entre ses amis savaient qu’elle était gravement malade et qu’elle était revenue en Tunisie avec son mari car ce devait être leur dernière demeure. Elle a tellement donné le change que certains, comme le disait si bien Habib Mellakh, étaient dans le déni à l’annonce de sa mort.
Nous les anciens, Jacques, Pierre Dimon et Michelle Dimon- Groddek, Mohamed et Simone Rezzoug, Jacqueline Catteau, Colette Becker, Taoufik Skandrani, Naziha Mahjoub, Monique et Jean Dixaut, Annie Bardi, Gabrielle Chamarrat, Edric Caldicott, Marie-Ange et Jean-Claude Maire-Vigueur, Boutheina sa bru, Rim et Mourad, ses petits-enfants et bien sûr tous les Guellouz, nous avons perdu un être cher, une des nôtres, nous qui nous sommes connus et mêlés grâce à elle et à Azzedine et qui étions devenus une grande famille, nous sommes désemparés parce que nous avons perdu «notre phare».
Mounira Chapoutot-Remadi
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