Tunisie : Comment fait-on aujourd’hui pour se protéger des trafiquants d’antiquités ?
Cent quatorze pièces d’une grande valeur historique, dont des manuscrits du XVIIIe et XIXe siècles, ont été sorties du territoire tunisien dans la deuxième quinzaine de mars 2020, sans aucune autorisation officielle et en plein confinement dans le pays.
Sous le titre «Collection d’un dignitaire de la Cour du beylicale», ces pièces sont mis en vente à Paris sans aucun respect des conventions mondiales pour la protection du patrimoine archéologique. Déjà, la convention de l’Unesco de 1970, contre l’importation, l’exportation et le transfert illicite des biens culturels, est l’instrument de droit international le plus ancien et le plus universel pour arrêter ce type de vente. Ce texte appelle les États à se doter des normes et structures voulues afin de se protéger contre le trafic de biens culturels. La convention de l’Unidroit de 1995, sur les biens culturels exportés illicitement, complète celle de 1970 sur l’aspect plus précis de la restitution des œuvres historiques et archéologiques volées. Ces conventions s’appliquent en réalité aux vestiges, objets ou toutes autres traces de manifestations humaines qui témoignent du passé et dont les principales sources d’information sont constituées par des fouilles et des découvertes. Les pays où ces conventions sont entrées en vigueur (dont la France et la Tunisie) acceptent automatiquement de prendre les mesures nécessaires afin de protéger les biens d’intérêt archéologique et historique.
Pour la réalité du terrain, le patrimoine archéologique et historique tunisien subit depuis quelques années des attaques sans précédent. Son anéantissement à des fins matérielles est devenu une arme pour quelques réseaux mafieux de trafiquants d’antiquités. Ce trafic des pièces archéologiques fait quant à lui appel à des organisations plus structurées. Quand il implique des fouilles sauvages notamment, les investissements requis comprennent le recrutement d’experts et d’ouvriers et l’achat d’équipements pour l’extraction. Ces fouilles peuvent aussi impliquer la corruption des quelques organes officiels. Mais sur le plan socio-culturel, la société tunisienne prend de plus en plus conscience du fait que le vol et le trafic de biens historiques constituent un problème majeur. Mais ce sont surtout les objets importants de point de vue archéologique, dont la valeur peut être très élevée, qui retiennent l’attention médiatique.
Il est difficile d’estimer de façon fiable l’ampleur du commerce illicite des antiquités dans la Tunisie postrévolutionnaire. Cependant, on continue de constater que des pillages, parfois de grande ampleur, ont lieu dans les régions marginalisées de l’intérieur du pays. Récemment, certains indices montrent que le trafic d’antiquités est lié à d’autres commerces illicites auxquels la criminalité organisée participe. De tels liens ont notamment été observés avec la contrebande de drogues et d’armes, la violence, la corruption et le blanchiment d’argent. Pourtant, face à cette menace croissante à l’encontre de ce patrimoine historique de nombreux acteurs se sont élevés en rempart à ces actes pour tenter de préserver ce qui reste de ce patrimoine archéologique et historique. Ainsi, de nombreux fonctionnaires et enquêteurs contribuent sur place au quotidien à mettre en sécurité les pièces des musées menacés de l’intérieur du pays. En parallèle à cela, de nombreuses institutions nationales travaillent en permanence à des solutions pour lutter contre ce fléau.
Parallèlement à ce renforcement de la répression, des rapprochements très efficaces sont intervenus entre les différentes administrations. Elles favorisent ainsi les collaborations et les échanges par des actions de sensibilisation à la fragilité du patrimoine archéologique et des risques encourus par ceux qui contreviennent aux dispositions de la loi. Elles sont également menées auprès des professionnels de la culture, des services de la Garde nationale, de police, de la douane, des parquets, mais aussi auprès des citoyens.
Être à la hauteur des attentes des Tunisiens mais aussi de leurs partenaires internationaux demande non seulement des décisions fortes et un travail méthodique mais aussi un vrai changement de logiciel pour la gestion du patrimoine historique du pays. Dans cette optique, plus d’une réforme profonde est à envisager, à commencer par la restructuration des établissements en charge du patrimoine, la mise à niveau des ressources humaines, l’entrée de plain-pied dans l’ère du digital et de l’audiovisuel appliqués au patrimoine et la révision du mode de financement. Si à ces axes majeurs s’ajoutaient une véritable éducation au patrimoine et une communication respectueuse des citoyens, le patrimoine historique tunisien deviendrait assez rapidement et à peu de frais, un levier majeur du développement durable.
Mohamed Arbi Nsiri
Historien / Université Paris-Nanterre
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