Ministres - Mode d’emploi : les coulisses de la «Ministre Academy»
Par Mohsen Redissi - ll est difficile par les temps qui courent de choisir en toute quiétude une personnalité susceptible de remplir convenablement la fonction de chef de Gouvernement (cdG), ministre ou toute autre fonction exposée au public et à la vindicte populaire. La pression des partis, les attentes de la population et le temps imparti par la constitution au PM d’arrêter dans les délais la liste de ses lieutenants compliquent la mission et la rendent une tâche ardue. Sa tête est mise à prix le jour de l’annonce de sa nomination. Ces partis lui fournissant l’arme tranchante pour son harakiri, une intoxication aiguë de noms. Cette overdose le saoule et amoindrit sa liberté se choisir. C’est le cas de toutes les équipes qui se sont succédé depuis l’adoption de la nouvelle constitution. Tout est éphémère. Le cycle de vie de certaines larves dure plus qu’un gouvernement.
Mais comment peut-on intégrer une équipe qu’on n’a pas choisie, quand le chef de Gouvernement lui-même n’a pas été choisi par un vote populaire mais désigné par le parti majoritaire ou par une coalition ou par le président de la république ?
Appel à candidature
L’idée semble être saugrenue. Le gouvernement a peur du ridicule. Il ne veut pas se voir inonder par des CV farfelus et d’autres sans fondements. Tout le monde peut être ministrable. Ce poste manque de précision et ses contours sont mal définis. L’absence d’une description de la position, job description, rend la mission en même temps vulnérable et accessible. Pas d’expérience demandée, ni de diplômes obtenus auprès de grandes écoles. Seul le quota compte pour les partis en compétition dans un circuit fermé. Un candidat qui gravite autour du noyau de son parti a plus de chances de voir son nom proposé pour occuper un poste ministériel ou son équivalent. Un électron libre n’a aucune chance de se voir choisi encore moins d’être proposé en tant que ministre.
Le lâchage de plusieurs chefs de Gouvernement, de ministres et de hauts responsables en cours de route pour incompétence ou incompatibilité d’humeur ces dernières années confirme la faiblesse des critères et des choix faits. Tous sont logés sous la même enseigne des CDD qui peuvent aboutir à des CDI si la période de probation est concluante, tel un étudiant préparant son projet de fin d’étude par un stage de six mois en entreprise. Ses chances de se voir embaucher sont plus grandes que la vie active éphémère d’un ministre mis à l’essai.
Le cef de Gouvernement choisit au pif ses collaborateurs parmi les noms proposés. Si son flair le trahit il est vite écarté et mis en quarantaine. Il ne doit pas se tromper. Hélas ! Les candidats proposés se jalousent, se bousculent ; leurs partis font le forcing sur le cdG. Les voir faire le va-et-vient entre leur quartier général et Dar Dhiafa à Carthage et poser devant les caméras fait défiler devant les yeux des téléspectateurs tunisiens les images de vedettes du cinéma condescendantes et les top modèles posant presque nues sur les marches du Palais des Festivals de Cannes.
CDG équilibriste
Tout premier ministre choisi est à plaindre. Ce n’est pas une sinécure. La charge est à la grandeur de l’espoir collé à sa nomination. Projeté d’un coup au devant de la scène, appelé et envahi de toute part. Il doit choisir des candidats sur papier, souvent abrasif, pour le seconder. Sans entretien d’embauche pour les sonder, il doit choisir parmi ses pairs et impairs les noms qu’il considère les plus qualifiés. Venus de toutes parts et de tous les horizons, ils doivent s’emboiter dans un moule fabriqué pour l’occasion. Un cdG maitre artisan. Il est privé de toute liberté de choisir correctement ses collaborateurs. Un exercice forcé et un choix imposé. Le champ est miné. Gare au cdG où il met les pieds.
Le discours de gouvernement politique contre un gouvernement de compétence ne rime à rien. L’indépendance et la compétence s’effacent au dépend de l’appartenance. Il y a toujours un vice caché dans le choix. Les partis maquillent les portraits de leurs cavaliers pour augmenter leur chance de gagner à la course aux portefeuilles. Quels critères le cdG doit-il prendre en considération ? Est-il judicieux et honnête d’attribuer les postes selon le contenu de dossiers surfaits ? Au professeur chercheur le ministère de l’enseignement supérieur, à l’agronome le ministère de l'agriculture, au médecin le ministère de la santé publique… Chaque candidat sait ce qu’il doit faire mieux que quiconque. Il est capable de s’adresser à la population pour expliquer et essayer de convaincre son auditoire. De chacun selon ses capacités, à chacun selon son domaine de prédilection. Tous le savent mais tous semblent l’ignorer. La valeur intrinsèque du ministre candidat est en accord avec le ministère alloué. Des enquêtes révèlent que les pays qui nomment le ministre qu’il faut à la place qu’il faut obtiennent de meilleurs résultats. Ils appréhendent les crises et agissent en conséquence.
Blancs comme neige
La moralité des agents publics doit être au dessus de tout soupçon. La pérennité du CDD en dépend largement. Il est fastidieux de procéder à la collecte et le déchiffrage d’information sur chaque nom proposé pour la période impartie par la constitution tunisienne pour former un nouveau gouvernement, un bail d’un mois renouvelable une seule fois. Echec et mat s’il échoue après le temps additionnel. Au suivant.
