Vient de paraître: Propos sur la Constitution du 27 janvier 2014
Six ans après son adoption par l’Assemblée Constituante, la deuxième Constitution tunisienne postindépendance du 27 janvier 2014, demeure encore sous le microscope des juristes, des politologues, des politiciens, des médias et de chaque tunisien et tunisienne.Ce texte dont la préparation a duré environ trois ans, au-delà du consensualisme de façade qui a accompagné son adoption a montré, à maintes reprises, ses limites et a été source de blocages constitutionnels.
La Constitution de 2014 a souvent révélé plusieurs le flou de certaines de ses dispositions et l’incertitude de ses solutions. A titre d’exemple, la menace de chaos qui a régné pendant quelques heures lors de la fake news du décès du Président Béji Caid Essebsi le 27 juin 2019, ou encore le débat quiaaccompagné la démission du Chef du gouvernement, M. Elyes Fakhfakh, le 15 juillet 2020, pour annihiler les effets d’une motion de censure déposée contre lui, l’éventualité d’un remaniement du gouvernement Mechichi sitôt formé, l’affirmation du Président de la République qu’il est chef des armées et des forces sécuritaires, etc.
L’ouvrage Propos sur la Constitution du 27 janvier 2014 publié aux éditions Latrach, rassemble un ensemble d’articles et de contributions publiés par le Professeur Rafaâ Ben Achour réunis grâce à un remarquable travail de compilation et de classification de Mme Zouhour Ouamara, met en exergue différents aspects de cette Constitution et insiste sur les défaillances de l’ « ingénierie constitutionnelle » de ce texte fondateur de la Tunisie démocratique et pluraliste post révolution de 2010 – 2011.
L’ouvrage est réparti en cinq parties suivant la chronologie des publications.
La première partie intitulée « Préludes » couvre la période 2011-2013, c’est-à-dire la période précédant l’adoption de la Constitution de 2014 et couvrant les travaux de l’ANC. C’est ainsi que le professeur Ben Achour analyse la transition démocratique en Tunisie. Il part de quelques exemples de droit comparé pour arriver au cas tunisien. S’attardant sur ce dilemme entre légalité et légitimité, il expose comment la révolution de 2011 a été absorbée par le droit alors qu’en réalité, une révolution est par définition une interruption de la légalité.
Dans cette première partie l’attention est retenue par une analyse de la première petite constitution, à savoir le décret-loi n°2011-14 du 23 mars 2011 portant organisation provisoire des pouvoirs publics qui a marqué la suspension de la Constitution de 1959. La scène politique tunisienne balbutiait alors entre l’effervescence révolutionnaire et la nécessité de poser les jalons d’une nouvelle démocratie aussi stable qu’effective. On trouve dans cette première partie l’ampleur du débat juridique par lequel on est passé. On se rend compte que notre conscience citoyenne et patriote allait se façonner pour toujours, afin de passer d’une démocratie passive à une démocratie participative.
Dans la deuxième partieintitulée « Aspects substantiels de la Constitution de 2014 » l’auteur s’intéresse à divers aspects du contenu même de la Constitution. Rafaâ Ben Achour reconnaît les mérites des chapitres I et II de la Constitution et loue les avancées en matière de constitutionnalisation d’une somme de droits et de libertés consacrés, comme les droits ‘’ intimes’’ ou encore les libertés publiques. II souligne que la Constitution adhère dans sa globalité aux standards internationaux en matière des droits et libertés fondamentaux. Cependant, cela ne peut occulter les zones d’ombre que porte la loi fondamentale tunisienne soit dans l’absence de la constitutionnalisation de quelques droits comme le droit à un logement décent ou encore l’enclavement de quelques libertés comme la liberté de croyance et de conscience.
Dans cette partie on trouve également une analyse assez détaillée de l’instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois, les inconvénients de l’absence d’une cour constitutionnelle, la nature hybride du régime politique proche du régime d’assemblée, d’après le Professeur Ben Achour. Dans cette partie il expose les prérogatives attribuées au chef de l’Etat et au chef du gouvernement en soulignant les déséquilibres des rapports entre les pouvoirs. Dans cette partie, il analyse la notion d’immunité présidentielle et parlementaire, de sa nécessité mais également des abus qu’elle engendre.
Dans la troisième partieintitulée « la Constitution à l’épreuve de la pratique »,les Propos sont plus critiques, car l’auteur met en exergue les défauts, les failles et les limites qui se révèlent au fur et à mesure de l’application. Les retards de la mise en place de la Cour constitutionnelle d’abord, mais aussi des instances constitutionnelles indépendantes, duConseil supérieur de la magistrature et l’auteur de noter qu’une « une sorte de désenchantement s’est progressivement installée depuis et l’éventualité de sa révision[la Constitution]est de plus en plus évoquée ». Il devient clair qu’un blocage au niveau du fonctionnement des pouvoirs publics et la révision devient « impérieuse ». Il note que « théoriquement, il existe une tendance à considérer que la révision d’un texte juridique récent doit être évitée », mais il estime qu’un amendement pour assurer le bon fonctionnement d’un régime politique doit toujours prôner. Il pointe également le mode de scrutin et la nécessité de le revoir. Il s’appuie sur des exemples de droit comparé et explique comment ce mode de scrutin cause une instabilité taxée d’un luxe que la Tunisie ne peut pas s’offrir car il impacte directement la mise en place d’une démocratie pluraliste.
La quatrième partie intitulée « la révision nécessaire de la Constitution »enchaîne directement avec la nécessaire réforme du régime politique. Cette réforme englobe entre autres, la nécessité de doter le gouvernement de plus de moyens dans la prise de décision, l’assouplissement de la procédure de la délégation législative et la réforme des prérogatives des deux têtes de l’exécutif. Le professeur Ben Achour est conscient que la faisabilité de la révision est difficile dans les circonstances actuelles d’effritement et division politique.
Dans la cinquième partie intitulée« propositions pratiques » des projets d’articles révisés sont publiées. Il propose des amendements des articles 78, 81, 89, 92, 100,etc. Il propose également d’inclure un article sur« le tourisme parlementaire » ; un phénomène.
Ainsi, il faut œuvrer pour remédier aux différentes imperfections et blocages politiques. Comme le disait si bien l’auteur du contrat social J.J.Rousseau « Une saine et forte Constitution est la première chose qu'il faut rechercher; et l'on doit plus compter sur la vigueur qui naît d'un bon gouvernement que sur les ressources que fournit un grand territoire ».
Rafaa Ben Achour: Propos sur la Constitution du 17 janvier 2014 309 pages, Latrach Edition textes réunis par Zouhour Ouamara.
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