News - 12.05.2020

Makram Montacer - Distanciation sociale en Tunisie : Analyse de la première période mars - avril 2020

Makram Montacer - Les effets de la distanciation sociale sur la pandémie du Covid-19 en Tunisie: Analyse de la période allant du 4 mars au 23 avril 2020

Par Makram Montacer Enseignant-Chercheur à l’ISG de Tunis - Il semble que la Tunisie arrive globalement à bien maîtriser l’évolution de la pandémie du Covid-19 depuis l’annonce officielle du premier cas le 4 mars 2020. En effet, le pays a enregistré 918 cas Covid -19, le 23 avril 2020 avec 190 cas de rétablissement et 38 décès.

En effet, consciente de la fragilité de son système sanitaire face à une pandémie qui nécessite des moyens médicaux importants, la Tunisie a mis en place, très tôt, une panoplie de mesures visant à limiter la propagation du corona virus. Les autorités ont décidé la fermeture des établissements d’enseignement primaire, secondaire et universitaire le 12 mars. Un couvre-feu de 18h00 à 6h00 du matin, visant à limiter les attroupements, a été décrété le 17 mars et enfin un confinement national total a été décrété le 20 mars. L’ensemble de ces mesures sont en vigueur au moins jusqu’au 10 mai 2020.

L’objectif de ces mesures est de réduire le plus possible le contact entre les citoyens afin de limiter la propagation d’un virus qui semble avoir un taux de propagation assez élevé (de nombreuses études cliniques et économétriques semblent confirmer qu’une personne infectée pourrait contaminer entre 3 et 6 personnes).

A l’heure où l’effervescence est à son comble au sein de la communauté scientifique afin de cerner les modalités de transmission du virus, sa durée de vie, son mode de reproduction, … l’enjeu dans tous les pays du monde est de prévoir l’évolution du nombre de cas Covid -19 afin de mettre en place de stratégies et de politiques cherchant à ralentir la propagation afin d’éviter la saturation des unités médicales et par conséquence réduire le nombre de décès.

Sur le plan économique, le confinement total sur une période d’un mois et demi risque de coûter plus de 4 points de croissance au pays. Le prolongement des mesures de confinement risquerait d’aggraver une situation économique déjà très fragilisée depuis 2011. Bien connaitre l’évolution de la pandémie donnerait une longueur d’avance aux autorités pour une éventuelle reprise où encore pour une alternance de périodes de confinement et de déconfinement qui limiterait à la fois les conséquences sanitaires et économiques.       

Dans ce papier nous avons essayé d’analyser l’évolution de la pandémie du Covid -19 en Tunisie compte tenu des données officielles publiées quotidiennement relatives aux cas positifs recensés, aux cas de personnes infectées rétablies et aux cas des infectés décédés. L’objectif était de mesurer les effets des politiques mises par les autorités afin de limiter la propagation de la pandémie. Enfin nous avons essayé de chercher à prévoir les tendances futures de la pandémie afin d’éclairer les décideurs sur les mesures futures à prendre quant à une reprise partielle ou totale.  

La méthodologie utilisée dans ce papier se rapporte aux premiers modèles utilisés dans les analyses épidémiologiques, à savoir les modèles compartimentaux déterministes. Ces modèles cherchent à diviser la population nationale en des compartiments où des proportions de la population transitent d’un compartiment à un autre selon des paramètres que nous avons cherché à déterminer.

Nous avons fait appel à une variante des modèles SIR (Susceptible, Infected, Recovered) qui prend en considération en plus des personnes susceptibles, infectées, rétablies et les personnes décédées (D). Ce modèle est connu sous le nom du modèle SIRD à 4 compartiments.

En épidémiologie, le nombre de reproduction de base (R0) est souvent avancé comme notion de base dans l’analyse des épidémies surtout à leurs débuts. Il permet de voir si l’épidémie va se propager et devenir une pandémie ou non. R0 est associé au nombre moyen de second cas à la suite d’une introduction d’un cas infecté, pendant sa période d’infection, dans une population saine.

La méthodologie adoptée dans ce papier a consisté en la construction d’un simulateur SIRD qui nous a permis de prévoir le nombre de cas Infectés, Rétablis et Décédés afin qu’ils se rapprochent le plus possible des données officielles.

L’étude nous a permis de montrer que le taux d’infection a baissé considérablement entre les deux périodes considérées:

La période allant du 4 au 31 Mars 2020 qui correspond à la période d’avant confinement;
La période allant du 01 au 23 avril 2020 qui correspond à la période de confinement total

L’analyse nous a permis également d’estimer le nombre de cas réels afin de les comparer par rapport aux données officielles du ministère de la santé:

Tab.1: Comparaison entre variables observées et simulées au 23 avril 2020

23 avril 2020 Infectés Rétablis Décédés
Observé 918 190 38
Simulé 1433 178 63

La comparaison entre les résultats observés et les résultats simulés nous permet de soulever les points suivants:

515 de cas Covid -19 positifs se trouvent dans la nature et n’ont pas pu être répertoriés;
Parmi les cas COVIS-19 positifs, 25 sont décédés;

Il est à signaler que sans les mesures de confinement prises par les autorités publiques la pandémie aurait pu se propager conformément aux courbes suivantes et qu’on aurait pu enregistrer un pic pandémique de plus de sept millions de personnes infectées la première semaine du mois de juillet. Les mesures de distanciation sociale ont permis de sauver plus de 2000 vies en date du 23 avril 2020.

