News - 14.12.2025

Fethi Zouhaïr Nouri, Gouverneur de la Banque centrale : Les quatre piliers d’un mouvement collectif attendu par l’économie tunisienne

Fethi Zouhaïr Nouri, Gouverneur de la Banque centrale : Les quatre piliers d’un mouvement collectif attendu par l’économie tunisienne

« Notre pays a besoin d’une nouvelle génération d’entrepreneurs, d’une nouvelle génération de projets, et d’une nouvelle génération de financements. Ce trio – Entrepreneur, Projet, Financement – est la clé de la prochaine étape de notre développement. » C’est ce qu’a affirmé le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Fethi Zouhaïr Nouri, lors de la clôture samedi 13 décembre à Sousse, des Journées de l’Entreprise organisées par l’IACE. « Notre pays n’est pas en déficit de talents ; il est en attente d’un mouvement collectif. Ce mouvement repose sur quatre piliers : la souveraineté économique, la dignité du travail, l’investissement productif, et une gouvernance rigoureuse qui combat la corruption et le gaspillage—dans le respect strict du mandat de stabilité de la Banque Centrale », a-t-il ajouté.

« Depuis mon arrivé à la BCT, a indiqué le Gouverneur Nouri, notre action s’articule autour de quatre principes directeurs : chercher la performance ; exercer la prudence ; cultiver la patience ; et assumer pleinement notre responsabilité. »

Il ne manque pas de poser une question essentielle :  « Comment la Banque Centrale peut-elle soutenir la liquidité du système bancaire et préserver la dynamique du crédit, tout en accompagnant l’État dans ses tensions de trésorerie ? » Depuis 2011, souligne-t-il, la Tunisie a été exposée à un choc exogène d’une intensité rare, dont la dynamique a progressivement engendré une crise systémique—politique, sociale, économique et culturelle. Dans ce contexte, et pour faire face à une montée soutenue des demandes sociales et économiques, les gouvernements qui se sont succédé ont mobilisé l’endettement comme principal instrument d’ajustement. Le cycle 2021–2025 a, en particulier, été confronté à une forte concentration d’échéances : le service de la dette extérieure à long terme de l’État a atteint 43 8 milliards de dinars (soit près de 54 % des emprunts contractés sur la période 20112025), tandis que le service de la dette publique a dépassé 24 milliards de dinars sur 2024–2025. Cette accumulation sur un horizon resserré a accentué les tensions de trésorerie, renforçant le recours au financement intérieur, notamment par une intervention exceptionnelle de la Banque Centrale au profit du Trésor. Pour autant, la Banque Centrale ne se désengage pas de la stabilité financière de l’État. Son action s’inscrit dans un cadre légal et temporel strict : accompagner la gestion des tensions de court terme, tout en affirmant que la soutenabilité requiert des réponses structurelles—rationalisation de la dépense, élargissement de l’assiette fiscale et restauration de la confiance. »

Décryptage

Le Gouverneur adresse un message central : la relance durable de l’économie tunisienne passe impérativement par un redressement profond de l’investissement productif, soutenu par une action concertée des entreprises, des banques et de la Banque Centrale. La Tunisie souffre d’un déficit chronique d’investissement, tant en volume qu’en qualité. Le financement reste insuffisamment orienté vers l’économie réelle et les projets productifs. Face aux incertitudes et aux contraintes existantes, il affirme qu’aucune trajectoire de redressement n’est possible sans une transformation profonde du rapport à l’investissement.

Le diagnostic est clair : le taux d’investissement national, autour de 16 % du PIB, demeure trop faible pour soutenir la croissance, l’emploi et la modernisation de l’économie. De plus, le financement bancaire reste largement biaisé vers le court terme. Cette situation traduit une préférence pour la gestion de trésorerie et la consolidation des positions existantes plutôt que pour la prise de risque sur de nouveaux projets. À cela s’ajoutent une faible utilisation des lignes de financement internationales dédiées aux PME et un sentiment largement partagé que « tout est difficile » pour celui qui souhaite investir.

Pour le Gouverneur, ce cercle vicieux doit être brisé. La sortie durable des contraintes économiques ne viendra ni de la consommation, ni de l’endettement, mais de l’investissement productif, notamment dans l’industrie, les services à valeur ajoutée, l’agriculture moderne, le digital, la transition énergétique et l’économie de la connaissance.

Il insiste sur le caractère vital de l’investissement dans un monde marqué par de profondes ruptures technologiques, énergétiques et géopolitiques. Dans ce contexte, ne pas investir équivaut à reculer. Le risque majeur pour l’entreprise n’est plus de prendre des risques maîtrisés, mais de rester immobile, au risque de perdre des opportunités d’exportation, de voir partir les compétences et de laisser les idées s’enliser.

S’adressant aux chefs d’entreprise, le Gouverneur appelle à une nouvelle culture de l’investissement. Il les invite à présenter des projets bancables, transparents et ambitieux, à mesurer leur réussite par la qualité de leur portefeuille d’actifs productifs, et à accepter le risque comme une composante normale, analysable et partageable de l’activité économique. Il souligne que les projets d’investissement en Tunisie sont excessivement autofinancés, révélant une sous-utilisation des outils financiers disponibles, et encourage à concevoir de véritables architectures financières mobilisant plusieurs sources de financement.

Aux banques, le Gouverneur demande d'évoluer d’intermédiaires financiers vers de véritables architectes du développement. Tout en reconnaissant leurs contraintes prudentielles, il a rappelé qu’aucune économie ne peut se développer sans un secteur bancaire qui finance courageusement l’investissement. Il a dénoncé le dialogue de blocage persistant entre entreprises et banques et appelé à le dépasser, la Banque Centrale se déclarant prête à accompagner une reprise saine du crédit orientée vers les investissements productifs.

Concernant le rôle de la Banque Centrale, le Gouverneur a réaffirmé que la stabilité monétaire et financière est une condition indispensable de la confiance et de l’investissement. La politique monétaire prudente menée récemment a permis de maîtriser l’inflation, de stabiliser le dinar et d’améliorer la notation souveraine. Ces acquis constituent des leviers pour relancer l’économie réelle. La Banque Centrale joue également un rôle d’accompagnement à travers la modernisation de ses services, le soutien aux exportateurs, l’investissement dans le capital humain et la gestion prudente de la liquidité bancaire.

Le Gouverneur a proposé une nouvelle alliance entre entreprises, banques et Banque Centrale, fondée sur la transparence, l’ambition, l’innovation et la prise de risque maîtrisée. Il a appelé à passer d’une prudence défensive à une prudence dynamique.
 

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