Habiba Ezzahi Ben Romdhane: Le Covid-19 n’est pas une Pandémie, c’est une Syndémie
Par Habiba Ezzahi Ben Romdhane - Le 11 mars 2020, l’infection provoquée par le Sras -Cov-2 baptisé Covid-19, apparue en Chine en décembre 2019, a été officiellement qualifiée de pandémie par le Directeur Général de l’OMS. Depuis, elle a été traitée à travers les approches classiques des maladies transmissibles à grand potentiel de dissémination. L’OMS a incité et appuyé les Etats membres pour mettre en œuvre des plans de riposte et de résilience, notamment en adoptant les « Five Early »: détection précoce, déclaration précoce, recherche précoce des contacts, isolement précoce et traitement précoce des personnes contaminées. Des mesures radicales ont souvent été déployées pour stopper les ravages de la pandémie: couvre-feux, confinements, fermetures des frontières et interdiction des déplacements à l’intérieur d’un même pays. Tous les Centres de Contrôle et de Prévention des Maladies (comme le CDC d’Atlanta, ECDC Europe, celui de la Chine et le CDC Afrique) ont, très tôt, mobilisé leur savoir et leurs moyens pour enrichir les connaissances sur les investigations épidémiologiques et aider ainsi les pays à mieux gérer l’épidémie. Un peu partout, des équipes de recherche se sont engagées dans les essais thérapeutiques et d’énormes budgets ont été investis dans la découverte d’un vaccin contre ce nouveau virus.
Ces mesures extrêmes ont eu leur efficacité ; elles ont brisé la grande vague épidémique et donné lieu à un assouplissement des politiques de lutte contre le phénomène. La conséquence en a été une vive reprise de la pandémie partout dans le monde depuis plusieurs semaines.
Aujourd’hui, à l’échelle mondiale, le nombre de cas dépasse les trente-trois millions et celui des décès le million. Ce n’est là que la morbidité et la mortalité Covid-19 que les statistiques ont été en mesure d’évaluer. En vérité, le coût sanitaire est considérablement plus élevé: à la morbidité et à la mortalité du Covid, il faut ajouter celles du non recours aux soins pour les autres maladies et urgences médicales; celles qui relèvent de la crise économique et sociale sans précédent et, plus largement, de toutes les mesures de confinement ainsi que des restrictions à la mobilité des personnes, des biens et des services ainsi que des capitaux.
A l’échelle des nations, comme à l’échelle mondiale, nous n’avons pas encore établi le coût de cette épidémie Covid-19. Nous appréhendons à peine les pertes de PIB, l’ampleur des crises budgétaires et des pertes d’emplois. Nous avons une idée vague de la crise sociale, du creusement des inégalités et de ses effets sur l’explosion de la pauvreté, de la déscolarisation, en particulier celle des enfants des catégories populaires, des violences domestiques, du désarroi des familles face à la montée inédite de l’incertitude. Et comment appréhender les séquelles de la longue séparation des personnes qui s’aiment, de l’isolement des personnes en fin de vie et enterrées sans rite funéraire ?
Tous ces problèmes ont un coût immédiat ; mais leurs effets se prolongent au-delà de la durée de la pandémie car le temps difficile érode les capacités de résilience des systèmes, des entreprises et des êtres humains.
La Tunisie a payé un lourd tribut économique pour contrer le Covid-19, mais elle figure comme pays exemplaire dans sa stratégie comme dans ses résultats face à la diffusion de la pandémie: une perte de PIB de 21,6 % au deuxième trimestre 2020 qui la classe au 3e rang mondial, juste avant le Royaume Uni, (moins 21,7%) et le Pérou (moins 30,2%)(1) , certes, mais, en contrepartie, le plus faible nombre de décès par million d'habitants à l’échelle mondiale.
Aujourd’hui, le vent a tourné : nous faisons face à une deuxième vague sévère: dans un travail qu’il vient de livrer, le Pr Dhafer Malouche nous montre que le taux de croissance des cas et des décès par Covid-19 enregistrés en Tunisie est parmi les plus élevés dans le monde; le deuxième, après la Birmanie, avec un taux de croissance de + 67,9 % des cas infectés et + 43,6 % des décès.
Ce n’est là que la partie apparente d’un phénomène complexe dont les effets sanitaires sont considérablement plus graves et plus étendus.
En effet, le virus de la Covid-19 est un nouvel agent pathogène ; tous les jours, nous découvrons une de ses multiples facettes qui impose une révision des conduites et des mesures mises en œuvre. Si tous les pays n’ont pas adopté la même stratégie au début de la pandémie, ils ont tous adopté la leur en fonction de l’évolution de leur situation épidémiologique et de l’impact des mesures entreprises. Ils ont, chacun selon ses moyens, concentré leurs efforts sur cette pandémie aux dépens des autres problèmes de santé: l’essentiel des investigations et des moyens a été orienté sur le virus, les personnes qui en sont affectées et les moyens pour arrêter sa transmission. La prise en charge des autres pathologies, a été « mise en veilleuse »
Or, aucun autre agent pathogène n’a autant interféré que le Sras-Cov-2, responsable de la pandémie Covid-19 avec les autres grands problèmes sanitaires et sociaux que connaissent aussi bien les pays riches que les pays pauvres ; à savoir les maladies non transmissibles et les inégalités sociales dans l’accès aux soins.
Dans une de ses dernières publications, Richard Horton(2), Editeur en chef du Journal The Lancet , nous propose de quitter cette approche étriquée, centrée sur la stricte pandémie du Covid-19, pour une démarche « syndémique », dans la lignée du travail développé par Merrill Singer(3) dans le milieu des années 1990. La « syndémie » est une approche holistique envisageant une épidémie comme un entrelacement de problèmes de santé qui se renforcement mutuellement les uns les autres.
C’est là un changement épistémologique majeur par rapport à la démarche aujourd’hui en cours dans le monde.
Plus généralement, une approche centrée sur un aspect d’un problème, est forcément une perspective unidimensionnelle; elle ignore les autres dimensions qui déterminent la réponse du système global de santé aux différentes tensions auxquelles il est soumis. En combinant changements épidémiologiques et changements systémiques, sociétaux, institutionnels et individuels, la démarche « syndémique » devient le concept à partir duquel s’analysent les capacités des systèmes de santé à s’adapter à l’évolution de la situation épidémiologique et aux problèmes émergents, ainsi que sa résilience face aux tensions provoquées par les exigences d’efficacité et d’équité.
Habiba Ezzahi Ben Romdhane
1) Hasel J.Which Countries have Protected BothHealth and the Economy in the Pandemic? September 01, 2020 Ourworldindata.org/covid - health-economy
2) Horton R. www.thelancet.com Vol 396 September 26, 2020
3) Merrill Singer. Introduction to Syndemics: A Systems Approach to Public and Community Health., San Francisco, CA, Jossey-Bass, 2009
- Ecrire un commentaire
- Commenter