Tab.2: évolution des variables observées et simulées au 23 avril 2020

23/04/2020 Infectés Rétablis Décédés
Simulés 80126 6430 2294
Observés 918 190 38
Différence 79208 6240 2256

           
Fig. 3: Evolution de la pandémie Covid -19 sans mesures de distanciation

Pour ce qui du taux de reproduction de base (R0), l’estimateur de R0 obtenu est proche de 5,6 pour toute la période de notre analyse. R0 obtenu avec les paramètres optimaux calculés à travers notre simulateur (α = 0,1698 ; β = 0.018 et γ = 0.0064) est de l’ordre de 7. Il est à noter que les valeurs de R0 calculés et simulés sont proches et restent proches des valeurs obtenues dans d’autres études relatives au Covid -19.

En supposant que la contagiosité du virus est constante et que la variation du taux d’infection est expliquée exclusivement par le nombre de contact moyen qu’une personne infectée est susceptible de faire par jour. En supposant également qu’une personne croise en moyenne 100 personnes par jour on peut dire que les mesures de confinement prises par la Tunisie ont permis de réduire le nombre de contact d’une personne par 4. En d’autres termes, après la mise en place du confinement total, le nombre moyen de contact qu’une personne infectée est susceptible de faire par jour est de l’ordre de 25.

Fig 4: Infectés simulés et observés

Compte tenu de la décision du gouvernement de conduire le confinement national total jusqu’au 10 mai 2020 et d’opérer un déconfinement partiel contrôlé (autorisations progressives à des secteurs indispensables à l’Economie nationale et un retour probable des élèves et des étudiants qui ont des concours nationaux à passer pas avant début juin), les différentes simulations réalisées à partir des différentes variantes du modèle théorique utilisé attestent de la fragilité de la situation et de la possibilité d’une forte propagation de la pandémie qui risque de fragiliser le dispositif médical et de coûter très cher en vies humaines.

L’analyse de l’exemple tunisien à partir du modèle compartimental SIRD nous a permis de monter le degré d’efficacité des politiques mises en place par les autorités tunisiennes afin d’éviter le chaos au niveau du système sanitaire et médical du pays déjà fragilisé par une crise économique et budgétaire qui dure depuis la révolution de 2011 et qui souffre de disparités régionales structurelles souvent présentées comme la source des évènements de 2011.

Si la Tunisie a réussi, jusqu’à aujourd’hui, à limiter la propagation du virus et ainsi à épargner plusieurs milliers de vie humaine, il est encore très tôt pour annoncer la victoire. Les différentes simulations futures convergent vers une augmentation du nombre des infectés et de décès liés au Covid -19. L’enjeu, aujourd’hui, est de trouver l’arbitrage entre les mesures de distanciation sociale et la reprise d’une activité économique indispensable pour éviter un chaos économique et social dans un pays en crise.

La poursuite d’une politique de confinement total présente des risques majeurs pour les plus démunis (près de deux millions de pauvres) et pour le tissu productif dominé par des petites entreprises.

Au jour d’aujourd’hui, la communauté scientifique mène une course effrénée pour mieux cerner le virus Covid -19 et pour mieux appréhender son comportement. Sa propagation dans des régions qui commencent à vivre les grandes chaleurs démontre un caractère non saisonnier du virus. La communauté scientifique ne prévoit pas un vaccin avant la deuxième moitié de 2021 et les remèdes ne sont pas prêt à voir le jour. Dans ce contexte, deux stratégies sont possibles : l’immunité collective ou la distanciation sociale. Si la première a vite été abandonnée du fait qu’elle peut être présentée comme s’opposant aux droits humains basiques, la deuxième doit trouver un équilibre qui minimise à la fois les pertes humaines et les risques économiques et sociaux qui pourraient s’avérer plus onéreux en vies humaines que la pandémie elle-même.

Poursuivre des mesures de distanciation sociale semble la seule alternative possible aujourd’hui pour éviter le chaos médical et sanitaire. Toutefois, le confinement total pourrait être utilisé par à-coups afin de garder toujours une longueur d’avance sur la pandémie. Il faut également savoir saisir cette pandémie pour organiser autrement notre système productif en accélérant la digitalisation de l’administration et des services administratifs ainsi que de pousser à l’émergence de nouveaux métiers et nouvelles activités économiques qui combleraient les distances sociales créées par les mesures de distanciation sociale.

Makram Montacer
Enseignant-Chercheur à l’ISG de Tunis
Département Economie et Méthodes Quantitatives
Chercheur au SEPAL (Social and Economic Policy Analysis Laboratory)


 

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