Hatem Masmoudi - Immunité et réinfection par le nouveau coronavirus: entre mythe et réalité
Par Hatem Masmoudi.Professeur d’Immunologie à la Faculté de Médecine de Sfax - Il est bien connu qu’après toute infection virale ou autre, le système immunitaire et après s’être débarrassé de l’intrus/l’agent pathogène, garde en mémoire ses antigènes caractéristiques et met en place une immunité protectrice sous forme d’anticorps spécifiques et de lymphocytes B et T mémoire à longue durée de vie.
Dans le cas du Covid-19, cette règle générale a été mise en doute par les annonces itératives de plusieurs cas de réinfection observés chez des malades déclarés guéris. Ces annonces, parues dans les rapports de certains CDC ("Center of Disease Control") notamment celui de la Corée du Sud, et/ou relayées dans les médias internationaux ont exacerbé la peur de ce nouveau virus parmi les gens, puisque même une fois guéri, après avoir été infecté et malade, on n’était pas sûr d’être immunisé et on risquerait de retomber malade ! Les notes et recommandations de l’OMS ajoutées aux déclarations de certains responsables politiques internationaux de très haut rang, n’ont fait qu’attiser cette angoisse générale.
En fait et comme la pandémie du Covid-19 est toute récente, il est encore trop tôt pour avoir une idée exacte sur la durée et l’efficacité de l’immunité et de la mémoire immunitaire acquises après infection par le nouveau corona virus (SARS-Cov-2). Cependant et compte tenu des très fortes similitudes avec le bien connu coronavirus SARS-Cov (-Corona Virus), responsable de l’épidémie de SARS ("Severe Acute Respiratory Syndrome") de 2002-2003 en Chine, il est possible d’avoir une idée en se basant sur les données et l’expérience accumulées avec ce virus.
En effet, Liu et al. (Ref 1) ont suivi pendant 24 mois les anticorps anti-SARS-Cov chez 56 malades convalescents du SARS. Les anticorps IgG (Immunoglobulines G) spécifiques et les anticorps neutralisants étaient hautement corrélés. Leurs taux atteignaient leur pic vers le 4ème mois suivant le début des symptômes puis commençaient à décroitre à partir du 18ème mois. Au 24ème mois, les anticorps IgG et les anticorps neutralisant étaient toujours détectables chez 88,2% des sujets suivis. En prolongeant la période d’étude jusqu’à 3 ans, Cao et al. (Ref 2) ont observé que les anticorps IgG et les anticorps neutralisants étaient présents respectivement dans 74,2% et 83,9% des cas au bout de 36 mois. En suivant 176 malades convalescents du SARS pendant 3 ans, Wu et al. (Ref 3) ont montré que les anticorps IgG spécifiques restaient présents chez 93,9% des anciens malades après 1 an, 89,6% après 2 ans et 50% après 3 ans.
Anna Petherick (Ref 4), dans son «World Report» du Lancet du 4 Avril 2020, cite même l’équipe de Wang qui, en étudiant la durée de l’immunité acquise après infection par les virus SARS et MERS ont observé qu’un malade survivant du SARS avait des anticorps spécifiques 17 ans après, plus encore ces anticorps avaient encore un pouvoir neutralisant in vitro.
D’ailleurs et dans une récente étude expérimentale sur le singe, l’équipe de Bao et al. (Ref 5) a bien montré que l’immunité acquise après la primo-infection par le SARS-Cov-2 protège l’animal contre les infections ultérieures. Les 4 singes macaques qu’ils ont infecté avec le virus SARS-Cov2 étaient tombés malades avec une pneumonie, des lésions histo-pathologiques et la réplication virale avait bien eu lieu dans le nasopharynx, les poumons et les intestins. Après la guérison confirmée par la PCR négative et la présence d’anticorps neutralisants, deux des 4 singes ont reçu la même dose de virus qu’initialement, aucun d’eux n’a montré de signes de rechute de la maladie et leurs PCR naso-pharyngée et anale sont restées négatives.
Dans l’éditorial de la revue Nature Immunology Review où elle a, entre autres, présenté cette étude de Bao et al., Miyo Ota (Ref 6) conclue que l’immunité acquise après une primo-infection par le SARS-Cov-2 devrait protéger contre les expositions ultérieures au virus.
