Thouraya Jeribi: La magistrate promue ministre de la Justice (Vidéo)
Par Fatma Hentati - Dans ses nouveaux bureaux ultramodernes qui donnent, tout près du Palais de Justice, sur le boulevard du 9-Avril, elle trône majestueusement. Thouraya Jeribi, première femme tunisienne nommée ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, porte une incarnation aux multiples dimensions. Elle succède, après un bref intermède assuré par son prédécesseur immédiat Karim Jamoussi, à son propre frère Ghazi Jeribi (2016-2018), mais ne siège pas sur le même fauteuil. Les nouveaux locaux lumineux, sobres, soigneusement aménagés, fonctionnels, rompent avec le cadre historique froid et rigoureux de la vieille bâtisse du Boulevard Beb-Bnet.
Juste derrière, l’immeuble en verre, flambant neuf, dédié au ministre et à son cabinet le troisième étage. Les bureaux sont spacieux, les meubles modernes, la mobilité fluide entre espaces de travail, d’accueil et de réunion. Un signal de modernité qui s’étend à l’ensemble du secteur judiciaire à travers le pays.
Thouraya Jeribi est dans le casting international. Grande de taille, le teint et les cheveux clairs, des perles en boucles d’oreilles, un collier de perles autour du coup et une tenue sobre et élégante : son code vestimentaire est celui d’une haute magistrate. Le style justice est manifeste : veste claire sur robe noire, tailleur avec chemisier, parfois plissé, blanc, quand il n’est pas rouge ou noir...
Officiant dans des tribunaux ou à l’Institut supérieur de la magistrature (ou encore au sein de l’administration judiciaire), Thouraya Jeribi a toujours alterné ces deux statuts, en robe ou en tailleur, depuis son intégration en 1987 au ministère de la Justice.
Hédi Saïed en mentor
A l’époque, le recrutement ne se faisait pas sur concours écrit, mais oral, sur dossier et surtout un entretien déterminant. Le hasard et la chance voudront que la future ministre planche devant l’éminent magistrat Hédi Saïed, premier président de la Cour de cassation (qui sera élu président de l’Association internationale des magistrats). Admise, elle aura comme mentor le juge Saïed.
Thouraya Jeribi voit ainsi son rêve d’enfant se réaliser. Sans jamais croire qu’il s’accomplira jusqu’au poste de ministre de la Justice. Dans cette famille originaire du sud, établie dans la banlieue sud de Tunis (Radès-Ezzahra), le père, Ali, militant nationaliste, inculquera à ses huit enfants (cinq filles et trois garçons) les valeurs du patriotisme, de la dignité et de la liberté. Tout comme son frère qui n’est autre que le père de celle qui deviendra l’icône de la révolution, Maya Jeribi.
Pour la jeune Thouraya, le parcours de son aîné, Ghazi, juriste compétent, la fascinait. Se soutirant à toutes les pressions, elle fait des études de droit. A 22 ans seulement, elle avait décroché sa licence en droit (1982), enchaînant en 1984 avec un certificat d’aptitude à la profession d’avocat (Capa). Le barreau ne l’attirait pas. Elle rejoindra l’équipe formée par Mohamed Salah Bouaziz, directeur à la Banque centrale, chargée de créer la Compagnie tunisienne pour l’assurance du commerce extérieur (Cotunace). Statuts, procédures, contrats, mode opératoire: le challenge juridique était attractif, sans pour autant détourner Mme Jeribi de sa vocation naturelle pour la magistrature.
Le plus grand tribunal de Tunisie
Commencera alors son long et riche parcours à travers les tribunaux de Tunis, Monastir et Sousse, entre tribunaux de première instance, cour d’appel et cour de cassation, mais aussi l’ISM. En septembre 2016, Thouraya Jeribi sera promue présidente du Tribunal de première instance de Tunis (TPI), l’un des postes les plus prestigieux et les plus fastidieux. A lui seul, son périmètre, qui compte plus de 200 magistrats, 300 greffiers, et coiffe les pôles judiciaires économique et financier et de lutte contre le terrorisme, traite plus de la moitié de toutes les affaires en justice devant les tribunaux de Tunisie. Une lourde responsabilité qui prépare cependant à de hautes fonctions.
Ce qui n’a pas changé, ce qui a changé
Arrivée tôt le matin au Palais de Justice, Thouraya Jeribi n’est pas prête à quitter son cabinet avant 20 heures, sans relâche. Elle n’est pas la seule, un grand nombre de magistrats sont soumis au même rythme. Y compris des femmes magistrates qui constituent depuis des années déjà le plus gros des effectifs. Mère de deux enfants, Mme Jeribi ne les a pas vus grandir. Heureusement que son mari, ingénieur de formation, exerçant dans l’agriculture, peut moduler son emploi du temps pour s’en occuper lorsque la maman n’est pas disponible. Les deux enfants, une fille et un garçon, eux, n’ont pas été attirés par le droit. Ils lui ont préféré la médecine où ils poussent un bon parcours.
Thouraya Jeribi a-t-elle été surprise par sa nomination en tant que ministre, et de la Justice de surcroît ? Sans doute. Elle ne s’y attendait pas, mais a été immédiatement séduite par le challenge qui est devenu le sien. Rien ou presque n’a changé depuis lors dans sa vie quotidienne, à quelques détails près. Toujours le même parcours qui la mène au boulevard 9-Avril, en poussant juste de quelques mètres pour accéder au siège de son département. Toujours une journée bien remplie, du matin au soir. Mais, avec des déplacements pour aller à Carthage, la Kasbah ou au Bardo, et des visites à des prisons, des chantiers d’édifices judiciaires en cours et autres.
Fatma Hentati
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Ce que j'aimerais savoir, c'est quelle est le rôle exact d'un ministre de la justice et surtout quel est son périmètre d'action et plus encore quels sont ses rapports avec les syndicats de magistrats. A-t-il la possibilité de prévenir d'éventuelles manœuvres de corruption et peut-il y mettre un terme. En gros, quels sont ses marges de manœuvre.