En Tunisie la société civile, rodée à ce genre d’exercice réagit à la vitesse d’un double clic. Le passé du candidat surgit des RAM des machines entachant un futur devenu incertain. Il doit se défendre avant même de passer devant le grand jury. Le cdG ne doit pas prendre du retard dans la formation de son équipe. Etudier dossier sur dossier et enquêter sur la moralité de chaque candidat retardera la formation et le démarrage des changements, sauf si le cas est flagrant et de notoriété publique. Cette tâche essentielle incombe à l’ARP et l’INLUC, Instance nationale de lutte contre la corruption. Fakhfakh gate n’aura pas lieu. Elle est le résultat d’un dossier fait à la va-vite.
Le modèle américain
Le président américain élu s’entoure aussitôt de conseillers triés sur le volet. Ils sont souvent ceux qu’il a côtoyés pendant deux ans sillant le pays faisant campagne contre compagne. Il a partagé avec eux le doute et maintenant l’euphorie de la victoire. Avant même de prêter serment devant le président de la Cour suprême au vu et au su du monde, plusieurs de ses futurs collaborateurs sont déjà passés devant les commissions sectorielles du Sénat, entre autre Antony Blinken confirmé comme secrétaire d’Etat le 19 janvier 2021 la veille du serment.
Le passage « à prendre ou à laisser » dans le langage populaire tunisien chila-bila souffre de faiblesse et surtout de manque d’égalité de chance, de transparence et d’honnêteté. Comment peut-on faire pour séparer le bon grain de l'ivraie ? Quand une liste de noms hétéroclites envoyée devant l’ARP en séance plénière pour valider ou rejeter des noms proposés et imposés sans objection. Le pays fait du surplace depuis quelque temps. Le vent du changement qui doit suivre à chaque renouvellement de cdG ou de ministres tarde à souffler à cause des lacunes du système.
Le président américain nomme ses ministres, les directeurs de toutes agences nationales, les ambassadeurs, le président et les juges associés de la Cour suprême, les membres de son cabinet... Il le fait même pendant sa campagne électorale pour déstabiliser ses adversaires ou pendant la période transitoire comme président élu ou après son entrée à la Maison blanche. Cette désignation ne signifie pas de facto une confirmation, mais un choix qui reste tributaire de la confirmation/rejet du Sénat. C’est un passage obligé pour tout fonctionnaire de haut rang. Le candidat proposé est passé au crible fin jusqu’à sa tendre enfance. Le rôle de ces hauts fonctionnaires est de conseiller le chef de l’Etat ; ils ont accès à des informations sensibles et ultra secrètes. Le Sénat doit les sonder et aller au tréfonds de leur âme avant de leur accorder la confiance. La procédure est la même immuable et remonte aux origines du gouvernement américain et suit ce processus:
Traduit de l’anglais.
Source : Brookings Institution. A Survivor’s guide for presidential nominees, 2000. p.32.
La collecte d’information ne se limite pas aux agences gouvernementales uniquement, les sénateurs siégeant dans les commissions du Sénat mènent leurs propres enquêtes indépendantes secondés par une multitude de clercs. Les réseaux sociaux et la société civile participent activement et directement dans cette grande chasse à l’irrégularité. L’information confirmée par plusieurs sources est fiable et documentée. Des candidats sont lynchés avant de passer devant la commission pour confirmation. En voici quelques exemples:
• En 1989, le sénateur John Tower s'est vu refuser le poste de secrétaire à la Défense sous
George H.W. Bush (père). Un alcoolique invétéré et un coureur de jupons. Sous l’effet de l’alcool ou sous les draps, sa langue peut lui jouer des tours. L’enquête du FBI a porté sur 69 allégations contre le sénateur Tower. Un monticule d’immondicités.
• En 2001, la nomination par le président George W. Bush (fils) de Linda Chavez au poste de secrétaire du Travail est tombée en disgrâce pour avoir offert un abri et un soutien financier à un immigrant sans papiers.
• Le président Barack Obama a dû lâcher le sénateur Tom Daschle nommé au poste de secrétaire à la Santé et aux services sociaux, coulé par des impôts impayés et de liens étroits avec le secteur des soins et de santé que son ministère doit réformer.
Aucune place à l’amateurisme, pas de précipitation. Le Sénat est le seul maitre de jeu. Il choisit le jour selon le calendrier des ses commissions. Plusieurs ministres de l’équipe sortante continuent à exercer leur fonction après la passation du pouvoir jusqu’à nomination du nouveau patron. Certains sont reconduits par le nouveau président, leur passage devant la commission sénatoriale n’est que protocolaire.
Ce passage est une opération difficile. Le candidat se prépare à l’avance. Les membres de la commission passent au peigne fin son histoire et celle des membres de sa famille. Il est malmené, à la merci et à la clémence de la commission. Il doit comprendre qu’il n’est tout simplement que le candidat du président. La nation attend de lui à travers ses représentants qui le questionnent et le pressent de les convaincre du bien fondé du choix présidentiel. Il doit mettre en avant ses qualités, ses capacités, sa maitrise des dossiers, et surtout son programme pour «rendre sa grandeur à l'Amérique» Make America Great Again tout le temps et toujours.
Le destin est incertain pour les nouveaux noms que le cdG tunisien a choisis. Ils doivent se présenter devant l’ARP le 26 janvier pour se voir confirmer ou infirmer leur nomination. Les enjeux entre les partis banalisent la portée du changement et le noient dans une éternelle menace de boycott qui ne fait qu’envenimer davantage une vie parlementaire insipide dominée par la division.
Mohsen Redissi
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