Notre planche de salut : la technologie pour rattraper le temps perdu
Par Hassen Kallel - Dans un climat économique et social morose avec une décroissance du PIB de 21% au deuxième trimestre, fragilisé par le contexte sanitaire, et une prévision de récession de 7% pour l’année courante, la Tunisie s’appauvrie et l’économie s’engouffre dans un labyrinthe dont l’issue est introuvable.
Loin de faire endosser ces performances médiocres suite à la crise du Covid19, les maux de l’économie sont plutôt structurels, conjoncturels et profondément politiques : Accablé par une dette publique abyssale atteignant 75,1 %(1) de la richesse nationale, un déficit public conséquent, conjugué à une instabilité politique chronique, l’exécutif navigue à vue et manque d’imagination pour sortir le pays de l’ornière. À part quelques mesurettes ici et là (dont le Startup ACT), sans portée majeurs pour l’instant, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 ont largement échoué à l’exercice : Améliorer la qualité de vie des tunisiens.
Il est vrai qu’il n’existe pas de recette miracle pour redresser la situation, mais une sortie de cette spirale vertigineuse est possible si les conditions de réussite sont réunies à commencer par l’audace et le courage. Car pour faire bouger les lignes, il faut être imaginatif et inventif et avoir surtout les reins solides pour affronter une délinquance économique qui aconcentré des pans entiers de l’économie sous la coupe d’une oligarchie au détriment de la population.
L’approche doit être globale et cohérente. Adossée à des plans décennaux et couplée à une stratégie de développement de long terme avec des objectifs chiffrés et atteignables par secteur.Il faut penser grand, avoir de grandes ambitions et aller fort et vite. A contrario, on avancera en reculant. Ceci peut se traduire par un nouveau pacte économique (NPE) qui trace les grandes lignes de la stratégie jusqu’à l’horizon 2050 par exemple et servira comme feuille de route pour les futurs gouvernements. Et pour établir ce plan, il faut se projeter dans le futur et commencer par répondre à des questions simples du type : Quelle Tunisie veut-on construire pour 2050 ? Quel indice de prospérité veut-on accéder ? Quel est le PIB/habitant (PPA) qu’on souhaite atteindre ? etc.
Pour accroître les chances de réussite de ce NPE, il faut impliquer toutes les forces vives du pays au tour d’un dialogue national ettrouver un dénominateur commun le plus consensuel.Personne ne doit avoir le monopole des idées, dont voici quelques-unes.
Modernisation administrative
Avec une administration défaillante, nous ne pouvons pas dégripper la machine productive et construire un pays moderne. Dans l’immédiat, il faut entamer un projet de loi de simplification administratives (par ministère) pour éliminer les barrières et autres autorisations archaïques qui freinent l’activité économique. Tous les secteurs doivent être repensés sans restriction. Il faut simplifier jusqu’au niveau le plus rudimentaire et faire confiance aux citoyens quant à leur implication dans ce mouvement : la copie conforme et autre signature légalisée à titre d’exemple doivent être bannies de toutes les administrations.
En parallèle, il faut lancer un vaste chantier de numérisation de l’administration. Généraliser les échanges électroniques interministériels et accélérer le projet [en cours] de l’identifiant fiscale unique qui doit être le référent de chaque dossier administratif. L’accès à distance à un service doit avoir un caractère obligatoire quand cela le permet (l’expérience des inscriptions scolaires est un parfait exemple).
Les entreprises du numérique tunisiennes doivent être au cœur de ce mouvement d’émancipation digital. Ce ne sont pas les compétences qui manquent.
Ces deux réformes vont contribuer à réduire la corruption généralisée et instaurer une première base de decashing massive.
Infrastructure de demain
En temps de crise, l’état doit assumer le rôle du premier investisseur en instaurant une politique volontariste de dépenses massives pour construire à tous va des bâtiments publics intelligents et connectés (hôpitaux, autoroutes, ports, etc.) pour, d’une part désenclaver les régions d’intérieur et en même temps tirer vers le haut les entreprises du BTP, gourmand en main d’œuvre, et moteur de l’économie. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut des projets à caractère symbolique qui font rêver les citoyens comme par exemple faire couler la rivière « Mejrda » au cœur de Tunis (Les grandes capitales sont en majorité irriguées par de grandes rivières) ou renommer la capitale « Carthage » et au passage reconstruire le port punique avec toutes les significations qui vont avec.On peut citer aussi la libération du transport maritime en encourageant la mise en place des croisières et des autoroutes de la mer entre les villes côtières, etc.
Agrotech généralisée
La sécurité alimentaire est la mère des combats pour une émancipation économique. En Tunisie, plusieurs politiques agricoles ont été expérimentées avec des résultats très mitigés. Le morcellement des terres et l’endettement des exploitants sont parmi d’autres les causes de l’échec.Récemment, des voix se sont élevées pour demander la distribution des terrains étatiques aux jeunes. L’expérience a montré que l’attribution à tout va des terres domaniales à vocation agricole à des jeunes aux chômages, sans financement ni accompagnement technique, aura comme conséquences des chômeurs endettés et des terres abandonnées. Désarmée, la majorité cède ou sous-loue leur parcelle.
Seule la technologie 4.0 a l’immense pouvoir de nous faire rattraper le temps perdu. Nous ne devons pas avoir honte de s’inspirer des pays pionniers dans ce domaine comme Israël. Démocratiser l’utilisation de l’agrotech (11 startup tunisiennes sont labellisées)pour compenser le faible rendement et la pluviométrie aléatoire et en même temps assouplir la législation pour autoriser les étrangers à exploiter les domaines perdus (avec l’apport du savoir-faire et de la devise qui en résulte) pourrait donner un coup de fouet au secteur.
Education de demain
Réformer le système éducatif aujourd’hui est une obligation absolue. Encore une fois le Hitech doit être au cœur du système. Distribuer à tous les élèves une tablette gratuite pour stimuler dès le jeune âge la magie de la technologie et généraliser l’éducation à distance, pourrait avoir un coût de l’ordre de 300 millions dinars (Tablette de 150 dinars pour plus de 2 millions d’élèves), un montant dérisoire si on sait que le remboursement des intérêts provisionné dans la LF 2020 avoisine la bagatelle 4 milliards de dinars2.
Pour financer ces projets, nous n’avons pas d’autres choix que de faire fonctionner la planche à billet, seule source de financement en ces périodes difficiles. Le déficit budgétaire ne sera que temporaire –modèle keynésien- et sera compensé par les entrées fiscales engendrées par cette croissance. L’inflation prendra une tendance haussière (limitée et maitrisable dans le temps) mais comme toute politique monétaire accommodante, c’est le prix à payer. Des sacrifices nous ne pouvons pas s’en échapper.
Un autre élément essentiel à la réussite, nous pouvons attribuer la gestion des chantiers d’infrastructure sous la houlette des militaires par exemple qui ont montré par le passé leur efficacité dans le respect rigoureux des échéanceset de la qualité du travail accompli (exemple de rgim mâtoug)
Bien sûr, ces quelques idées ne changeront pas le visage de la Tunisiemais insuffleront certainement une dynamique positive au sein de la population à condition de faire confiance à la jeunesse, longtemps marginalisée, et que la volonté politique soit au rendez-vous.
Hassen Kallel
1) LF 2020 (http://www.finances.gov.tn/fr/les-indicateurs/depenses)
2) Le remboursement des intérêts provisionné dans la LF 2020 est de 3762M DNT (soit 15,6% du budget)
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