De son côté et dans son article du Lancet d’Avril dernier (Ref4), A. Petherick explique que les virologues s’accordent pour dire que les cas de réinfection rapportés par les médias sont le plus vraisemblablement dus à des résultats de RCR erronés et souligne que certains auteurs pensent même que les personnes qui produisent des anticorps contre un coronavirus donné sont probablement protégées et immunisées à vie !
Dans le même ordre d’idées, Javard Alizargar (Ref 7) rappelle, dans une lettre à l’éditeur récemment parue dans JMFA, qu’en Corée du Sud, la règle appliquée pour déclarer un malade guéri est 2 PCR négatives à 24 heures d’intervalle et insiste sur le fait qu’il faudrait être plus prudent avant de déclarer un malade réellement guéri du Covid-19.
A ce titre, il est important de noter que les 2 seuls articles ayant à ce jour rapporté des cas de réinfection ont bien pris soin de noter le très faible cas de malades rapportés (4 seulement dans chaque étude) et l’éventualité de résultats faussement négatifs de la PCR et de suggérer de prendre un peu plus de recul avant de déclarer un malade définitivement guéri et non contagieux (Ref 8, 9).
Au vu de ces observations, il est donc permis de penser que l’immunité acquise après infection avec le SARS-Cov-2 doit être protectrice pendant plusieurs années chez la plupart des patients guéris. On est d’autant plus en droit d’être rassuré qu’il semble que bon nombre parmi nous serions déjà protégés contre le SARS-Cov-2 par les anticorps et lymphocytes B et T mémoire que nous avons déjà produits et gardés au décours des rhumes que nous faisons chaque année !
C’est l’immunité croisée qui s’explique tout simplement par les très fortes similitudes entre les sites antigéniques visés par les anticorps neutralisants (sur la protéine S notamment) au niveau du SARS-Cov-2 et d’autres coronavirus connus responsables de rhumes saisonniers.
En effet et dans une toute récente étude (encore "under reviewing"), Hoffmann et al. (Ref 10) ont montré que les anticorps neutralisants anti-SARS-Cov d’un malade convalescent du SARS pouvaient bloquer in vitro l’entrée du SARS-Cov-2 à l’intérieur des cellules cibles, ce qui illustre bien une potentielle immunité protectrice croisée entre les 2 virus.
De plus et dans une récente étude soumise pour publication dans Cell, Grifoni et al. (Ref 11) ont remarqué que les lymphocytes T CD4+ spécifiques du SARS-Cov2 étaient présents chez 40 à 60% des sujets contrôles (des personnes qui n’ont pas été infectées par le SARS-Cov2), ce qui suggère fortement l’existence d’une immunité croisée entre le SARS-Cov-2 et les coronavirus communs responsables du rhume hivernal.
Dans une étude similaire, Braun et al. (Ref 12) ont montré que les lymphocytes T CD4+ spécifiques de la protéine S du SARS-Cov2 étaient présentes dans le sang circulant de 83% des patients Covid-19 mais aussi chez 34% des sujets sains qui n’ont jamais été infectés par le virus. Si ces résultats se confirment, cela voudrait dire que près du tiers parmi nous sommes déjà immunisés contre le SARS-Cov-2 grâce aux anticorps et lymphocytes mémoires que nous avons produits en réponse aux infections antérieures par l’un ou l’autre des 4 coronavirus responsables des rhumes d’hiver.
En conclusion, on peut dire que l’immunité acquise après une primo-infection avec le nouveau coronavirus, non seulement qu’elle assure une protection durable chez les personnes ainsi immunisées, mais chaque nouvelle exposition au coronavirus devrait renforcer et prolonger encore plus leur mémoire immunitaire comme le ferait un rappel de vaccin. On est d’autant plus en droit d’être rassuré qu’il semble que près du tiers de la population générale est déjà protégé contre le nouveau coronavirus grâce à l’immunité croisée avec les coronavirus communs impliqués dans les rhumes saisonniers.
Hatem Masmoudi
Professeur d’Immunologie à la Faculté de Médecine de Sfax
Chef du Laboratoire d’Immunologie du CHU Habib Bourguiba de Sfax
Références :
1. Wei Liu , Arnaud Fontanet, Pan-He Zhang, Lin Zhan, Zhong-Tao Xin, Laurence Baril et al.
Two-year Prospective Study of the Humoral Immune Response of Patients With Severe Acute Respiratory Syndrome. The Journal of Infectious Diseases. 2006 Mar15;193(6): 792-5.doi:10.1086/500469.
2. Wu-Chun Cao, Wei Liu, Pan-He Zhang, Fang Zhang, Jan H Richardus. Disappearance of antibodies to SARS-associated coronavirus after recovery. N Engl J Med.2007;357: 1162– 1163.
3. Wu L.P., Wang N.C., Chang Y.H., Tian X.Y., Na D.Y., Zhang L.Y. Duration of antibody responses after severe acute respiratory syndrome. Emerging Infectious Diseases.2007;13 (10):1562–1564.doi: 0.3201/eid1310.070576.
4. Anna Petherick. Developing antibody tests for SARS-CoV-2. The Lancet, Vol395, April 4, 2020,P:1101-1102.
5. Linlin Bao, Wei Deng, Hong Gao, Chong Xia, Jialyi Liu, Jing Xue et al. Reinfection could not occur in SARS-CoV-2 infected rhesus macaques. BioRxiv. doi.org/10.1101/2020.03.13.990226.
6. Miyo Ota. Will we see a protection or reinfection in Covid-19? Nat Rev Immunol. 2020 Apr 17:1. Doi:10.1038/s41577-020-0316-3.
7. Javad Alizargar. Risk of reactivation or reinfection of novel coronavirus (Covid-19). Journal of the Formosan Medical Association, doi.org/10.1016/jfùa.2020.04.013.
8. Lan Lan, Dan Xu, GuangmingYe, Chen Xia, ShaokangWang, Yirong Li, Haibo Xu. Positive RT-PCR test results in patients recovered from COVID-19. JAMA, April 2020 Volume 323, Number 15.
9. Yan Chen, Weizhi Bai, Bin Liu, Jian Huang, Irakoze Laurent, Wuquan Deng, Xiaoqiu Xiao.
Re-evaluation of Nucleic Acid Retested Positive Cases in the Recovered Covid-19 Patients: Report from a Designated Transfer Hospital in Chongqing, China. DOI: 10.21203/rs.3.rs-17321/v1 Research Square: Preprint.
10. Markus Hoffmann, Hannah Kleine-Weber, Nadine Krüger, Marcel Müller, Christian
Drosten, Stefan Pöhlmann. The novel coronavirus 2019 (2019-nCoV) uses the SARS-coronavirus receptor ACE2 and the cellular protease TMPRSS2 for entry into target cells. BioRxiv, doi.org/10.1101/2020.01.31.929042.
11. Alba Grifoni, Daniela Weiskopf, Sydney I. Ramirez, Jose Mateus, Jennifer M. Dan, Carolyn Rydyznski et al. Targets of T Cell Responses to SARS-CoV-2 Coronavirus in Humans with Covid-19 Disease and Unexposed Individuals. Cell (2020), doi.org/ 10.1016j.cell.2020.05.015.
12. Julian Braun, Lucie Loyal, Marco Frentsch , Daniel Wendisch, Philipp Georg, Florian Kurth et al. Presence of SARS-CoV-2-reactive T cells in Covid-19 patients and healthy 2 donors. medRxiv, doi.org/10.1101/2020.04.17.20061440.
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Oui il est tout à fait clair qu'on ne peut se débarrasser d'un virus (momentanément comme la grippe ou définitivement comme la rubéole) que grâce à notre systéme immunitaire garant de l'ordre et de la sécurité biologique. Pour le Covid 19 on attend avec impatience la fin de l'année , s'il n'y a pas de 2ème vague, c'est que la population s'est immunisée naturellement contre ce virus grâce aux formes peu symptomatiques (rhume, réactions croisées avec d'autres coronavirus) et on aura des tests sérologiques plus fiables pour le prouver à ce moment là. Merci pour cette mise au point Dr Masmoudi !
Oui cette approche est envisageable, non pas uniquement pour la Tunisie ;probablement régionale (Maghrébine),reste bien sur à vérifier plus tards par rapport au reste du monde, essentiellement les pays infectés par la même souche que la notre